Le pont Rouge et le hameau de la Rue à Maintenon
Le pont rouge et le hameau de la Rue restèrent longtemps la principale voie de communication à la sortie de Maintenon vers Épernon Rambouillet et Paris. A partir de 1760 un service régulier de fourgons, berlines et diligences l’empruntait pour le transport des voyageurs et marchandises de Paris vers Chartres, Le Mans, Angers. Après 1836, une nouvelle route de Paris (Bd Clémenceau) fut ouverte pour obtenir une pente plus douce et plus régulière que celle de la rue du « faubourg Larue ». Puis la construction du pont neuf (Cipière) inauguré en 1838, facilita la circulation en évitant le passage par le pont rouge. Ce pont rouge, construit dans les années 1670, fut d’abord dénommé « pont de la Ruë » comme en atteste le plan, de la fig.1 ci après, établi vers 1680 (avec le projet du canal).
Le pont de la Ruë ou pont rouge
C’était au 17e siècle l’unique pont reliant le bourg de Maintenon à ses hameaux (la Ruë ; Guignonville ; Maingournois ; le Parc ; la Guaize) et aux bourgs voisins (Hanches ; Épernon ; St Martin ; Houx ; Villiers…). Il permettait d’éviter le passage du gué dans la rivière de Gallardon. Ce gué (en pointillé sur la fig.1) était établi entre l’actuelle «ruelle de l’abreuvoir» et l’entrée de la Ruë (carrefour de la rue du pont rouge et de la rue Thiers). C’était donc du nom de ce hameau de «la Ruë» que provient la première dénomination du pont. Un peu plus tard il fut appelé «pont rouge» en référence, dit on, à la couleur des uniformes des soldats chargés de sa garde ou de l’octroi dont la présence est probable. C’est à partir de 1690 que les premières appellations «pont rouge», commencent à apparaitre, on les trouve dans des actes de paroissiens du hameau de la Ruë .
Le pont rouge était étroit, sa largeur à l’origine n’était que de 11 pieds soit 3,5 m. Il avait supporté un grand trafic à la fin du 17e siècle avec les travaux de l’aqueduc et les passages de nombreux entrepreneurs chargés des améliorations du château et de ses jardins. Les visiteurs et hôtes du château, dont le Roi et sa cour l’avaient souvent emprunté.
A la fin du 17e siècle avec le développement du bourg et des hameaux, le gabarit de la chaussée du pont et peut être son état ne satisfaisaient plus aux besoins. Aussi un marché « pour le rétablissement du Pont Rouge », c’est-à-dire pour son élargissement et la réfection de sa chaussée, fut conclu le 15 juin 1704 entre Louis Pigoreau directeur des travaux du Roy à Maintenon d’une part et Martin Collin entrepreneur des Bastiments du Roy à Maintenon d’autre part pour la somme de 5 200 livres (Martin Collin était le grand-père de jean-François Collin le poète alias Collin d’Harleville né à Maintenon le 30 mai 1755).
Les travaux consistaient à élargir le pont en ajoutant des extensions construites en saillie à l’amont et à l’aval de chaque arche mais avec une plus grande portée que les arches d’origine.
Elles devaient être « construites avec bons moislons durs posés en coupe et liés avec la massonnerie de l’ancien pont par des arrachements » avec « mortier de bonne chaux et sable de ravine ». Les saillies des arches étaient prévues plus épaisses du côté amont que du côté aval.
La largeur du pont était ainsi portée à dix-huit pieds et demi de largeur soit 6 m (entre les parapets). Comme pour les rues d’autrefois le caniveau se trouvait au milieu de la chaussée et des bornes en grés « graiseries » étaient scellées à l’intérieur des parapets pour leur fonction de chasse-roues. Les moyeux saillants des roues de charrettes et carrosses faisaient souvent de gros dégâts aux parapets des ponts ou à la base des murs des portes cochères aussi on les protégeait par des bornes cylindriques judicieusement disposées pour chasser les roues de ces véhicules.
Pour permettre la circulation pendant les travaux, l’entrepreneur Collin devait « faire accomoder l’ancien guay ou guaize (gué), de la rivière, proche du pont » en pratiquant une ouverture suffisante dans les digues du canal et des rivières, et après les travaux, les remettre en état.
Le hameau de la Rue
La Ruë était (jusqu’en 1835) le principal hameau de Maintenon constitué de l’ensemble des habitations situées dans les actuelles rues (fig.7) du faubourg-Larue, Thiers, René Rion et le début de la rue de la guaize. La Guaize aux serpes située plus loin était un hameau. Le boulevard Clémenceau et l’avenue du général de Gaulle (ex rue de la gare) n’existaient pas et le boulevard Carnot n’était, d’après le plan fig.8 du cadastre de 1831, qu’un chemin sans habitations appelé chemin de la Rue à Mévoisins.
