Fulbert de Chartres
PRÉSENTATION DE CETTE TRADUCTION
En 2003, dans sa préface à Fulbert de Chartres, une grande figure de l’Occident chrétien au temps de l’an mil, Pierre Riché présentait cette étude comme un premier pas dans la perspective du millénaire de l’ordination de cet évêque du diocèse de Chartres. Il avait raison. Faire connaître par une traduction les œuvres écrites de Fulbert au-delà du cercle des latinistes et des médiévistes constituait pour la Société archéologique d’Eure-et-Loir (SAEL) un objectif d’autant plus stimulant que l’année 2006, celle du millénaire, était aussi celle de son 150e anniversaire.
Les écrits de Fulbert : sources manuscrites et imprimées
On ne saurait presque rien de Fulbert si après sa mort le 10 avril 1028, Sigon, chanoine et maître de musique, confident intime de l’évêque, n’avait fait rassembler, copier et conserver ses lettres et ses autres écrits. Peu de textes mentionnent le personnage et on ne connaît aucun écrit de sa main puisque, suivant l’usage, il dictait ses textes.
Ses écrits sont essentiellement conservés dans le fonds des manuscrits occidentaux de la Bibliothèque nationale de France (BNF) : lat. 14167, 2872, 2281, 12999, et quelques-uns sont dispersés dans d’autres bibliothèques, en France et à l’étranger.
Le BNF lat. 14167
Ce manuscrit, un codex de 88 feuilles sur parchemin, dont trois vierges, de 11 cm x 14 cm, associe la copie des lettres, des vers, des sermons et d’un traité, ainsi que du nécrologe et de l’éloge funèbre de Fulbert en un recueil constitué par Sigon et calligraphié par Albert de Micy, un moine de l’abbaye de Saint-Mesmin. Les premières copies datent du XIe siècle, et les dernières de la fin du XIIe. Destinés à proposer des modèles de rhétorique plutôt qu’à retracer la vie de Fulbert, les textes n’y sont pas classés chronologiquement.
Le folio 1 r° présente le titre « Lettres de Fulbert évêque de Chartres empreintes du respect du seigneur, avec quelques recommandations et quelques vers », suivi de ce texte : « Dernier représentant (du clergé de Fulbert), [un nommé Sigo fit copier ces documents par les mains d’André de Micy], qu’il accorde le repos du paradis à ceux pour qui il est la seule espérance du monde, [à notre Fulbert qui] a déployé son zèle dans les activités que voici : au temps de sa pleine vigueur physique il a enseigné à un certain nombre de disciples ces sept arts libéraux en lesquels son ardeur pour leur étude l’avait rendu très compétent. Comme pasteur très vénérable, il fit paître les brebis du seigneur durant quatre fois cinq années et dix-huit mois. Pour ce qui est des infirmes, des pauvres sans vêtements, de ceux qui avaient soif et de ceux qui avaient faim, il a mis toute son ardeur à leur rendre visite, à les vêtir, à étancher leur soif et à leur procurer de la nourriture ». Suivent le nécrologe de Notre-Dame et l’éloge funèbre de Fulbert. Des folios 1 v° à 38 v°, se succèdent soixante-quatorze lettres de Fulbert dotées d’une table avec, au verso des folios 27 et 38 r°, des vers ajoutés au texte, et au folio 39 r° d’autres vers, puis du folio 39 v° à 62, trente-trois autres lettres. Des folios 62 au 67, on trouve des vers, du folio 67 au 68 des sermons, du folio 68 au 74 v° quinze autres lettres, et du folio 74 au folio 88 des sermons et un traité.
Citant un catalogue de 1373 de la Bibliothèque de l’abbaye de Saint-Père de Chartres : « Lettres de Fulbert évêque de Chartres empreintes du respect du seigneur, avec quelques recommandations et quelques vers », Chasles confirme qu’à cette date, le manuscrit faisait toujours partie de la bibliothèque de cette abbaye, laquelle avait accueilli le tombeau de Fulbert. Transporté à la Bibliothèque du Collège de Navarre à une date inconnue, intégré à la bibliothèque d’Achille de Harlay qui le fit relier et y fit apposer ses armoiries, il fut cédé par ses héritiers aux moines de Saint-Germain, puis passa en 1796 à la Bibliothèque nationale, selon Léopold Delisle.
Le BNF lat. 2872
Les folios n° 89, 90, 95, 96 du lat. 14167, contenant des vers et la fin du traité, ont été rattachés à un autre codex des œuvres de Fulbert, le lat. 2872. Outre ces quatre folios, ce manuscrit comporte quatre-vingt-neuf lettres de Fulbert copiées au XIIe siècle et une transcription du manuscrit de la reine Christine. Propriété de Nicolas Favre, précepteur de Louis XIII, puis de Colbert, il fut versé à la Bibliothèque royale en 1732.
Les BNF lat. 2281 et 12999
Le premier contient, entre autres, trois lettres de Fulbert ; le second, deux des trois parties du tractatus des lat. 14167 et 2872 (ces trois parties des folios 81 à 88 du lat. 14167 et du folio 89 du lat. 2872 sont en fait trois textes distincts).
