Polychromie architecturale et vitraux « en trompe-l’œil » de la cathédrale de Chartres

Jourd’heuil Irène, Boissard-Stankov Emmanuelle. Polychromie architecturale et vitraux « en trompe-l’oeil » de la cathédrale de Chartres. In: Bulletin Monumental, tome 173, n°3, année 2015. La cathédrale de Chartres, Nouvelles découvertes. pp. 223-248.

Irène JOURD’HEUIL *
avec la contribution d’Emmanuelle Boissard **

En 2011-2012, la Direction régionale des affaires culturelles du Centre-Val de Loire a entrepris la restauration des vitraux et des enduits des deux travées occidentales de la nef de la cathédrale de Chartres [1]. Ce chantier a été l’occasion de découvertes importantes, en particulier pour la connaissance du décor original de la cathédrale.

Dès le XIXe siècle, la question de la polychromie de l’architecture médiévale a suscité de vifs débats [2]. Pourtant, à quelques exceptions près [3], le début du XXe siècle a été marqué par un rejet de la couleur et par le développement d’un goût pour une vision monochrome qui conserve encore aujourd’hui une grande emprise sur le regard que nous portons aux édifices médiévaux, en particulier aux édifices gothiques [4].

Durant une grande partie du XXe siècle, ce rejet de la couleur ne s’est pas limité au champ théorique : il a eu des conséquences importantes sur la restauration monumentale. On ne peut, en effet, que déplorer le fait que nombre d’édifices aient été dépouillés de leurs enduits et badigeons anciens au nom d’une esthétique de la pierre nue. Parmi bien des exemples [5], on citera plus spécifiquement, à Chartres, la grande campagne de restauration de la cathédrale menée par Paul Selmersheim au tournant des XIXe et XXe siècles, qui a entraîné le « débadigeonnage » (sic) ou plus exactement le décapage intégral du bras sud du transept, suivi par celui des chapelles du déambulatoire dotées d’un décor néo-gothique [6]. Ces décapages drastiques ont été lourds de conséquences là où, par le passé, on s’était contenté de repeindre les décors anciens, ainsi préservés. Bien qu’il ne soit pas toujours possible de mesurer l’ampleur de ces restaurations, il n’est guère douteux que nombre de polychromies anciennes furent ainsi sacrifiées au nom d’une supposée pureté originale [7].

C’est dans les années 1970 seulement qu’un véritable intérêt s’est à nouveau manifesté pour la couleur architecturale et encore s’est-il longtemps limité aux scènes historiées ou bien à la polychromie des sculptures [8], notamment à travers l’étude des portails et des façades [9]. Certains facteurs peuvent, certes, expliquer le peu de travaux menés jusque-là dans un domaine d’étude qui soulève nombre de problèmes : altérations des peintures au cours des siècles ; superpositions souvent complexes de couches de polychromie d’époques variées ; difficultés d’observation en dehors des chantiers de restauration ; disparition pure et simple, à l’occasion de chantiers peu soigneux, mais aussi moindre intérêt suscité par ces décors en raison de leur simplicité. Ce sont le plus souvent, pour la période gothique, de simples tracés de joints imitant un appareil en pierre, bien moins spectaculaires que certains grands décors figurés de l’époque romane, comme les célèbres peintures de Saint-Savin-sur-Gartempe.

Le regain d’attention accordé ces dernières années à la polychromie architecturale a donné lieu à de nombreux articles et travaux universitaires [10], notamment de la part des chercheurs anglais [11] et allemands, qui ont joué un rôle pionnier dès les années 1950. Parmi ces derniers [12], il faut rendre un hommage particulier à Jürgen Michler. Ce dernier a, en effet, été à l’origine de plusieurs publications déterminantes, dont un article en allemand, paru en 1977, sur la polychromie gothique de la France du nord [13]. Il y abordait, entre autres, la question du décor de la cathédrale de Chartres, à la suite de la campagne de travaux dirigée entre 1963 et 1970 par Charles Dorian, ACMH, entre les quatrième et septième travées de la nef et dans la croisée du transept. Il fallut néanmoins attendre 1989 pour que ses recherches rencontrent un certain écho en France avec la publication, dans le Bulletin monumental, d’un article sur la polychromie originale de la cathédrale dont la restitution proposée marqua fortement les esprits [14]. Cette publication fut du reste l’un des éléments qui déclenchèrent le chantier de restauration intérieure de la cathédrale de Chartres. Celui-ci, engagé depuis 2008 par la Direction régionale des affaires culturelles du Centre-Val de Loire nous permet de retrouver peu à peu la lumineuse polychromie architecturale d’origine [15].

Dans le prolongement de l’article de Jürgen Michler, la Conservation régionale des Monuments historiques avait, dès 1992, confié une étude préalable à Guy Nicot, ACMH [16]. Celle-ci s’appuya sur les résultats de nombreux sondages réalisés dans tout le monument, à l’exclusion des voûtes, par l’atelier de Brice Moulinier, restaurateur de peintures murales qui effectuait alors une campagne équivalente à la cathédrale de Tours. Remise à la DRAC en 1994, l’étude de Guy Nicot a permis de confirmer la présence, sur les parements de la cathédrale, de trois principales campagnes de mise en couleur. Le dégagement de la première d’entre elles – la polychromie d’origine, liée à des peintures murales simulant des vitraux qui ont été redécouvertes en 2010 – a contribué à renouveler notre vision de l’édifice (fig. 1).

LA POLYCHROMIE ORIGINELLE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES
Les peintures décoratives

Comme l’avait déjà vu Jürgen Michler et comme l’ont confirmé les sondages de l’étude de 1994, la cathédrale de Chartres présente, à l’intérieur, trois principales campagnes de mise en couleur [17].

Le décor peint le plus récent, qui ne se retrouve pas partout, est un fin badigeon beige, appliqué sans distinction sur les murs, les voûtes et les éléments structurels de l’édifice et orné d’un faux-joint rouge bordeaux généralement tiré à la règle [18]. Il semble lié à la campagne de remise en couleur de la cathédrale entreprise à la toute fin du XVIIIe siècle, à l’occasion du réaménagement du chœur liturgique par Victor Louis [19], et achevée au XIXe siècle [20].

