Scandales aux offices divins

Jeu de Tric-Trac, J. Beauvarlet Sculpteur (1731-1797). Bnf.

En 2008, La Société Archéologique d’Eure-et-Loir décerna un prix récompensant un ensemble de travaux concernant l’histoire du département et un nom s’imposa, celui de Yves Legrand, instituteur à Barjouville, sécrétaire général de la SAEL et historien du XVIIIe. Pour 2023, la SAEL a décidé de rééditer son ouvrage majeur, Le roman vrai des petites gens au XVIIIe siècle entre Beauce et Perche. Par avance, nous vous en diffusons les meilleures pages.

L’observation des ordonnances royales de janvier 1560 et novembre 1576 doit être assortie de rappels à l’ordre pour limiter les « scandalles » aux offices divins.

Non-respect du « Jour du Seigneur »

Parades de foire. Vers 1815. Mucem. Marseille.

En 1769, le jour de la fête patronale, les habitants de Berchères-l’Évêque ont quitté les vêpres « avant même que la bénédiction fut donnée pour se rendre à leur assemblée ». Soucieux d’éviter le retour d’un pareil abus, par ordonnance du 23 août 1770, le juge chambrier de la chambre épiscopale de Chartres fait défense « à tous marchands d’étaler leurs marchandises pendant les heures du service divin, à peine de confiscation desdittes marchandises qui seront vendues et le prix distribué aux pauvres de la paroisse ».
Défense est aussi faite « aux joueurs de violon, vielle et autres instruments, farceurs, joueurs de chevaux de bois, de faire danser, donner des farces et faire monter sur leurs dits chevaux de bois pendant les heures du service divin, à peine de pareille confiscation desdits instruments et jeux applicable comme dessus, même de prison ».

Le 28 décembre 1770, à Janville, monseigneur le duc d’Orléans rappelle aux barbiers et perruquiers l’interdiction de tenir leurs boutiques ouvertes les dimanches et jours de fête pendant le service divin, « notemment pendant la messe et les vespres de la paroisse et de razer et accommoder chez eux pendant ce tems aucunes personnes ».
Dans la même ville, en août 1771, Jean Michel Reversé est autorisé à « tenir chez lui un billard et d’y donner à jouer au public, à la charge, par lui, de se conformer aux règlemens et aux ordonnances de police, et notamment de ne recevoir et retenir chez lui aucune personne et de ne donner à jouer à qui ce soit pendant le service divin les jours de festes et de dimanches et en tout tems pendant la nuit après dix heures du soir passées ».

Au mépris de l’interdiction maintes fois réitérée, nombre de cabaretiers continuent de servir à boire les dimanches et fêtes pendant le service divin, ce qui, selon l’ordonnance de la chambre épiscopale de Chartres du 23 janvier 1766, occasionne « d’une part, la négligence des habitans audit service divin, de l’autre, des dépenses inutilles préjudiciables au bien et à l’union des familles ». Les multiples amendes prononcées n’y changent pratiquement rien et il arrive même que le zèle de certains curés tourne à leur confusion.

À Charbonnières, le 14 décembre 1760, pendant le prône de la grand’messe, François Viltrouvé, vicaire, se rend chez Lepage pour lui demander « de mettre hors de chez lui ceux qui sont à boire ». À quoi le cabaretier répond qu’il n’est pas « un chasse-coquin » et « qu’il se f. de lui sauf le respect de son caractère ». Marin Bobet, un des buveurs, vide tranquillement son verre avant de se présenter à l’église alors que « le sieur curé n’étoit pas encore descendu de chaire ». C’est, du moins, ce qu’il dira lors de son procès.

À Mainterne, le 26 novembre 1719, Jacques Asselin, curé de la paroisse, quitte « le service des vespres et complies » et, en compagnie du bedeau, entreprend la tournée des cabarets « pour y trouver des buveurs débauchés et empescher le désordre ». Ils réprimandent ceux trouvés chez Bernier et se retirent, l’un, « pour achever ses offices », l’autre, « pour y assister et faire ses fonctions de bedeau ». Le cabaretier, lui, en proie à « une fureur outrée », guette le bedeau à la sortie de l’office et le rosse copieusement en le traitant de « bougre d’espion ».

Sans-gêne ou indifférence religieuse

Périodiquement aussi des ordonnances de police rappellent l’obligation faite à « toutes personnes de quelque état et conditions qu’elles soient de se comporter dans l’église avec la révérence convenable, la sainteté due aux temples et le respect aux mistères qui s’y célèbrent ». Défense est faite « d’y causer aucun scandalle, d’y mener aucuns animaux capables d’occasionner des troubles et d’y faire du bruit a peine de six livres d’amende pour la première fois et de plus grande peine en cas de récidive ».

