Une ville face au « mal qui répand la terreur » et à la « peur bleue »

Entre la peste et le choléra, les Chartrains n’eurent pas à choisir. Ils connurent la peste du XIVe au XVIIe siècle et le choléra au XIXe.

La Peste

« Partir vite, loin et longtemps »

« Pendant cette année [1315], il y eut une grande maladie appelée Sueur d’Angleterre […]. La ville fut désertée ». De 1315 au XVIIS siècle, des vagues de peste frappent régulièrement la ville et s’ajoutent aux désastres des guerres.

La fuite thérapeuthique

Danse macabre de Meslay-Le-Grenet (Eure et Loir)

En 1388, « le pays chartrain est affligé d’une peste furieuse qui emporta la plus grande partie des habitants de la ville et obligea le reste à se retirer à la campagne ».
En 1499 et en 1504, les échevins restés sur place constatent l’absence de nombreux officiers municipaux et royaux « à cause de la peste qui a cours dans cette ville ». Début juin 1581, le Corps de Ville ordonne « pour l’absence de MM. les échevins qui ne pourroient s’assembler, que 3, 4, ou 8 d’iceux pourront ordonner les affaires ».
L’été 1399 et 1400, « les chanoines sont autorisés à s’absenter sans perdre leurs distributions » et en 1531 le synode diocésain s’exile à Dreux.

Confinement royal

Lors de la vague de 1361-1362, Jean le Bon annule sa visite à Chartres et, en 1498, les échevins démentent une rumeur de peste, de peur que Louis XII ne renonce à son entrée dans la ville.

Incidence économique et interruption d’un chantier

En août 1521 les échevins demandent le report d’une dette de la ville, « attendu que tout le monde meurt dans Chartres, que le receveur a esté du nombre, et que MM. les échevins ainsi qu’une partie du peuple se sont absentés de la ville à cause de la peste ». De 1535 à 1542, on interrompt la décoration de la clôture du chœur de la cathédrale à cause de la peste et des guerres.

Les cibles

Si le fléau frappe d’abord les tisserands et les tanneurs de la ville basse, un chroniqueur observe qu’au grand étonnement des Chartrains, en 1631, « il n’est mort que des riches et en dignité ».

Salubrité et quarantaine

Le Corps de Ville ordonne qu’on fasse « crier par les rues et carrefours de la ville que personne ne jette aucuns immondices ni ordures dans les rues et ruelles de cette ville, durant lesté, ni en la rivière, et que l’on fasse porter hors de ladite ville afin qu’il n’en arrive aucune épidémie de peste et ce sur peine de 60 sols tournois d’amende, et pareillement que personne ne nourrisse en la ville aucuns pourceaux pour les causes que dessus. »
En 1626 puis en 1649, il interdit tout trafic de marchandises avec Rouen, où des ballots débarqués à Dieppe ont apporté la peste.

Le mariage du sergent royal Jean Bouvart

En 1521, le sergent note dans son journal qu’il a dû se marier dans son village natal de Dammarie et non dans sa paroisse chartraine de Saint-Michel, « parce que audit an la peste avoit cours à Chartres ».

Le choléra

« Tiens tes pattes au chaud; Tiens vides tes boyaux; Ne vois pas Marguerite; Du choléra tu seras quitte. »

Vague de 1832

Casimier Périer accompagne le Duc d’Orléans à l’Hôtel Dieu le 6 avril 1832. Contaminé, il meurt le 16 mai (soigné par Broussais)

En 1831, le docteur Durand, premier adjoint du maire Chasles et médecin des épidémies, applique les consignes du gouvernement et de l’Académie de Médecine. Il préside une Commission de Salubrité, entouré des médecins de l’Hôtel-Dieu, des pharmaciens, d’un vétérinaire et du professeur de chimie du collège.
Le 15 mars 1832 le choléra débarque à Calais et le 28 il est à Paris. La première victime chartraine, une couturière, meurt le 10 juillet; la dernière, une vigneronne, le 22 septembre.
Salubrité. En avril, Durand apprend le mauvais état sanitaire de la ville haute (élevages, fumiers, carcasses malodorantes) et l’abandon de la ville basse (absence de latrines, fumiers et immondices dans les rues).
Pas de confinement. La municipalité déclare que « la maladie ne présentant aucun caractère de contagion, il n’y avait rien à redouter de la présence d’étrangers venus de Paris ou d’autres lieux désolés par l’épidémie ».

Encore 90 sangsues et continuez la diète.(Broussais)

Informer. Après enquête à Paris, le 22 avril la Commission diffuse la doxa de l’Académie: 1) Les malades appartiennent « à la dernière classe du peuple […] livrés à la débauche »: 2) « le choléra-morbus n’est pas contagieux ».
Traiter. l’Académie est divisée: Broussais prescrit « diète sévère, repos, eau de riz gommée, lavements mucilagineux, laudanum, application de sangsues à l’épigastre et à l’anus […] » et Magendie commercialise son Punch: « Thé de tilleul: 4 litres. Sucre de 4 citrons. Alcool 1 livre. Un demi verre chaque heure ».
Chiffres. La préfecture annonce 156 décès pour 291 cas, avec un pic de 12 morts le 2 août, de 16 le 23 et de 10 le 24.
La Commission a négligé Courville: un homme venu de Paris y est mort le 9 avril; l’homme qui l’a soigné le 18; deux autres l’ayant approché, le 20; deux parentes de l’homme contaminé, le 11 mai.

Vague de 1849

Hôtel Dieu en 1867, avant sa démolition.

En 1848, le préfet déclare: « Le choléra endémique est loin de nos frontières et rien n’annonce qu’il doive les franchir. »
Chiffres. La préfecture annonce 230 décès dont 23 à l’Hôtel-Dieu et 9 prisonniers, avec un pic de 17 décès en quelques heures le 7 août et de 9 le 31. Ages: 0-15 ans: 47; 15-25 ans: 20; 25-45 ans:56; 45-60 ans: 62; 60 et plus: 45. Professions: ouvriers, journaliers: 108; domestiques: 12; artisans: 20; marchands, industriels: 13; employés, professions libérales: 6; cultivateurs, vignerons: 9; propriétaires, rentiers: 15 ».
La Commission néglige le rapport du docteur Brochard (Nogent-le-Rotrou)qui a démontré la contagion de personne à personne dans son secteur à partir d’une nourrice rentrée de Paris avec son nourrisson, mais qui est désavoué par l’Académie en 1850.

Vague de 1854

Ralliement au contagionisme. Cette fois les docteurs Maunoury et Corbin notent une contagion à Aunay-sous-Anneau, avec un premier décès à l’arrivée d’un nourrisson amené de Paris par sa nourrice. Durand écrit à Brochard, il se rallie à sa thèse.

Dernier combat d’Adrien Proust (1903)

Le 7 juin 1908, à Chartres, Adrien Proust (Illiers 1834-Paris 1903), Inspecteur Général des Services sanitaires et lecteur de Brochard, rend hommage à Pasteur: « En 1898, la peste importée à Vienne dans un hôpital où plus d’un millier de patients ont été confinés, n’a emporté que 2 ou 3 victimes: conséquence directe du travail de Pasteur. »
En novembre, à Paris, il rallie la 11ème Conférence sanitaire internationale au principe d’un Office international de Santé (future OMS). Mais il meurt le 26, veille du vote.

Juliette Clément, Directrice de publication de la Société archéologique d’Eure-et-Loir, dans Votre Ville septembre 2020.
Sources: fonds SAEL, AMC, AD 28. CI. fonds SAEL, BMC, AD 28.

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