Très lacunaire et sans doute brossé avant l’application du précédent badigeon, le deuxième décor est un badigeon rose orangé [21], surligné de faux-joints [22] peints au badigeon de chaux blanc. Il recouvre l’ensemble des parois et des voûtes, mais les lignes structurelles de l’édifice et l’essentiel des éléments sculptés sont en blanc. Le tracé des faux-joints respecte très largement celui du décor précédent sauf dans les retombées des voûtains. La découverte, dans le triforium du chœur, d’un graffito de 1414 ou 1484 qui entame ce deuxième badigeon donne un terminus ante quem qui permet de dater ce décor de la période médiévale [23]. Les auteurs s’accordent pour l’attribuer au XVe siècle [24], en relation peut-être avec la campagne de restauration des vitraux qui, selon le compte de dépenses de l’œuvre de la cathédrale, débuta en 1415-1416 [25]. Pour Michel Boutier cependant, ce deuxième badigeon serait contemporain du décor héraldique des clés du haut-chœur, dont la récente analyse menée par Michel Pastoureau a démontré qu’il a dû être réalisé entre 1257 et 1261 [26] et même très probablement avant la dédicace de la cathédrale le 17 octobre 1260 [27].

À la différence du premier, ce deuxième décor n’est pas constitué que d’un simple faux-appareil : il est enrichi de motifs ornementaux, en particulier sur les deux rouleaux des grandes arcades de la nef dont l’extrados est souligné d’une frise d’arcs retombant sur les joints de lit en coupe par l’intermédiaire d’une bague ; l’ensemble dessine une frise d’arcatures décorative. Dans la mesure où ce répertoire décoratif, très en vogue au XIIIe siècle, fut d’un usage courant jusqu’au milieu du XIVe siècle, on peut s’interroger sur la datation de ce décor, qui pourrait être plus ancien qu’on ne l’a supposé jusque-là.

Le premier décor peint correspond pour sa part au décor primitif de la cathédrale gothique, contemporain de sa construction, comme l’ont confirmé l’étude archéologique des élévations et l’analyse stylistique des peintures murales historiées, retrouvées dans les travées occidentales et qui font partie intégrante de ce décor. Celui-ci consiste essentiellement [28] en un enduit très mince composé d’un fin mortier de chaux et de grains de sable beige rosé qui, dans certaines parties de l’édifice, a été recouvert d’une fine couche de badigeon beige clair [29]. La pose de cet enduit en une couche aussi fine et aussi plane révèle une très grande maîtrise technique. Il est orné d’un décor de faux-joints très régulier et gras, peint sur l’enduit frais à la chaux blanche et à main levée [30]. Dans la zone qu’elle a étudiée dans le déambulatoire, Claire Dandrel a souligné la parfaite régularité de ce réseau dont les traits verticaux mesurent 1,8 cm de large et les traits horizontaux 1,3 cm ce qui atteste par ailleurs ici l’utilisation de deux pinceaux différents pour la réalisation de ce décor et la très grande qualité de sa mise en œuvre [31].

Certains des sondages effectués en 1992 avaient montré que, dans les travées occidentales et dans la nef, ce réseau de faux-joints avait été appliqué sur un tracé légèrement incisé dans l’enduit frais. En revanche, cette pratique ne se retrouve ni dans le haut-chœur [32] ni dans le déambulatoire, où les faux-joints ont été réalisés grâce à un cordeau trempé dans un pigment rouge liquide. La trace de cordeau n’est pas toujours visible, mais la présence de gouttelettes rouges, caractéristiques de ce type de mise en œuvre, a été observée en plusieurs emplacements [33].

Ce premier décor était appliqué sur les voûtes et leurs nervures, les murs et les piliers – y compris sur le noyau des piles composées – ainsi que sur les allèges et les encadrements des fenêtres. En revanche, les colonnes engagées des piles composées, les chapiteaux et la plupart des moulures avaient reçu un simple badigeon de chaux blanc [34]. Ponctuellement, cet enduit a pu être observé sur le soubassement des piles, mais, en l’absence de traces repérées, il est difficile de dire s’il existait des faux-joints à cet emplacement [35].

Ce type de décor à faux-joints blancs sur fond ocre, attesté au milieu du XIe siècle à Saint-Philibert de Tournus [36], semble avoir été assez courant dans les édifices du Moyen Âge central. La formule de Chartres est celle des édifices du premier art gothique [37], comme les cathédrales de Soissons, de Laon ou encore de Noyon [38], mais aussi de diverses constructions contemporaines de la cathédrale, qu’il s’agisse de simples églises paroissiales rurales, de collégiales [39], d’abbatiales et bâtiments conventuels [40] ou de cathédrales [41].

En l’état actuel de nos connaissances et à l’exception de l’Alsace, ce type de décor semble donc avoir été, au XIIIe siècle, le plus fréquent au nord de la France [42], comme l’ont montré, entre autres, la thèse de Géraldine Victoir pour la Picardie [43] ou les observations faites à l’occasion de chantiers récents dans les cathédrales de Châlons-en-Champagne, Tours ou Beauvais [44]. Il se retrouve par ailleurs dans l’architecture civile [45], par exemple dans les salles du donjon du château de Coucy [46], de l’hôtel de Vermandois à Senlis, du logis de Châtillon-sur-Indre [47] et, à Chartres même, dans certaines maisons canoniales, notamment celle du 4 rue du cloître Notre-Dame.

Fig. 1 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, travées occidentales de la nef, partie haute, côté sud.

Fig. 2 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, deuxième travée sud de la nef, oculus aveugle, détail, musicien à la harpe.

Fig. 3 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, première et deuxième travées sud de la nef, roses aveugles.

Si tous ces exemples, parmi bien d’autres, montrent que le décor de la cathédrale de Chartres était assez courant au XIIIe siècle, son état de conservation plus de 800 ans après sa mise en œuvre est exceptionnel. Masqué par les badigeons ultérieurs et par l’encrassement du temps [48], il est en effet conservé à 80 % des surfaces existantes – sauf dans les parties du chœur réaménagées au XVIIIe siècle et dans celles qui ont été décapées au début du XXe siècle. La cathédrale de Chartres, qui a conservé presque intégralement son architecture, son programme sculpté [49], ses vitraux et son décor du XIIIe siècle, apparaît ainsi comme un unicum.