Église Saint-Pierre de Guillonville

En octobre 1767, à Guillonville, paroisse où, depuis 1559, « l’on trouve de ces quasi-calvinistes connus dans ces quartiers sous le nom de fanatiques », des habitants se tiennent à la porte de l’église pour « railler » ceux et celles qui, juste avant la messe, vont aux « cérémonies de l’eau bénite et de la procession ». Il semble qu’il s’agisse là d’un cas exceptionnel et que les « scandalles » qui éclatent ici ou là soient davantage le fait d’une ferveur religieuse toute relative, voire d’une réelle indifférence, plutôt que d’une intention délibérément sacrilège.

À Frétigny, en novembre 1724, le procureur fiscal se plaint de plusieurs habitants qui « sorte et quite le service divain pendant les brosnes et instrucsions d’iceux qui est un des brinsipal et plus utille partis dudit service divain et a laquelle l’on doit plus faire d’atansion et [qui] s’en vons faire leurs provisions de viande et autres danrées qui son exposée par d’autres particulliers [aux] environs de l’église ».
D’autres « prennent aucasion dudit temps » pour se faire raser chez les chirurgiens et barbiers et « mesme ce retire dans le cabaret ou il jous a la boulle et au petit pallet et autres jeux, ce qui causse un scandalle et mesme un trouple au service divain qui est interonpu par le bruit et mouvemens que font lesdits particulliers tant en sortans que rentrans dans ladite église quand il le juge à propos après lesdits brosnes et instrucsions finis ».

En 1739, suite à divers abus constatés à Dammarie, le maire de Loëns rappelle l’interdiction faite à « touttes personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient de râper du tabac, causer ensemble et commettre d’autres irrévérences en laditte église de Dammarie à peine de dix livres d’amende ».

En décembre 1779, à Tivernon, plainte est portée contre le sieur Gidoin qui, presque tous les dimanches, non content d’affecter « d’essuyer et décroter ses souliers le long des jupons et vêtemens » de sa voisine, fait rire les fidèles qui le voient « luy faire des grimaces, luy grincer les dents et la pousser et coudoyer tant que dure le service divin ».

Tout aussi irrévérencieux, à Montigny-le-Chartif et au « grand scandalle des assistans et du sieur curé », les frères Courtois poursuivent pendant les vêpres du 28 avril 1754 les échanges de coups et de « mots infames » commencés un peu plus tôt dans une auberge du bourg.

Ivresse

Cabaret Ramponneau. Béricourt Etienne vers 1784. Musée Carnavalet.

Certains paroissiens sous-estiment leur degré d’ivresse et perturbent l’office auquel ils ont l’imprudence d’assister.

Ainsi, en décembre 1733, le procureur fiscal de la mairie de Loëns dépose plainte contre Léger Lagrée, journalier de 42 ans demeurant à Dammarie, qui, durant les vêpres entra dans l’église « sy yvre et plein de vin que a peine il pouvoit se soutenir ». Peu de temps après, « lorsqu’on entonna l’hymne du jour ledit Lagrée vomit et jetta dans l’église une grande quantité de vin et d’alliments qu’il avoit prist en trop grande quantité [ce qui] causa un grand scandalle et dérangement dans l’église pendant le service divin ». Il se dégagea « une telle puanteur que quantité de personnes n’y pouvant résister furent obligés de se retirer dans un autre endroit de ladite église ».

L’homme qui pisse. Rembrandt. Bnf.

Lors de son procès, Lagrée prétendra qu’il n’avoit bu « que pour un sol d’eau de vie », une chopine de vin blanc et, au dîner, une pinte de vin avec sa femme et ses deux enfants. Il expliquera son indisposition par le fait d’avoir mangé « à son diné de la viande grace qui luy fit mal ». Ce n’est point l’avis de plusieurs témoins qui ont remarqué que Lagrée chancelait, « qu’il estoit fait comme un déterré » et, d’ailleurs, qu’il s’agit « d’un homme fort sujet au vin, qu’il va de cabaret en cabaret et boit tantost une chopine de vin dans les brocs mesmes et tout d’une haleine sans se servir de verre ».

