Émeute à Chartres en 1933

… Pendant ces années de guerre l’équilibre financier des exploitations n’a jamais été menacé ; les frais ont augmenté, les engrais ont manqué, la production a diminué mais l’augmentation des prix à la vente semble avoir largement compensé les charges.
Au jugement des contemporains les cultivateurs se sont enrichis.

Vers la crise.

Fleurant Agricola

Dans les années qui suivent la guerre un équilibre très favorable aux cultivateurs s’établit mais, passé 1925 et surtout 1929, apparaît une surproduction des céréales. Les cours vont s’effondrer. Déjà bas en 1930 (164 francs le quintal) ils tombent à 102 francs en 1932, 80 en 1934 et même en dessous. Le mécontentement agricole se développe au niveau national depuis quelques années. Un Parti Agraire a été fondé en 1927 sur l’impulsion donnée par un ancien instituteur devenu paysan Fleurant Agricola (surnom qu’il s’est donné). L’homme et son parti se disent volontiers apolitiques mais apparaissent plutôt comme une extrême droite populiste. Ce parti va trouver en Eure-et-Loir un terrain à son actions.

Le samedi, place des Halles à Chartres, se tient ce qui fut le marché au blé. En 1933, les sacs de grain n’y sont plus mais on y vend encore sur échantillons et plusieurs centaines de personnes, voire beaucoup plus parfois, s’y réunissent. Sous l’impulsion du parti agraire ces marchés du samedi vont devenir l’occasion de manifestations hebdomadaires.

Camille Chautemps Ministre de l’Intérieur du 3 juin 1932 au 30 janvier 1934

Le préfet a de bonnes relations dans le milieu agricole et, bien que le ministre de l’intérieur ait recommandé la plus grande vigilance, il ne semble pas avoir senti le danger. 

Le ton des animateurs lors de ces manifestations est de plus en plus violent et la foule de plus en plus énervée. Le samedi 14 janvier 1933, place des Halles, un des agitateurs annonce que le préfet Jouve refusait de recevoir une délégation. Il n’en faut pas plus pour provoquer une ruée vers la préfecture dont la grille ne résiste pas à la poussée de la foule. Le bâtiment est envahi jusqu’au bureau où se tient le préfet. Celui-ci, copieusement insulté, est déclaré prisonnier. On exige qu’il téléphone au ministère de l’intérieur et qu’il dresse une liste de ce que les paysans voulaient changer : impôts, prix du blé, écoles d’agriculture, machines. Pendant ce temps quelques vols, des carreaux cassés puis la foule finit par s’écouler.

Pour justifier son attitude dans cette affaire le préfet écrivit au ministre, précisant que beaucoup de manifestants étaient des domestiques de ferme et qu’il n’avait pas voulu employer la force contre eux. Il était aussi paralysé par le souvenir des morts de 1907, lors des manifestations de vignerons dans le midi de la France.

Préfet Jouve aux manifestations du 14 juillet 1932

Le préfet Jouve fut déplacé en Haute-Loire et les provocateurs ne furent pas poursuivis.

Maurice Viollette

La presse unanime déplora cette sanction. La Défense agricole de la Beauce et du Perche rappelle la visite récente des centres de stockage de blé où le préfet était accompagné du député Viollette et des conseillers généraux. Les articles de journaux se comptent par dizaines et on y souligne l’incroyable méfait que constitue la prise d’un préfet en otage dans son propre cabinet. Un des articles les plus virulents peut se résumer ainsi :

« Cette sanction permet au gouvernement de se donner bonne conscience, si ce dernier était interpellé sur la question.

Le préfet a été sanctionné parce qu’il n’a pas été assez ferme ; dans le cas inverse, il aurait quand même subi une sanction pour cause de bruitalité ». Le journaliste conclut « On n’échappe pas à son destin ».

Le caractère politique de ces manifestations est de plus en plus évident. Début février 1933 c’est le journal L’Action Française qui invite les cultivateurs à manifester. Les plus engagés politiquement ont diffusé des tracts. Un mois plus tard, le 4 mars 1933, éclate l’émeute. Ce jour-là, 3000 à 4000 cultivateurs affluent place des Halles, dont des jeunes gens, la plupart valets de fermes, certains payés pour être là, et des « camelots du Roi » de la ville.

« Le Parti Agraire, avait demandé aux commerçants de fermer boutique. Le gérant d’un magasin, les Chaussures Coop, refusa. La présence du commissaire de police assisté de quatre agents n’empêcha pas la quasi-destruction du magasin. Le préfet Caillet réagit en envoyant une vingtaine d’hommes en renfort dont quelques-uns à cheval, ce qui fut pris pour une provocation par les manifestants. Il fallut engager deux pelotons mobiles à cheval et un à pied. La charge de cavalerie balaya une partie de la place au prix de quelques blessés tant dans la foule que parmi les militaires.