Si, en l’absence de source historique [50], la datation de ces différents décors de faux-appareil pose problème – comme c’est généralement le cas –, l’analyse du bâti, celle des différents éléments du décor et, surtout, la découverte dans les travées occidentales de peintures murales figurées représentant des vitraux peints en trompel’œil simulant la présence de roses, apportent des éléments de réponse à ce sujet (fig. 2) [51]. Elles tendent, en tout état de cause, à confirmer la datation haute de l’enduit ocre jaune dans les travées occidentales et, au-delà, dans l’ensemble de la cathédrale, compte tenu de la très grande rapidité de la construction et de l’homogénéité du parti décoratif.

Les vitraux en « trompe-l’œil »

Contrairement aux sept autres travées de la nef, les deux premières travées occidentales de la cathédrale sont aveugles en raison de la présence des deux tours de clocher encadrant la façade occidentale. Pour tenter de mieux comprendre la chronologie de cette partie de l’édifice sur laquelle des hypothèses parfois contradictoires ont jusqu’à présent été formulées [52], une étude de bâti a été confiée en 2010 à l’entreprise Archeodunum, en accompagnement du chantier de restauration de ces travées [53]. Cette étude a permis d’une part de préciser la chronologie relative du massif occidental, et d’autre part d’analyser le fonctionnement du chantier de mise en couleur de la cathédrale en confirmant, notamment, l’appartenance des vitraux peints au programme décoratif originel.

Dans la mise en œuvre des parties hautes de ces travées, on observe un évident souci de respecter le parti architectural adopté dans le vaisseau central de la cathédrale gothique. Rappelons combien ce parti, déterminé sans doute avant l’habillage des tours, était novateur puisque, jusque dans les années 1190, les fenêtres hautes n’étaient constituées que de deux ou trois lancettes en arc brisé ou en plein cintre réunies [54], alors qu’une rose composée d’un polylobe central ceint de quadrilobes surmonte ici les baies géminées.

Dans un souci d’unité, les travées occidentales ont été dotées, par placage, d’un système de baies aveugles composées, comme les fenêtres hautes, de deux lancettes couronnées d’un oculus orné d’une rose polylobée à huit pétales cantonnée de huit petits quadrilobes [55] (fig. 3) avec, cependant, quelques variantes dans les proportions. Ainsi, outre le décalage du niveau de leurs allèges – celles des fausses baies sont plus hautes que celles des baies réelles –, les deux travées aveugles présentent une irrégularité de leurs dimensions qui se répercute sur les lancettes. Celles-ci sont ainsi plus trapues à l’est, où la travée est plus large [56]. Ce traitement du mur témoigne d’une volonté d’harmonisation plastique et esthétique avec les baies voisines, fréquente dans l’architecture gothique lorsqu’il est, pour une raison ou pour une autre, impossible d’ouvrir une baie comme, par exemple, dans les cathédrales de Bourges ou de Sens [57] ou encore dans le chœur de Saint-Père de Chartres. La découverte, dans les roses aveugles de Chartres, de peintures simulant des vitraux très proches de ceux de la nef, donne la mesure de cette volonté unificatrice.

Vitraux en trompe-l’œil et vrais vitraux sont contemporains de la polychromie d’origine. Plus encore, les peintures des roses ont comme support le même enduit que celui ayant servi de fond au premier décor de la cathédrale [58] : dans les quatre oculi, les tracés de construction du décor peint, gravés à la règle et au compas, ont en effet été incisés sur l’enduit frais (fig. 4). Par ailleurs, la trace, dans la lancette occidentale de la première travée sud, d’une sinopia peinte en rouge témoigne de l’existence d’un projet plus vaste de grandes figures en trompe l’œil, programme qui fut rapidement interrompu (fig. 5).

Fig. 4 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, deuxième travée nord, tracés régulateurs de l’oculus (détail de l’un des quadrilobes périphériques). Cl. E. Boissard.

Fig. 5 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, première travée sud, lancette ouest, détail de la sinopie. Cl. C. Dandrel

Si cette sinopia est la seule trace de peinture retrouvée dans les lancettes 59, le projet décoratif global semble confirmé par la présence, sur cinq autres lancettes [60], d’une même couche préparatoire qui consiste en une polychromie rouge bordeaux très adhérente appliquée sur l’enduit du XIIIe siècle (fig. 6). L’étude de la mise en œuvre de cette couche préparatoire confirme la simultanéité de la réalisation des enduits et des peintures murales. En effet, alors que la peinture rouge recouvre d’ordinaire l’enduit originel, on trouve, dans le tiers inférieur des lancettes sud de la première travée, des coulures rouges sous l’enduit du XIIIe siècle à la jonction entre deux zones d’application (pontate) de ce même enduit, zones vraisemblablement déterminées par les platelages d’un échafaudage. Le projet de mise en couleur de ces lancettes semble donc avoir été abandonné en cours de réalisation.

Divers autres indices révèlent une certaine précipitation du chantier dans ce secteur de la cathédrale, comme les faisceaux de colonnettes situés à l’aplomb du pilastre divisant le second niveau des tours, au-dessus de la corniche sur modillons, qui restèrent inachevés – dans leur partie supérieure, l’enduit originel recouvre les tronçons de fûts aussi bien que les bagues destinées à réunir les tronçons en délit retenus par des goujons métalliques. Par ailleurs, l’enduit ne s’étend pas à l’ensemble des élévations des deux premières travées. Si on le retrouve sur la totalité du revers de la façade occidentale, seules les parties hautes des côtés nord et sud des deux travées (au niveau des lancettes et oculi aveugles) ont été enduites ainsi que, au droit de la façade, une bande de moins de deux mètres de largeur, sur toute la hauteur restante [61]. La restitution de l’échafaudage permet d’expliquer pourquoi certaines zones furent enduites tandis que d’autres ne le furent pas : les parties hautes des deux premières travées de la nef étant accessibles depuis les étages des tours, il n’était pas nécessaire d’installer un échafaudage sur toute la hauteur de l’élévation, au contraire de la façade où les contraintes d’accès imposaient un échafaudage complet [62]. Au cours du chantier du XIIIe siècle, l’enduit ne fut donc appliqué que sur les zones directement accessibles par ces échafaudages, les bandes en retour côté ouest l’ayant été depuis les platelages de l’échafaudage de la façade.