Avec la construction en 1836 de la nouvelle route de Paris (route impériale puis Bd. Clémenceau) et celle du pont neuf (Cipière) en 1837-38, puis surtout avec l’arrivée du chemin de fer en 1849 et l’ouverture de la rue de l’embarcadère (rue de la gare devenue avenue du gl.de Gaulle), le quartier de la Rue devient beaucoup plus peuplé que le centre. Les recensements, réalisés tous les 5 ans à partir de 1836, permettent de suivre l’évolution de la population dans chaque quartier et hameau, puis dans chaque rue à partir de 1881. En 1846 le quartier de la Rue comptait 637 habitants alors que la partie centrale n’en comptait que 507 et en 1891 le quartier de la rue en comportait 719 contre 520 dans le centre et 292 à La Ferté.
Déjà au 18e siècle et jusqu’en 1836, le hameau de La Rue s’était considérablement développé en particulier avec le trafic régulier des messageries d’Angers empruntant « le faubourg la Rue » et le pont rouge. En 1765 le trajet régulier des messageries s’effectuait en 2 jours de Paris à Chartres (départ à 6h du matin de Paris, arrivée à Chartres le lendemain soir à 7h après la halte de midi à Maintenon pour le diner). Avec l’amélioration du réseau routier et la création en 1775 par Turgot d’un réseau de poste plus efficace, la durée des trajets fut considérablement réduite. Ainsi l’indicateur fidèle mentionne en 1780 un gain de 3 jours et demi sur le trajet Paris-Angers par Maintenon dont la durée était de 6 jours et demi en 1765.
Le hameau de la Ruë se situait en limite de la châtellerie de Maintenon, pour certains il dépendait de la baronnerie d’ Épernon ainsi que les hameaux du Parc et de Maingournois, mais cela devait être avant 1581. En effet d’après la carte ci-après (fig.9), définissant les limites du Duché d’Espernon, il apparait que les hameaux de « La Ruë » et d’Houdrepont» (actuel St Mamert) ne faisaient plus partie de la « châstellerie d’Espernon ».
Cette carte est postérieure à 1581 car elle se réfère au statut de « Duché et Pairie de France » donné par le Roi Henri III lorsqu’en 1581 il octroya la baronnerie d’Espernon à son favori Jean-Louis de Nogaret de la Valette, en lui conférant ainsi le titre de duc d’Épernon.
La châstellerie d’Éspernon n’avait jamais intéressé ce duc plus occupé par ses gouvernements militaires d’Angoumois de Saintonge puis de Guyenne et par son duché de La Valette où il fit bâtir son château de Cadillac (à 40 km à l’est de Bordeaux où il fut inhumé).
Le duché d’Épernon était fort étendu et giboyeux, mais aucune demeure seigneuriale (le vieux château fort avait été rasé lors de la guerre de cent ans) ne pouvait accueillir son duc et sa famille. Il ne vint donc jamais à Épernon sauf peut être, en avril 1591, à l’issue du siège de Chartres par Henri IV auquel il participa.
Le duché était alors administré par le bailli représentant le seigneur, percevant les impôts seigneuriaux et rendant la justice.
En 1641, à 87 ans, le duc d’Épernon mourut à Loches où il avait dû se retirer après la disgrâce et l’exil de son fils Bernard duc de la Valette. Avec le décès de ce dernier en 1661 et en l’absence de descendance directe, le duché et les titres d’Épernon furent transmis à Louis De Goth marquis de Rouillac et à ses descendants jusqu’en 1690. A cette date Henri Louis de Pardaillan de Gondrin Marquis de Montespan et d’Antin reçoit le duché d’Épernon par héritage indirect et renoncement des héritiers directs pressés par leurs créanciers.
Ce marquis, époux de la favorite de Louis XIV, avait eu avec elle un fils : Louis-Antoine de Pardaillan de Gondrin dont le petit fils Louis devint en 1712 duc d’Épernon. Parfait courtisant et fort joueur Louis-Antoine avait été contraint de vendre en 1706 une grande partie des bois de la châtellerie d’Épernon à son demi-frère le Comte de Toulouse (occupé à agrandir son domaine et ses chasses de Rambouillet).
En 1751 son arrière petit fils vendit au Maréchal de Noailles (Adrien-Maurice 1678-1766 époux de Françoise d’Aubigné nièce de Mme de Maintenon) le reste c’est-à-dire l’essentiel de la châtellerie d’Épernon. C’est ainsi que la châtellerie d’Épernon fut incluse dans celle de Maintenon.
La châtellerie de Maintenon n’avait pas, à la fin du 16ème siècle, l’importance de celle d’Épernon mais elle comprenait une belle demeure, le château et sa chapelle attenante. En effet Jean Cottereau intendant des finances du roi Louis XII et créancier des seigneurs de Maintenon (les Amaury de Montfort) avait acheté le château et se vit attribuer la seigneurie par arrêt du parlement en 1503. Il agrandit et embellit considérablement le château et fit construire la chapelle St Nicolas.