Des « scandalles » identiques se produisent aux vêpres quand la fréquentation des cabarets croît avec l’avancement de la journée mais à Noël 1726, à Frétigny, après la messe de minuit, François N… « à cause de l’éloignement de sa maison à l’église », reste au cabaret avec des camarades pour attendre « la messe du point du jour » à laquelle il se présente « plein de vin », chancelant et « prêt de renverser ceux qui se trouvoit dans son passage ».

Le curé demande qu’il soit condamné à présenter deux cierges de cire blanche le premier dimanche de Carême « pour être mis et allumé sur l’autel pendant la grande messe ».

Contestation ouverte

D’autres « scandalles » ne sont que la conséquence de conflits personnels entre les villageois et leur curé qu’ils identifient parfois au pouvoir civil.

À Saint-Victor-de-Buthon, à l’issue de la messe du 20 décembre 1739, un subdélégué de l’intendant d’Alençon flétrit les manifestations de « mutineries, révoltes, cabales et séditions » dirigées depuis six mois contre le curé de la paroisse. Dès les vêpres et complies de l’après-midi, François Dareau chante « d’une manière irrégulière, tantost du bas, tantost une espèce de faux bourdon quy écorchoit les oreilles, tantost commençant avant les autres, tantost finissant après ». Il ne tient aucun compte des « avertissements » du curé qui ne sait si ce comportement est une marque « de deffaut de respect et de désobéissance » envers lui, « d’irreligion envers Dieu ou, encore, de quelque intempérance ou de mutinerie ».

L’Avare et la mort Anonyme . 1730. Bnf.

Lors du procès qui suivra, Dareau accusera le curé « d’avoir distribué et fait des aumosnes à sa fantaisie sans rien tirer de sa bourse ». Il le comparera « à Darius par sa vanité, à Judas par son avarice ».

À Digny en janvier 1770, une grande partie des habitants se solidarise avec le fils Bréan qui chantait dans le chœur et que le curé traita de manant avant de le menacer « de le mettre dehors de l’église s’il ne se taisoit pas ». En mars les relations ne sont pas meilleures avec le sieur de Mazangères que le curé, « comme un furieux », chassa de l’église parce qu’il ne tournait pas le visage du côté de l’autel.
À la même époque, paroissiens et gagers présentent requête pour que leur curé soit conduit « ès prisons de l’officialité de Chartres » en l’accusant de les accabler « d’injures de touttes espèces », de s’occuper « de promenades et de chasser plustôt que d’avoir soin de conduire à Dieu les âmes qui luy sont confiées ». Les paroissiens manifestent aussi leur hostilité au curé en l’apostrophant durant les prônes.

À Saint-Aubin-des-Bois, Claude Billion, laboureur, interrompt « journellement ledit sieur Gallet à l’église lorsqu’il fait son prosne en parlant plus haut que lui et en [lui] adressant des paroles injurieuses qui scandalise l’assistance ».
Le 30 juin 1720, il refuse publiquement de payer la dîme et traite de bougre le curé qui invitait les fidèles à le faire en leur lisant « dans son rituel les commandemens de l’église ».

Pendant la grand’messe du 4 août 1776, à Fresnay-l’Evêque, c’est le champart qui provoque la colère de Louis Poucineau. Homme de labour âgé de 36 ans, il reproche au vicaire de ne pas lire l’Évangile « telle qu’elle estoit » et prétend « que la lecture du sieur vicaire estoit pour luy à raison du champart qu’il refusoit de payer au sieur receveur dudit Fresnay ».

Le dimanche de Quasimodo 1730, à Écublé, Guillaume Péan, aussi laboureur, entonne une chanson profane quand le vicaire commence son prône et il refuse de sortir de l’église en rétorquant audit vicaire « qu’il n’avoit point le droit de le commander dans la nef de laditte église et qu’il n’avoit droit que dans le cœur ».

Conflits de préséance

Bien des fois aussi la sérénité des offices est troublée par le peu de cas que font les paroissiens des règles de préséance et de bon ordre fixant les places dans l’église.

En mars 1766, à la Bazoche-Gouet, le procureur fiscal s’insurge contre ceux qui, passant outre les interdictions, s’installent dans le chœur et empêchent ainsi les curés et vicaires « de faire leurs fonctions pour la célébration du service divin ».

Aux vêpres du jour de la Pentecôte 1764, le curé de Bailleau-l’Évêque repousse Marin Chabot du lutrin avant de le chasser brutalement de l’église sous prétexte qu’il « faisoit résistance » pour sortir du chœur.