Fig. 6 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, deuxième travée sud, lancette aveugle est, détail du fond peint en rouge bordeaux et de la sinopie des architectures de la partie sommitale. Cl. E. Boissard

Fig. 7 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, deuxième travée nord, lancette aveugle est, détail du deuxième état de décor peint recouvrant la polychromie rouge bordeaux des lancettes occidentales. Cl. E. Boissard

De même, dans son étude de l’appareil et des techniques de construction des voûtes, Arnaud Ybert a conclu à leur mise en œuvre rapide et sommaire pour recevoir l’enduit couvrant à faux-joints peints dont la date est assurément précoce : sans doute vers 1210-1220 [63], et plus probablement peu avant 1210, puisqu’à cette date la nef était en fonction, avec un chœur provisoire [64].

Ces diverses observations nous renseignent sur le chantier de mise en couleur de cette partie de l’édifice avec une progression du décor a priori concomitante de l’élévation ou de l’habillage des murs, de manière, sans doute, à profiter des échafaudages [65]. La pose de l’enduit a, de façon logique, dû être réalisée en descendant depuis les voûtes – c’est, du moins, ce que laisse penser sa présence, dans le chœur, sur les trous de boulins rebouchés après la construction des murs et des voûtes [66].

Ces observations révèlent par ailleurs une précipitation du chantier qui explique probablement l’inachèvement du programme peint, précipitation peut-être due à une visite importante. On sait ainsi que Philippe Auguste, cousin de l’évêque Renaud de Mouçon et qui a contribué au financement de la cathédrale, vint à Chartres en 1210, date à laquelle il donna par ailleurs 200 livres pour la construction de l’édifice [67]. Un lien pourrait-il également être établi avec la révolte de la population de Chartres contre le chapitre en 1210 [68] ?

En tout état de cause, les badigeons postérieurs au décor d’origine et en particulier le plus ancien des deux sont venus recouvrir l’intégralité des lancettes, ce qui tendrait à conforter l’hypothèse d’une datation haute du deuxième décor (fig. 7). En effet, on imagine mal que l’on ait laissé longtemps visibles des lancettes au revêtement hétérogène [69]. En revanche, le décor des roses déjà réalisées ne fut sans doute pas masqué avant le XIXe siècle par le badigeon beige gris à faux-joints orange pâle [70]. On semble donc avoir souhaité laisser visible un décor de grande qualité dont la finalité d’origine n’était sans nul doute pas seulement ornementale.

MISE EN ŒUVRE TECHNIQUE

Fig. 8 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, deuxième travée sud, rose aveugle, empoussièrement des peintures avant restauration. Cl. I. Jourd’heuil / DRAC Centre-Val de Loire / CRMH.

Lors de leur découverte, les peintures des roses présentaient un état de conservation médiocre. À peine distinguait-on quelques figures de musiciens assis sur des trônes. Outre le fort encrassement (fig. 8), les principales altérations subies par ces peintures, notamment celles du côté nord, semblaient dues à des infiltrations d’eau. Cette différence d’état de conservation doit probablement être mise en relation avec l’achèvement plus tardif de la tour nord mais peut-être aussi avec l’arrachage du plomb des toitures en 1794 qui laissa la charpente à l’air libre jusqu’en 1797 [71] ; ou encore avec l’incendie survenu le 4 juin 1836 qui détruisit la charpente médiévale en bois de la cathédrale – la nouvelle charpente ne fut achevée qu’en 1841.

Quoi qu’il en soit de leur origine, ces infiltrations ont favorisé le développement de micro-organismes et largement fragilisé les peintures, en dégradant les liants de cohésion de la couche picturale et en suscitant des écailles allant ponctuellement jusqu’à provoquer d’importantes usures, voire des lacunes de la peinture, qui apparaît comme délavée. Ce phénomène était particulièrement visible dans les parties supérieures des roses sud où les parements semblaient même complètement à nu, notamment au niveau des joints d’appareillage du parement. Par endroit, le ruissellement de l’eau avait par ailleurs creusé de petits sillons d’écoulement dans l’enduit de préparation le long des gravures de tracé du dessin préparatoire (fig. 9).

Fig. 9 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, deuxième travée sud, rose aveugle, sillons d’écoulement dans l’enduit de préparation le long des gravures de tracé du dessin préparatoire. Cl. I. Jourd’heuil / DRAC Centre-Val de Loire / CRMH.

Comme les vitraux des fenêtres hautes de la nef, les peintures des quatre roses aveugles sont composées d’une rose polylobée à huit pétales cantonnée de huit petits quadrilobes. Leur dégagement et leur restauration [72] ont été l’occasion d’observer et d’analyser les caractéristiques techniques de ce décor, certes usé, voire en partie disparu au nord, mais remarquable par la très grande qualité de sa mise en œuvre et qui, à la différence de beaucoup d’autres ensembles peints de cette époque, n’avait jamais été restauré jusqu’à nos jours.

Fig. 10 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, restitution schématique du tracé régulateur des roses. Relevé et mise au net E. Boissard.

Il convient d’abord de souligner la rigueur de composition du dessin (fig. 10). Les tracés de construction, identiques pour les deux travées en dépit de leur différence de proportions, ont été gravés avec une très grande régularité sur l’enduit de préparation – appliqué à la brosse encore souple – à l’aide de compas et de règles, à partir du centre de la rose, dans un cercle de 3 m de diamètre pour la première travée et de 4,5 m de diamètre pour la deuxième travée. Ces tracés déterminent quatre droites fournissant un repère orthonormé et ses bissectrices, sur lesquelles se greffent quatre cercles concentriques, puis les huit cercles des pétales (de 0,62 m de diamètre dans la première travée et de 0,82 m dans la deuxième travée). Chaque quadrilobe intercalé est, quant à lui, composé de cinq petits cercles imbriqués.

Ces tracés renvoient à une méthode décrite dans divers livres de recettes médiévaux comme le Liber diversarum artium, daté des environs de 1300 [73]. Dans ce traité, sorte de manuel des arts de la peinture, le dessin (qu’il soit sur papier ou sur pierre) est présenté comme la première étape de la formation artistique et la base de toute peinture. On conserve du reste la trace de ce mode opératoire dans plusieurs autres ensembles, comme, à l’époque romane, dans la représentation des funérailles de saint Hilaire à l’église SaintHilaire d’Oizé [74] ou, à l’époque gothique, à la chapelle des Templiers de Montbellet (Saône-et-Loire) [75], en particulier pour ordonnancer les visages, avec des tracés qui rappellent les procédés de calibrage des figures animées proposés au XIIIe siècle par Villard de Honnecourt dans son Album [76].