Autres manuscrits
Des copies d’écrits de Fulbert furent recueillies ailleurs. À Leyde, un codex du XIe siècle acheté à Saint-Martin de Sées par Vossius et provenant peut-être du monastère de Celles (diocèse de Troyes), in-quarto en partie détruit contenant cent trente et une lettres de Fulbert et de ses correspondants, des poèmes et des sermons, est coté « Vossianus 12 ». À la bibliothèque du Vatican, un manuscrit des XIe et XIIe siècles, constitué de quatre parties provenant d’un recueil anciennement complet et correspondant à peu près au Vossianus, contenant, des folios 96 à 126, des lettres de Fulbert et une partie d’un traité, est coté Vaticanus n°1783, et un codex du XIIe siècle ressemblant au Vossianus, mais provenant de la bibliothèque de la reine Christine de Suède, contenant des lettres de Fulbert, est coté C 278. Schématiquement, deux familles de codex constituent principalement le fonds des écrits de Fulbert : le codex de la BNF lat. 14167, texte principal, et son complément lat. 2872, et celui de Vossianus, dont dépendent ceux du Vatican et de la reine Christine. Le texte d’une prière à Notre-Dame figure dans le lat. 83, folios 7 r° et v°, et 8 r°, de la Bibliothèque de Boulogne-sur-Mer.
Sources imprimées latines
En 1561, à Louvain, dans son édition de plusieurs traités sur l’eucharistie intitulée Livre de Paschase Radbert, Maître Paschase avait publié deux lettres alors attribuées à Fulbert. En 1585, à Paris, Papirius Masson fit éditer chez Denis du Pré un Livre des lettres de Fulbert évêque de Chartres, d’après le lat. 2872. En 1608, Charles de Villiers, docteur en Théologie à Paris, édita chez Thomas Blazius les Œuvres diverses de Maître Fulbert qui fut évêque de Chartres il y a très longtemps. Utilisant le manuscrit de l’abbaye de Saint-Père en Vallée retrouvé au collège de Navarre (lat. 14167), complété par ceux de Petavius Senat. Reg. et de Nicolas Favre (lat. 2872), il .publia cent vingt-quatre lettres de Fulbert, six sermons et un traité. En 1641, André du Chesne ajouta à son édition des Écrivains contemporains de l’histoire des Francs soixante-cinq lettres de Fulbert. Dans le tome 141 de la Patrologie latine (PL), Migne publia en 1865 l’ensemble des œuvres de Fulbert, reprenant et corrigeant le texte de Villiers. Dans sa thèse latine de 1885, Christian Pfister, recteur de l’Académie de Nancy, retourna aux sources manuscrites pour compléter et reclasser les œuvres de Fulbert.
Sources imprimées bilingues
En 1962, J. M. Canal publia Los sermones Marianos de San Fulberto de Chartres (1028), et en 1963, Texto critico de algunos sermones marianos de San Fulberto de Chartres o a èl atribuibles.
En 1976, Frederick Behrends publia aux Presses universitaires d’Oxford (OUP) la traduction anglaise des Letters and poems of Fulbert of Chartres, d’après un texte latin établi à partir de l’ensemble des sources manuscrites connues.
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Notre traduction
Genèse et sources
Ce projet remonte à la traduction de la thèse de Christian Pfister par Monsieur l’abbé Marc Kibloff, thèse que lui avait confiée Monsieur le chanoine Pierre Bizeau, archiviste diocésain de Chartres. Dans ce travail complémentaire à une étude plus large du règne de Robert le Pieux, Pfister établissait et classait le corpus des sources manuscrites et imprimées des œuvres de Fulbert et des écrits à son sujet. La traduction de la poésie a trouvé sa source dans un essai que Monsieur Augustin-François Blattes avait effectué pour son usage privé.
Le texte latin utilisé pour le premier déchiffrage est celui qui figure au tome 141, col. 190-356, de la Patrologie latine éditée par Migne. Pour la correspondance, il a été confronté aux commentaires et au classement des lettres effectués par Pfister. Souhaitant fonder la traduction définitive de cette correspondance sur une source latine récemment établie, nous avons obtenu de Frederick Behrends l’autorisation d’utiliser son texte latin et nous avons acquis auprès de l’OUP les droits d’utilisation et de reproduction de ce texte pour notre propre édition. Pour certaines lettres de Fulbert, les manuscrits conservés à la BNF, lat. 14167 et 2872 ont été directement consultés. En ce qui concerne les traités, le passage lacunaire du texte de Migne, qui remonte à celui de Villiers et qui a été complété grâce au BNF lat. 14167 par Bernhard Blumenkranz, a été rétabli. Les titres varient selon les manuscrits, Tractatus Contra Iudeos dans le BNF lat. 14167, de incarnatione domini contra Iudeos dans le BNF lat. 12299. Pour la poésie, on a utilisé le texte latin des éléments publiés par Migne, et celui des BNF lat. 14167 et 2872 pour ceux qui ne figurent pas dans son édition. Pour la Prière à Notre-Dame, nous bénéficions de la transcription et de la traduction du manuscrit de Boulogne-sur-Mer par le chanoine Yves Delaporte en 1928 et de ses corrections et additions en 1952.