Par sa fille Isabeau, épouse de Jacques 1er d’Angennes seigneur de Rambouillet, la châtellerie de Maintenon passa ensuite dans la descendance de la famille d’Angennes jusqu’à Charles-François d’Angennes qui en 1674 la fit vendre par son beau-frère, Odet de Riant, à Françoise d’Aubigny future Madame de Maintenon. L’acte de vente est rédigé et signé avec le patronyme Aubigny, celui avec lequel Françoise fut baptisée (c’était celui de son père). De 1670 à 1687 ce patronyme avait été utilisé dans tous les documents officiels (notariés, religieux) et dans les lettres. C’est à l’approche de la grande promotion de l’ordre du Saint-Esprit de 1688, conférant un titre de noblesse à son frère et à sa famille, que le patronyme d’Aubigné (que le grand père de Françoise avait usurpé pour se rattacher à une branche noble) fut utilisé dans les actes d’achats. Ce fut le cas en juillet 1687 pour l’achat par Louvois pour Françoise d’Aubigné de plusieurs seigneuries voisines, par la suite ce patronyme sera adopté par tous.
Le château de Maintenon n’était pas en bon état en février 1675 lorsque Françoise le visita pour la première fois et ce n’est qu’à partir de 1678 qu’elle put faire réaliser les aménagements et agrandissements indispensables pour y recevoir plus dignement, ses amies, sa famille, et à partir de 1682 le Roi et ses nombreux courtisans. Les plus importants travaux suggérés par le Roi et définis par Mansart furent réalisés en 1686-87 sous la conduite de J.P.Maistre architecte du Roi.
La châtellerie fut considérablement agrandie en mars 1687, lorsque le Roi par l’intermédiaire de Louvois fit acquérir pour Françoise d’Aubigné les seigneuries voisines (Grogneul Chartainvilliers, St Piat, Boigneville …..) doublant l’étendue du domaine déjà agrandi en 1678.
Ainsi la châtellerie de Maintenon s’étendit grâce aux gratifications royales de Louis XIV mais aussi à cause des travaux de l’aqueduc car après leur abandon, la plupart des terres mobilisées lui furent attribuées. C’est en juin 1688 que le roi Louis XIV érigea la Châtellerie de Maintenon en marquisat-pairie.
Après le mariage en 1698 de Françoise-Charlotte-Amable d’Aubigné, nièce de Madame de Maintenon, avec Adrien-Maurice de Noailles (futur Maréchal de Noailles), la châtellerie de Maintenon fut transmise dans la famille de Noailles jusqu’à nos jours.
Pendant la seconde moitié du 18éme, jusqu’à la révolution elle sera encore considérablement agrandie par achats et échanges (Nogent-le-Roi, Villiers-le-Morhier, Epernon ….).
Ainsi le bourg de Maintenon se développa intensément à partir de 1674 grâce au pont rouge et au développement des hameaux de la Rue et de Guignonville dont les rues étaient des voies de circulation essentielles sur le grand chemin de Versailles et sur la route de Paris. Le pont rouge avait été l’élément indispensable à ces développements en évitant le gué impraticable en hivers et en assurant la continuité du trafic fluvial sur le canal alimentant le chantier de l’aqueduc.
Jacques Bresson
Maintenon le 27 novembre 2022
Sources et bibliographie
Archives départementales d’Eure-et-Loir (A.D. 28) Maintenon état civil
Archives départementales des Yvelines (A.D.78)
Bibliothèque nationale de France (BnF), Gallica, Bibliothèque numérique:www.gallica.bnf.fr Bulletin municipal de Maintenon
Société Archéologique d’Eure et Loir (Sael)
-Le pont Rouge, R.Sotteau ;
Bulletin municipal de Maintenon n°7 1986
-Maintenon mémoires croisées d’hier et d’aujourd’hui, Centre Universitaire du temps libre (CUTL),
Maury Euro livres 2001, p.123-124
-Les grands chemins de Versailles à Maintenon, J. Bresson 2020, Calaméo,
–Les moulins de Maintenon.., J.Bresson, Cahiers Sael N°2 octobre 2016, p. 257-291,
Sael, imp. Port Royal, Trappes
-Histoire des moulins de Maintenon, J.Bresson 2017, Calaméo,
–Raisons et conséquences de l’acquisition de la terre de Maintenon par Françoise d’Aubigny ;
conférence de la (Sael) à la médiathèque de Chartres le 10 janvier 2020
-Histoire d’Epernon volume II, J.P.Duc avec l’Association Epernon Patrimoine et Alentours ;
Durand Impression Luisant 2e trimestre 2008
bonjour,
Je m’aperçois avec grande curiosité vos recherches effectué sur Maintenon et vos longues heures passé au archives du département .Moi-même féru d’histoire sur Maintenon ;je recherche une période beaucoup plus tardive celle des druides réuni soi-disant au lieu de Bois-Richeux par toutes les congrégation druidique de France. Des énormes bloques ont été retiré par un propriétaire de Bois-Richeux depuis environs 2 ans autour de ce hameau formant peut-être avant dolmen et menhir éparpiller par le temps qui passe. Une très ancienne chapelle Saint Gilles (disparu) était avant érigé surement pour chassé les rites païens qui aurait perduré . Lefevre indique qu’il y fut une seigneurie. Avez vous peut-être par hasard fait des recherches sur ce lieu proche de Maintenon. Merci pour votre travail.