Les tracés préparatoires retrouvés à la cathédrale de Chartres apparaissent tout particulièrement soignés. Ils structurent les scènes avec une symétrie parfaite, tant en ce qui concerne la composition que les motifs figurés eux-mêmes. Il en est ainsi des deux visages situés au sud, divisés en deux parties symétriques par le tracé régulateur, de la vièle « en huit » de l’un des musiciens, ou encore des motifs de feuilles dans les pétales qui, eux aussi, présentent une quasi parfaite symétrie de part et d’autre de l’axe de construction du dessin (fig. 11 et fig. 12).

Fig. 11 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, deuxième travée sud, rose aveugle, tête de musicien avec l’axe de composition du visage. Cl. I. Jourd’heuil / DRAC Centre-Val de Loire / CRMH.

Fig. 12 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, deuxième travée sud, rose aveugle, lobe avec l’axe de composition. Cl. I. Jourd’heuil / DRAC Centre-Val de Loire / CRMH.

Cette préparation graphique doit être rapprochée des dessins d’architecture de l’époque et notamment des épures réalisées à l’aide d’équerres et de compas à pointe ou à ficelle. Or, selon Wolfgang Schöller, leur apparition est contemporaine du chantier de Chartres : les exemples les plus anciens repérés, ceux de l’abbaye cistercienne de Byland (Yorkshire), ne seraient pas antérieurs à la dernière décennie du XIIe siècle – il s’agissait en l’occurrence d’un projet de rose pour la façade occidentale, assorti d’un détail de la partie centrale [77].

Les peintures de Chartres ont, pour leur part, été réalisées à la détrempe, par couches de glacis superposés et avec des pigments naturels appliqués à l’aide d’un liant composé de colle de peau et de lait de chaux. À la demande de la Conservation régionale des Monuments historiques, le Laboratoire de Recherche des Monuments historiques (LRMH) a entrepris, sous la direction de Vincent Detalle, responsable du pôle peintures murales, une étude des pigments au moyen d’un spectromètre LIBS (spectrométrie d’émission optique sur plasma induit par ablation laser) [78]. Le Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF/CNRS), équipé d’un appareil de fluorescence et diffraction des rayons X, a par ailleurs étudié les compositions élémentaires et structurelles des composés de la peinture [79]. Enfin, les Universités de Reading (Royaume-Uni) et Rochester (États-Unis), en partenariat avec le C2RMF et le LRMH ont développé un système térahertz qui a permis d’observer les défauts de structure des différentes couches [80].

Ces analyses ont révélé, entre autres, la présence de terres naturelles, avec des traces de cuivre et de mercure ainsi que l’utilisation de pigments au plomb [81]. Au moins trois pigments semblent ainsi avoir été utilisés pour réaliser les colorations rouges (le minium, le cinabre ainsi que l’ocre rouge). Ceux-ci se retrouvent toujours en présence d’autres pigments et notamment du blanc de plomb. Les colorations jaunes contiennent toutes des terres naturelles en mélange avec le composé de plomb. La couronne et la robe du musicien de la deuxième travée sud ont néanmoins révélé l’existence d’un mélange particulier de terres naturelles dont un jaune d’étain et de plomb tout particulièrement lumineux. Outre le bleu d’azurite, on a également pu repérer deux tonalités de vert, la première de couleur vert brun, surtout présente dans les fonds, semble être constituée de terres vertes. La seconde, plus foncée, qui semble composée d’un pigment à base de cuivre. Le noir est très vraisemblablement un noir de carbone. Les décors blancs semblent avoir été réalisés avec du blanc de plomb. Enfin, toutes les carnations sont composées de pigments au plomb, très certainement du blanc de plomb.

Ce décor présente un grand raffinement chromatique, fondé sur l’emploi d’une palette certes limitée mais riche par la diversité des nuances employées. Le cinabre semble notamment avoir été utilisé en très petite quantité pour jouer sur les tonalités délicates, comme pour la main du musicien de la première travée sud ou les lèvres du musicien de la travée voisine.

L’ICONOGRAPHIE

La restauration a permis la mise au jour, côté sud, de deux roses peintes d’une très grande qualité technique et picturale. Dans la première travée, un personnage dont le visage n’est malheureusement plus lisible apparaît sur un fond rouge uni (fig. 13). Il est vêtu d’une robe verte et d’un manteau gris et porte des chausses noires décorées de perles. Il est assis sur un trône orné de chapiteaux à crochets et, avec un long archet tenu à l’allemande, joue d’une vièle « en huit » [82]. Celle-ci est, ici encore, jouée debout sur les cuisses, entre les jambes (« da gamba »), et tenue contre la poitrine, conformément à la description donnée par Jérôme de Moravie dans son Tractatus de Musica [83], vers 1280, et telle qu’on la retrouve vers 1200 dans l’Arbre de Jessé du Psautier d’Ingeburge [84] ou, vers 1270-1280, dans la rose nord de la cathédrale de Tours [85]. Le personnage occupe un médaillon constitué de plusieurs filets de couleur de largeur irrégulière composant le cœur d’une rose polylobée à huit pétales. Ces derniers abritent des motifs de fleurons et de palmettes. L’ensemble est cantonné de petits quadrilobes au cœur également quadrilobé.

Fig. 13 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, première travée sud, oculus. Cl. H. Gaud.

Dans la deuxième travée, un personnage couronné vêtu d’une robe jaune éclatante et d’un manteau blanc est représenté sur un trône très ouvragé, orné de chapiteaux évoquant les chapiteaux à crochets de l’architecture contemporaine. Ce personnage porte les attributs du roi David : un sceptre couronné d’un fleuron dans la main droite et, dans la main gauche, posée sur sa cuisse gauche, une harpe à dix cordes – instrument à cordes pincées auquel les psaumes se réfèrent fréquemment. Comme dans la première travée, le médaillon est constitué de plusieurs filets de couleur dont l’un est orné d’une frise de feuilles (fig. 2 et 14). L’ensemble compose là encore une rose polylobée à huit lobes ornés de feuilles grasses et de petits quadrilobes.

Fig. 14 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, deuxième travée sud, rose aveugle. Cl. H. Gaud.

Fig. 15 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, première travée nord, rose aveugle, détail (quart sup. droit). Cl. F. Lauginie / DRAC Centre-Val de Loire / CRMH.