Plus grave encore, à Saint-Ange, le 29 septembre 1749, « jour étant la feste de Saint-Michel qui est le patron de la paroisse ». À peine Jean Le Roy est-il installé « sur les balustrades de la chapelle de Saint-Nicolas » que le sieur Alexandre Jarry du Parcq, gager, le saisit au collet et le tire sans ménagement de là. À la sortie de la messe, « non content de cette avanie », il le traite de « bougre de gueux », tire son épée et le frappe à coups redoublés qui « l’auroient fait expirer s’il ne se fut sauvé ».

Refus de l’étranger

À Châtaincourt, le 10 juin 1714, les deux sœurs du curé, d’une part, les Dames de la Houssaye, épouse et sœur du seigneur des Ormes, d’autre part, s’affrontent violemment alors que le prêtre « alloit commencer la Passion qui se dit avant la messe ». Les deux premières prétendent s’installer « dans le lieu le plus éminent de l’église à la teste de la nef », place qu’elles disent « avoir fieffée et achetée des gagers et fabriciens » mais que leur disputent les Dames de la Houssaye qui, montrant du doigt le bas de l’église, crient : « Cette place n’appartient pas à de petites gueuses et malheureuses comme vous, votre place est là-bas, vous avez tendu une écuelle de bois dans un hospital avant de venir dans ce pays icy. »

En 1769, « plusieurs personnes qui ne sont point du païs et desquels on ne sçait ny le nom ny la demeure [et] qui sont venus audit Dammarie pour faire la moisson actuelle des bleds », envahissent l’église du village pendant la messe du 30 juillet. Les unes s’installent « dans le banc de l’œuvre destiné pour les gagers marguilliers », d’autres se mettent « dans les bancs de la nef occupés ordinairement par des habitans qui en payent le loyer à la fabrique ». D’autres encore occupent « les places des chantres dans le cœur », s’y tiennent dans « une posture indécente » et s’y couchent « même dans le passage des chapiers, ce qui obligea de cesser de chaper, lesdits particuliers ayant leurs sacqs et faussilles autour d’eux et sur le carreau ». Toutes repoussent « insolemment et avec violence » le curé qui tente vainement de les faire sortir.

Perturbations accidentelles

Certains « scandalles » relèvent d’un événement fortuit dans la vie paroissiale.

À Bazoches-les-Gallerandes, un orage éclate « pendant Magnificat et complies » du 7 juin 1750. Quittant sa place, « avec des clameurs, emportements et même des jurements, allant ça et là pendant l’office [et] troublant l’attention des fidèles qui s’imaginoient voir un lion dans l’église », Jean Huet, cabaretier et syndic de la paroisse, arrache le bedeau de sa place et l’oblige à sonner la grosse cloche que tout le monde sait cassée et « de laquelle tombe un morceau pesant environ quarente livres » manquant de peu d’écraser le malheureux bedeau.
Lors de son procès, Huet déclarera avoir agi en sa qualité de syndic « pour calmer les habitans qui craignoient la perte de leur récolte comme ils ont eu le malheur de l’essuyer il y a environ six ans ». Il ne croit pas avoir offensé le Saint Sacrement « qui n’étoit point sorti du tabernacle et qu’il est d’usage dans la paroisse de Bazoches d’exposer aux yeux des fidelles le Saint Sacrement qu’après complies finy ».

« En état de démence depuis plusieurs années », Gabriel Dezandes, bordager à Saint-Victor-de-Buthon, trouble l’office de la Purification de l’année 1754 en sonnant la cloche avant de se rouler par terre et d’asperger les murs d’eau bénite.

Enfin, il arrive que le service divin soit perturbé par l’animation qui règne aux abords de l’église.
Ainsi, à La Loupe, par ordonnance du 6 septembre 1715, le bailli décide le déplacement du marché qui jusque-là se tenait devant l’église « dans l’endroit vulgairement appellé le cloître ». Trop souvent, les offices étaient interrompus à cause « des paroles et discours indésents » que tiennent les marchands et aussi par « l’entrée que font leurs moutons dans laditte église ».

À Chartres, en mai 1751, les gagers de l’œuvre et fabrique de la paroisse Saint-Hilaire se plaignent des parents qui, même pendant les offices divins, laissent leurs enfants « faire leurs ordures devant et sur le seuil de la principalle porte de ladite église et dans le cimetière qui est devant icelle dans lequel ils sont journellement à jouer du matin au soir à différents jeux ». Il y a là profanation des lieux saints et trouble des offices qui scandalisent « toutes les personnes pieuses ».

Yves LEGRAND
La vie des petites gens au XVIIIe siècle, entre Beauce et Perche

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