Ce travail a été encouragé par Monsieur Édouard Jeauneau, professeur honoraire au Centre national de recherche scientifique (CNRS). Il a été contrôlé par Madame Pascale Bourgain, professeur à l’École nationale des Chartes, pour la poésie, par Messieurs Pierre Riché, professeur émérite à l’Université Paris X Nanterre, pour la correspondance, et Gilbert Dahan, directeur d’études au CNRS et directeur de recherche à l’École pratique des hautes études (EPHE) pour les traités.
Notre traduction de la Correspondance retient donc le classement de Pfister, utilise le texte de Behrends pour les lettres qu’il publie, celui de Migne pour les Lettres 14 et 15 et celui de Pfister pour la Lettre 2. Pour les traités, c’est le texte de Migne complété par Blumenkranz qui a été utilisé. Pour la poésie, c’est celui de la Patrologie et des BNF lat. 14167 et 2872. Pour la Prière à Notre-Dame, nous rééditons la traduction, devenue rare, d’Yves Delaporte.
Une table de concordance permet de repérer la numérotation et la pagination des Lettres dans cette édition, de retrouver leur numérotation dans les autres éditions et leurs sources manuscrites. Les différences de graphie dans le texte latin de notre édition se justifient par les provenances diverses de ce texte (v/U, œ, æ dans la Patrologie, u/V dans les manuscrits et dans Behrends).
Les textes
L’ensemble de la correspondance connue
Outre les lettres attribuées à Fulbert par Migne, Pfister et Behrends, nous publions les Lettres 14 et 15 (PL CXII et CXIII) absentes dans Behrends, et un fragment (Lettre 2) cité seulement par Pfister. Contrairement à Migne et à Behrends qui séparent les lettres des correspondants de Fulbert des siennes, nous les maintenons afin de rendre la matérialité de l’échange et d’éclairer la participation de l’évêque aux questions de son époque. Au total donc, cent trente-huit lettres allant de quelques lignes à une dizaine de pages, plus nombreuses durant les années d’épiscopat. Cette correspondance nous donne accès aux affaires courantes (parfois pittoresques et bien matérielles) traitées par Fulbert, aux préoccupations politiques du seigneur d’un immense domaine, à la pastorale et à la réflexion spirituelle de l’évêque d’un diocèse du domaine royal. La typologie, les moyens et les enjeux du genre épistolaire sont maintenant bien connus. Bien que cette correspondance n’ait pas été destinée à une lecture d’ensemble, et donc ni datée ni classée, elle invite le lecteur à reconstituer la vie de l’épistolier et de ses destinataires en croisant leurs lettres. Le lecteur approchera au plus près le personnage de Fulbert.
Pierre Riché a bien voulu apporter sa collaboration à la traduction en la révisant et en l’enrichissant par un appareil de notes renvoyant aux travaux les plus récents sur cette période. Les relectures ont été effectuées par la direction et par la commission des publications de la SAEL.
Les trois traités dits « Contra-judæos »
Comme le suggère le BNF lat. 12999 cité plus haut, ils rassemblent l’essentiel de la réflexion théologique de Fulbert, notamment sur l’Incarnation, réflexion par ailleurs fragmentée dans les sermons. Traditionnellement datés de 1015 mais plutôt de 1009 selon Bernhard Blumenkranz, ils proposent aussi une intéressante réflexion politique lorsque, au détour de sa démonstration, Fulbert définit le concept de nation. Le rapprochement des traités avec certaines lettres fera apparaître le lien entre le religieux et le politique.
Dans sa révision de la traduction, Gilbert Dahan a mis en relief l’argumentation de Fulbert et l’a éclairée en précisant ses sources. Il a magistralement préfacé ces traités en définissant le genre littéraire de la « dispute » et en analysant son usage par Fulbert.
L’ensemble des poèmes connus et une « Prière à Notre-Dame »
Les textes poétiques ont été organisés de manière thématique et générique. À la disposition parfois compacte de la Patrologie et des manuscrits, a été substituée une organisation strophique facilitant la lecture. En comparant certains de ces textes avec les Lettres et les Traités, le lecteur découvrira la cohérence entre la réflexion spirituelle de Fulbert, son action dans ses fonctions pastorales et seigneuriales, et les domaines très divers de sa culture.
Madame Pascale Bourgain a bien voulu indiquer des corrections à la traduction et en guider la révision par ses conseils.
C’est avec la Prière à Notre-Dame, où il exprime sa dévotion la plus intime, que s’achève cette présentation des œuvres de Fulbert.
Juliette Clément
Directrice des publications
Extrait […] Il y a en effet trois conditions indispensables pour qu’existe un royaume. C’est, bien sûr, une terre sur laquelle puisse s’exercer cette royauté, un peuple [….] |
Œuvres, Correspondance
Fulbert de Chartres, Œuvres, Correspondance, Controverse, Poésie.
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