Du côté nord, où les restes de matière picturale étaient très faibles, la restauration a tenté un traitement et des refixages successifs de même nature que ceux mis en œuvre côté sud. Il en est résulté une régénération progressive des différentes strates, particulièrement de la couche superficielle avec une réactivation des zones pigmentées et une identification partielle des motifs disparus.

Dans la première travée, un personnage aux traits fins et aux cheveux blonds, bouclés, est ainsi réapparu. Assis sur un trône, il joue d’une vièle à archet (fig. 15) – sans doute une vièle piriforme, jouée sur l’épaule (« da braccio »), dans un positionnement proche de celui que l’on trouve vers 1270-1280 dans un médaillon de la rose nord de la cathédrale de Tours [86]. Comme au sud, le médaillon est constitué de plusieurs filets de couleur qui donnent naissance à huit lobes ornés de feuillages et cernés de petits quadrilobes (fig. 16).

Fig. 16 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, première travée nord, rose aveugle. Cl. H. Gaud.

Fig. 17 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, deuxième travée nord, rose aveugle. Cl. H. Gaud

Dans la deuxième travée, le sujet est demeuré quasiment illisible, même après restauration. Seul subsiste le schéma régulateur et quelques éléments du décor, comme la frise de feuilles qui souligne l’un des filets de couleur de la rose ou les motifs végétaux ornant les polylobes (fig. 17). La restauratrice a émis l’hypothèse d’une scène comportant un personnage sur la gauche de la rose, coiffé d’une haute coiffe et assis de profil [87]. Elle a proposé d’y voir un joueur d’orgues mais il pouvait aussi s’agir d’un joueur de carillon, instrument fréquemment associé à David, par exemple dans le Psautier de Hunter conservé à l’Université de Glasgow [88] ou dans une Bible des années 1220-1230 conservée à la Bibliothèque Mazarine [89]. Le dessin demeure néanmoins trop peu lisible pour être interprété avec certitude.

Complétant cet ensemble, on évoquera enfin la sinopia retrouvée dans la lancette de la première travée sud [90] (fig. 18). Elle représente, jusqu’à la taille, un grand personnage barbu et, semble-t-il, un peu échevelé. Il s’agit probablement d’un prophète, nimbé, au front ridé. Il tient un livre dans la main droite et, dans la main gauche, un phylactère comportant les vestiges d’une inscription qui n’a pu être lue. Comme dans plusieurs autres œuvres contemporaines, notamment les évêques des verrières hautes de la cathédrale de Bourges, le personnage se tient debout sous une arcature, ici trilobée, couronnée d’une architecture.

Aucune trace de décor n’a été repérée sur les autres lancettes, ce qui tend à confirmer l’hypothèse que, comme pour les enduits, les peintures ont été réalisées en   commençant par les parties hautes, c’est à dire les roses, tandis que, dans les lancettes, on en resta au stade préparatoire. Il s’agit ici d’une simple sinopia et non d’un tracé régulateur gravé dans l’enduit – mais si celui-ci était indispensable dans le cadre géométrique des polylobes, il ne l’était peut-être pas dans une lancette. Plusieurs questions subsistent néanmoins : cette sinopia isolée était-elle une proposition destinée à être validée par le commanditaire ? Les peintures murales des oculi ont-elles recouvert un tracé préparatoire peint qui ne serait aujourd’hui plus lisible ?

LE STYLE

Malgré l’importance des pertes, les vestiges qui nous sont parvenus laissent transparaître quelques caractéristiques stylistiques essentielles pour appréhender le travail du peintre et pour le situer dans le temps.

Certains caractères propres à la peinture gothique se retrouvent ici comme la représentation des personnages sur un arrière-plan dépourvu de toute indication de paysage, toile de fond uniforme qui donne de l’air à la composition [91]. Comme dans d’autres images de la même époque, la bordure, qui définit conventionnellement le lieu de l’action et forme la limite du champ, est par ailleurs régulièrement transgressée par ce qu’elle devrait contenir, notamment les pieds, les têtes couronnées et même l’archet du musicien « da gamba » [92].

Par leur position frontale, les deux personnages situés du côté sud présentent un hiératisme qui n’est pas sans évoquer celui des rois de la verrière romane de la façade occidentale représentant l’Arbre de Jessé. Ce hiératisme est néanmoins ici nuancé, voire humanisé, par un trait, certes appuyé, mais qui dessine des formes souples. Il accompagne ainsi avec une grande fluidité les proportions étirées des personnages aux membres longs et fins ainsi que les plis de leurs vêtements qui établissent un étroit rapport entre le corps et les draperies qui l’enveloppent.

Cette manière de peindre peut être rapprochée du style 1200, et notamment du Psautier d’Ingeburge réalisé pour l’épouse de Philippe Auguste entre 1193 et 1214. Dans le Christ du Couronnement de la Vierge (fol. 34) ou dans la scène de la Pentecôte (fol. 32v), on retrouve notamment une semblable multiplication des draperies aux plis serrés, creusés en cuvettes qui épousent la forme du corps. Si, dans le premier tiers du XIIIe siècle, les éléments de comparaison sont peu nombreux dans la peinture murale, on en trouve, nous semble-t-il, dans certains manuscrits contemporains : un martyrologe de la Bibliothèque municipale de Dijon vers 1224-1235 [93], un manuscrit de celle d’Évreux daté vers 1230 [94] ou encore un Psautier à l’usage de Limoges conservé à Besançon [95]. Les feuillages des lobes des roses sont également très proches de ceux d’une Bible conservée à Troyes, datée entre 1220 et 1226 [96]. Au sein de cette peinture  des années 1200, les roses de Chartres se distinguent toutefois par leur grande qualité de réalisation, leur grande souplesse et leur rare élégance. Ainsi l’analyse du style, qui conduit vers la première ou deuxième décennie du XIIIe siècle, tend à confirmer la datation de cette partie de l’édifice et, corrélativement, la réalisation très rapide des enduits.

VRAIS ET FAUX-VITRAUX

Fig. 18 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, première travée sud, relevé de la sinopie par Ch. Grenouilleau. Cl. recomposé par Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, V. Lamorlette-Pingard.