Un adjoint au maire de Chartres insista auprès du préfet pour obtenir le retrait de la troupe ce qui, finalement, termina l’affaire.

Les organisateurs du samedi avaient invité leurs auditeurs au banquet Marceau, manifestation annuelle de la gauche républicaine, qui avait lieu le lendemain. Le ministre de l’Éducation nationale qui devait présider fut absent, remplacé par l’ancien préfet Leydet, et les mesures prises pour assurer la tranquillité de la manifestation se révélèrent efficaces.

L’agitation sur fond de revendications agricoles se poursuivit en 1933, surtout dans l’arrondissement de Dreux. Le 26 novembre, une manifestation réunit encore 400 personnes à Chartres.

Pour répondre à cette pression persistante, une organisation de gauche, destinée à lutter contre le Parti agraire, se forma. Elle mobilisa des syndicats ouvriers et de fonctionnaires, la Ligue des droits de l’homme, un groupe d’entente des gauches comprenant radicaux et socialistes indépendants, plus la section SFIO. La mise en place par le ministère de crédits et de moyens de stockage contribua à atténuer les protestations du milieu agricole jusqu’à ce que la création de l’office du blé mette un terme à cette agitation.

Vers le front populaire.

Les difficultés politiques ne devaient pas disparaître pour autant. Elles se déplacent alors vers l’extrême droite, suscitent des réactions à gauche et marquent une progression de la violence.

Une manifestation des Jeunesses Patriotiques est organisée à Chartres le 21 janvier 1935. Des participants arrivèrent de Paris en autocars. Le préfet mit en place un service d’ordre renforcé : 250 gardes mobiles, 80 gendarmes plus la police locale. Avec quelque hésitation, il autorisa une contre-manifestation de gauche qui groupa 1000 personnes place Billard pendant que les jeunesses patriotiques étaient réunies salle Sainte-Foy. Le maire de Chartres insista pour qu’elles soient autorisées à se rendre au monument aux morts, ce qui fut refusé.

Les employés municipaux avaient enlevé des chantiers tout ce qui était susceptible de servir d’arme. La journée se serait passée sans incidents graves si, au moment du départ, des coups de feu n’avaient été tirés du haut des autobus vers un groupe d’officiels à hauteur de la place Châtelet (chef de cabinet du préfet, secrétaire général de la préfecture, commandant et capitaine de gendarmerie) mais seul un ouvrier des PTT fut blessé.

En 1936, la venue au pouvoir du Front populaire modifia les conditions de l’activité du préfet. Il dut désormais traiter les revendications des milieux ouvriers où se multipliaient les grèves.

Ce n’était pas toujours sans risques comme le montre l’affaire de la Sucrerie de Toury. Le 15 octobre 1936, vers 22 heures, le personnel saisonnier de la sucrerie se mit en grève. Il comprenait 200 kabyles, 150 étrangers de diverses origines et 150 français. Le préfet Caillet se déplaça le lendemain matin. Il réussit à faire évacuer l’usine en contrepartie de la promesse de négociations dès l’après midi, laissant le temps aux délégués CGT de Chartres d’arriver à Toury.

Avant la réunion, le préfet fut avisé par le maire de Janville et le conseiller général du canton qu’une manifestation d’agriculteurs, producteurs de betteraves, devait avoir lieu à Toury vers 15 heures, pour protester contre l’occupation de l’usine par des étrangers, menés de plus par la CGT. Ces agriculteurs convoqués par le parti agraire étaient disposés à utiliser la force. Ceci incita le préfet à appeler des renforts de police. Il obtint du conseiller général la promesse d’intervenir pour maintenir le calme. À ce moment le mouvement dégénéra en bagarre entre paysans et kabyles. Il y eut finalement des blessés dont deux paysans gravement atteints.

Le préfet put, le soir même, écrire au ministre : “Il résulte de cet ensemble de faits que sans l’intervention inopinée et d’ailleurs injustifiée des agriculteurs, l’accord concernant l’usine de Toury aurait été facilement réalisé avant 16 heures et dans le calme, comme ceux des nombreux conflits que j’ai réglés. J’ajoute que la responsabilité du Parti agraire et de ses dirigeants locaux me paraît fortement engagée.

Texte extrait de “Aperçu sur l’administration préfectorale -Hommes et évènements
publié par la SAEL (2000)

Sources iconographiques : Archives Départementales d’Eure-et-Loir

La Dépêche d’Eure-et-Loir – Novembre 1936 – AD28

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1 réponse

  1. Marc Bouyssou dit :

    Très bien !

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