Le 28 décembre 1022, une quinzaine d’hérétiques furent brûlés à Orléans

« Bûcher des disciples d’Amaury de Chartres condamnés comme hérétiques sous les yeux du roi Philippe Auguste (1210) ». Jean Fouquet, Grandes Chroniques de France, Tours, XVe siècle, BnF 6465 f° 236

La Société archéologique d’Eure-et-Loir a deux raisons de commémorer le millénaire de ce funeste événement : le récit le plus complet qui le relate émane de Paul, moine de l’abbaye chartraine de Saint-Père-en-Vallée, et l’enquête visant à démasquer les hérétiques et mieux connaître leurs croyances et leurs pratiques est partie de Chartres.

Paul, auteur de la première partie du Cartulaire de Saint-Père-en-Vallée également connue sous le nom de Vieil Aganon, recopie, entre 1060 et 1088 environ, les chartes de son époque concernant son monastère ; de plus, il fait œuvre d’archiviste en y ajoutant tous les documents qu’il a pu recueillir sur Saint-Père, et de chroniqueur en les agrémentant de commentaires.

Ainsi, dans le troisième chapitre du Livre sixième, figure une charte par laquelle Aréfastus – frère du sénéchal Gonnor de Normandie puis moine à Saint-Père – donne à l’abbaye des biens répartis dans le pagus de Coutances. Suit un très long développement de Paul qui a « considéré qu’il valait la peine de rappeler comment l’homme en question, Aréfastus, a, grâce à Dieu et à son exceptionnelle sagacité, non seulement découvert mais aussi totalement éradiqué une hérésie qui se développait secrètement dans la ville d’Orléans ».

Le brillant proche des comtes de Normandie « avait chez lui un clerc nommé Herbert qui avait décidé d’aller étudier dans la ville d’Orléans. » Ce maître de l’école de Saint-Pierre-le-Puellier rencontre, dans la ville natale de Robert le Pieux, Étienne – ancien confesseur de la reine Constance – et Lisoie – chantre de la cathédrale – réputés pour leur sagesse, leur piété et leur générosité ; mais il se laisse rapidement enivrer par « leur boisson mortelle », et, tombé dans « le gouffre de l’hérésie absolue », veut y entraîner son maître Aréfastus ; repérant « l’erreur diabolique », ce dernier rapporte l’affaire au comte Richard II de Normandie, lui demande d’en avertir le roi et se propose de l’aider à se débarrasser du fléau caché dans son royaume.

Chargé de se rendre à Orléans avec Herbert pour mener à bien son enquête, Aréfastus s’arrête à Chartres où, ne pouvant rencontrer l’évêque Fulbert parti prier à Rome (aucune de ses lettres pourtant nombreuses qui nous sont parvenues n’évoque l’affaire) demande au marguillier de l’église de Chartres, Évrard, comment parvenir à ses fins.

Amaury de Chartres enseignant.

Conformément à ses conseils, après avoir chaque matin prié pour obtenir l’aide de Dieu, il va écouter la doctrine des hérétiques, feignant d’être leur disciple. Persuadés qu’ils vont l’entraîner dans leur monde débarrassé de la corruption, ils lui révèlent que « le Christ n’est pas né de la Vierge Marie, qu’il n’a pas souffert pour les hommes, ni été mis au tombeau, et qu’il n’est pas ressuscité des morts. » Ils refusent aussi de croire en la purification par le baptême, en la transsubstantiation de la communion, et pensent que l’accès au salut se fait par l’imposition de leurs mains.

Lors de leurs réunions nocturnes, ils invoquent les démons, et, quand ils croient en voir un apparaître parmi eux, se livrent à des orgies, abusant de la femme la plus proche, fût-elle de leur famille ; les cendres de « l’enfant né de cet accouplement immonde », brûlé vif au bout de huit jours, deviennent un viatique pour les mourants.

Le roi et sa troisième épouse, Constance d’Arles, arrivent alors à Orléans pour y réunir un synode le jour de Noël ; les hérétiques sont arrêtés et emmenés dans la cathédrale Sainte-Croix ; après avoir d’abord refusé de révéler toute la vérité, sommés par Aréfastus d’obéir au roi et de se soumettre à l’autorité des évêques, ils reconnaissent que tout ce qu’ils ont enseigné à leur faux disciple « correspond à leurs pensées et à leurs croyances ». Pendant qu’ils sont chassés de l’église Constance arrache, avec un bâton, un œil à Étienne.

Entre treize et quinze hérétiques sont brûlés le 28 décembre 1022, jour des Saints-Innocents, sur ordre du roi Robert le Pieux voulant sans doute affirmer ainsi son autorité et se dégager de tout soupçon de compromission.

Ces faits ont très vite marqué les esprits : d’abord relatés dès 1025-1027 par une lettre du moine Jean de Ripoll (Catalogne), ils sont repris par les chroniqueurs Adémar de Chabannes et Raoul Glaber. Le moine Paul, lui, transmet par écrit une information orale dans laquelle il rapporte consciencieusement les propos des hérétiques eux-mêmes.

Enfin, les historiens de toutes les époques les analysent encore : en 2007, Huguette Taviani-Carozzi y voit un « fait historique exemplaire » qui « ouvre la longue histoire de la royauté capétienne au temps de l’an mil. »

Arlette Boué

Repères bibliographiques :

  • Saint-Père-en-Vallée, cartulaire d’une abbaye chartraine (Xe-XIe siècles), trad. Arlette Boué, Chartres, SAEL, 2014, p. 136-143.
  • Lettre du moine Jean, appendice à Vita Gauzlini, André de Fleury, Paris, 1960, p. 180-183.
  • Adémar de Chabannes, Chronicon, Turnhout, Bréjols, 2003.
  • Raoul Glaber, Histoires, Livre III, chapitre 29.
  • Christian Pfister, Études sur le règne de Robert le Pieux, Paris, Vieweg, 1885, p. 326-334.
  • Laurent Theis, Robert le Pieux, le roi de l’an mil, Paris, Perrin, 1999, CNRS, 2018, p. 211-213.
  • Claude Genin, Fulbert de Chartres, Chartres, SAEL, 2003, p. 86-88.
  • Huguette Taviani-Carozzi, Une histoire « édifiante » : l’hérésie à Orléans en 1022, Faire l’événement au Moyen Âge, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2007, p. 275-298.

 

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1 réponse

  1. COISPEAU Marie-Thérèse dit :

    Ce document m’a vivement intéressée. Merci pour toutes vos recherches.
    Je l’ai communiqué à des amis habitant Orléans qui, je crois, seront très intéressés à leur tour. Mes meilleurs vœux pour 2023.

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