Les peintures murales de Chartres relèvent de la technique du « trompe-l’œil », mais ce mot doit ici être employé avec des guillemets car l’objectif des maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre n’était probablement pas celui auquel nous songeons naturellement. Ce procédé, hérité de l’Antiquité, fut très utilisé au Moyen Âge, tout particulièrement pour représenter des motifs ornementaux comme des grecques. Jusqu’au XIIIe siècle, il fut ainsi presque exclusivement réservé à des motifs abstraits [97]. Par la suite, le procédé fut aussi utilisé pour la représentation d’éléments d’architecture. Outre le faux-appareil d’origine antique récurrent au Moyen Âge, on pense à la représentation assez fréquente de nervures, remplages ou encore de supports et d’arcatures feintes sur des surfaces planes, particulièrement au haut Moyen Âge [98].

Ce procédé semble en revanche avoir été plus rarement utilisé pour la représentation de vitraux [99]. Dans ce dernier  domaine, on trouve plutôt, soit la reprise ponctuelle de tel ou tel élément du vocabulaire du vitrail [100], soit une simulation plus globale des baies et des vitraux sur des murs pleins créant des parallèles parfois très étroits entre les deux arts monumentaux [101].

On peut, dans l’architecture civile, citer les exemples du décor de quadrilobes de la chapelle du château de Farcheville [102], construit à la fin du XIIIe siècle évoquant les médaillons des vitraux contemporains [103], ou encore le décor du logis de Châtillonsur-Indre (fin du XIIIe ou début du XIVe siècle) [104]. Néanmoins, la plupart des exemples connus appartiennent à l’architecture religieuse où ils présentent une certaine diversité.

On s’est souvent contenté de représenter des remplages évoquant une baie sur des murs par ailleurs complètement lisses, comme dans la chapelle Sainte-Marguerite de la cathédrale d’Amiens, à l’ancienne église des Clarisses de Pfullingen dans le Bade-Wurtemberg (seconde moitié du XIIIe siècle) ou encore dans la sacristie de Sainte-Élisabeth de Marbourg (XIIIe siècle). Bien que plus tardif, on citera aussi l’ensemble découvert dans les années 1950 dans l’église-halle de Neustadt (XIVe siècle), l’un des plus extraordinaires exemples de remplages feints par son ampleur et sa qualité [105].

On évoquera aussi certaines représentations de roses qui, de manière ornementale, font référence aux roses des façades des grands édifices contemporains, notamment français. Il en est ainsi à l’église-halle Saint-Jean-Baptiste de Brechten, en Westphalie, construite dans le troisième quart du XIIIe siècle, où, sur le mur occidental, aveugle en raison de la présence d’une tour qui le précède, a été peinte une rose reprenant pour modèle, en réduction, la rose de la façade occidentale de Notre-Dame de Paris [106]. Ceinte par de faux-claveaux qui, comme les faux-remplages, sont tracés en blanc, la rose présente un fond rouge qui donne l’illusion d’une perforation du mur – mais l’on n’a pas cherché ici à feindre des vitraux colorés. L’adoption d’une solution comparable à la cathédrale de Minden permet d’avancer l’hypothèse d’une diffusion des créations françaises à travers la circulation en Westphalie de carnets de dessins comme celui de Villard de Honnecourt dans lequel sont représentées les roses des cathédrales de Lausanne et de Chartres. En Suisse, à l’église Saint-François de Lucerne, on trouve une autre rose d’un type similaire, composée de six pétales, subdivisés en deux lancettes trilobées et surmontés d’un polylobe, peinte en blanc sur le mur couvert d’un faux-appareil gris du chœur au-dessus de l’arc triomphal. Cet emplacement étonnant montre que d’élément architectonique, la rose est devenue un simple motif ornemental pouvant être reproduit dans n’importe quelle partie de l’édifice [107].

On est cependant allé plus loin dans d’autres cas et, comme à Chartres, on a cherché à imiter les vitraux eux-mêmes. Pour autant que l’on puisse en juger en l’état de nos connaissances, une évolution semble se dessiner, avec des nuances, depuis les faux-vitraux essentiellement aniconiques et ornementaux des XIIe et XIIIe siècles jusqu’aux exemples plus figuratifs et historiés des XIVe et XVe siècles.

Parmi les exemples les plus précoces, citons les faux-vitraux losangés du bras sud du transept de Cluny au XIIe siècle [108], et pour le XIIIe siècle, les faux-vitraux ornementaux peints dans l’église de Champcenest en Seine-et-Marne [109] ou encore les peintures de la fin du XIIIe siècle récemment découvertes dans le bras sud du transept de la cathédrale de Poitiers, comportant de fausses baies dont l’intérieur, peint en trompe-l’œil, imite la grisaille des verrières [110].

À partir du XIVe siècle, les exemples historiés tendent à se multiplier comme à la coupole occidentale de la cathédrale de Cahors [111] ou dans le chœur des religieuses de Wienhausen dont les peintures furent réalisées autour de 1335 [112]. À partir de cette période, le procédé semble avoir été tout particulièrement employé pour orner les murs aveugles de chapelles latérales. Ce fut probablement le cas à l’abbaye de la Trinité de Vendôme et à la cathédrale de Troyes, dont plusieurs chapelles présentent des remplages aveugles identiques à ceux de la baie voisine, assortis de quelques vestiges de polychromie. Citons également, pour le XIVe siècle, l’exemple de l’une des chapelles nord du déambulatoire de la cathédrale de Limoges autrefois consacrée à saint Pierre, dont les murs ouest et est sont couverts de deux larges réseaux aveugles, constitués de quatre lancettes surmontées d’une rose occupée par de faux-vitraux présentant des liens évidents avec l’enluminure [113]. Ce décor n’était probablement pas isolé dans l’édifice comme tend à le prouver la reprise du procédé au XVIIIe siècle, dans l’une des chapelles côté sud, mais aussi au XIXe siècle où le motif des faux-vitraux a connu une grande vogue dans l’art néo-gothique.

Parmi tant d’autres exemples, on évoquera en particulier le cas de la cathédrale d’Orléans, où les neuf chapelles rayonnantes du chœur ont été restaurées dans les années 1850-1870 sous la direction de Boeswillwald et dotées d’un décor peint, confié pour l’essentiel à Denuelle dont on sait qu’il fut chargé de relever les traces de peintures subsistant dans les édifices médiévaux pour la Commission des Monuments historiques. La composition générale de ce décor, à base de faux-vitraux, de draperies feintes et de motifs héraldiques, laisse supposer qu’elle reprenait des dispositions plus anciennes. C’est l’hypothèse que nous pourrions également formuler pour la cathédrale de Limoges, dont le décor fut lui aussi en grande partie restauré par Denuelle et où de fausses verrières XIXe dans des remplages aveugles font écho aux peintures des chapelles médiévales déjà évoquées [114].

Comme à Chartres, sans doute existait-il dans la plupart de ces ensembles un lien esthétique et iconographique entre ces vitraux en « trompe-l’œil » et les verrières voisines – qu’ils soient ornementaux ou figurés. Toutefois, il est souvent difficile de l’appréhender, comme dans le cas des très belles roses peintes de Saint-Jean-des-Vignes de Soissons qui présentent un décor historié polychrome, étonnant en contexte cistercien mais dont le dessin architectural imite celui des deux roses réelles qui leur font face, aujourd’hui malheureusement dépourvues de leurs verres d’origine [115]. Ailleurs, la conservation de verrières anciennes permet néanmoins de confirmer ce lien intime.

À la chapelle du Palais des rois de Majorque, à Perpignan, datée de la fin du XIIIe siècle, les motifs géométriques et végétaux peints dans les remplages des faux-vitraux visent à créer une unité avec la baie axiale et à donner l’illusion d’ouvertures régulièrement percées – les vitraux actuels de la chapelle sont une reconstitution de Max Ingrand, mais ils ont été réalisés à partir de fragments de vitraux retrouvés au XIXe siècle [116]. Il existait sans doute un lien comparable à la chapelle Saint-Antonin, construite et inaugurée en 1341 au nordest du cloître de l’église des Jacobins de Toulouse, par le Dominicain Dominique Grenier, évêque de Pamiers, qui voulait y être enterré [117].

La complémentarité du programme iconographique des verrières et des peintures est encore plus probante dans le cas de représentations historiées, comme à la chapelle de la Vierge de Saint-Germer-de-Fly où tout permet de supposer qu’il existait un lien entre le retable, les vitraux, les peintures murales et les sculptures. L’iconographie des vitraux consacrés à la vie de saint Germer devait ainsi se prolonger sur le mur occidental, tandis que l’arcature aveugle devait être ornée de médaillons peints dont le contenu a entièrement disparu. Seuls les contours géométriques incisés et des fragments d’inscriptions sont conservés [118].

On citera encore le cas de la croisée du transept de l’abbatiale de Vendôme. En effet, lorsque furent construits les arcs doubleaux et leurs supports, les murs sud et nord de la croisée du transept furent surélevés et un important décor sculpté et peint fut élaboré avec, notamment, la mise en place d’une arcature aveugle de sept arcades. Le dispositif reprend à une échelle réduite les thèmes et les formes rencontrées dans les parties hautes du chœur et aux piliers de la croisée, dans l’évidente intention de créer l’unité du décor. À l’exception des arcades centrales ornées de statues en ronde-bosse, les arcades aveugles conservent encore la trace de figures peintes, qui représentaient sans doute les douze apôtres debout sur des figures de prophètes. Cette représentation du collège apostolique devait ainsi faire écho à celle des verrières du chœur. Le lien entre les différents éléments du décor est ici d’autant plus vraisemblable que la composition des arcatures aveugles de la croisée rappelle celle des dais des verrières du chœur [119].

Ces faux-vitraux avaient donc une fonction architecturale évidente : créer par la peinture une fenêtre là où l’on ne pouvait matériellement en ouvrir et assurer une certaine cohérence visuelle, les fausses baies faisant un parfait écho aux vraies [120].

Au-delà de cette remarque, on doit s’interroger sur l’intervention d’une même personne dans la conception, sinon dans la réalisation des verrières et dans celles des fausses baies. Ainsi, à Neustadt, toute la surface de l’arc triomphal est occupée par une gigantesque rose peinte de plus de 8 m de haut sur plus de 6 m de large proche du style gothique rayonnant. Elle se compose d’un vaste oculus couronnant quatre lancettes dont chacune comprend deux lancettes trilobées et un quadrilobe. La précision du tracé des remplages rappelle de si près les épures et les dessins architectoniques que l’on a pu les attribuer au maître d’œuvre chargé de la reconstruction de l’édifice au XIVe siècle plutôt qu’à un peintre. La même hypothèse pourrait être proposée à Chartres en raison de l’étroitesse des relations entre les peintures et les vitraux.

Fig. 19 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, lancette c de la baie 122, détail du motif d’architecture surmontant la Vierge à l’Enfant. Cl. et photomontage C. Lemzaouda, Centre André Chastel.

Quoi qu’il en soit, les faux-vitraux figuratifs de Chartres, datés du début du XIIIe siècle par l’histoire du chantier, apparaissent, en l’état de nos connaissances [121], comme des créations uniques tant par leur précocité que par la qualité de leur réalisation et leur iconographie [122]. Plus encore, on a l’immense chance de pouvoir les analyser au regard de l’exceptionnel ensemble vitré contemporain dont ils apparaissent comme le prolongement. En cela, ils illustrent parfaitement l’idée de Louis Grodecki selon lequel « pendant plusieurs décennies du XIIIe siècle le vitrail est devenu l’esthétique dominante de la peinture » [123].

D’UNE TECHNIQUE À L’AUTRE

Alors que, dans les exemples contemporains de Champcenest, Brechten ou Lucerne, nous sommes indéniablement en présence du travail d’un peintre créant une œuvre picturale dont le caractère immatériel n’a rien de commun avec la précision des dessins d’architecture contemporains, à Chartres, le lien avec les autres arts monumentaux, et notamment avec l’art du vitrail, semble au contraire avoir été primordial à tous points de vue.

La mise en place de la sinopia reprend ainsi la composition et le modèle iconographique des grands personnages représentés dans de nombreuses lancettes, en particulier sous les roses du transept et aux fenêtres hautes de la nef. Ces personnages sont généralement représentés debout, sous un arc le plus souvent trilobé, et couronnés d’une architecture réduite à un simple fronton triangulaire [124], et dans d’autres cas très élaborée [125] (fig. 19). Le motif de grand personnage sous arcature couronné d’une architecture se retrouve ailleurs en version plus réduite, notamment pour Isaïe trônant dans la baie 102. C’est également ce motif d’architecture couronnant une arcade qui a été utilisé pour encadrer les panneaux romans de Notre-Dame de la Belle-Verrière remployés dans une baie gothique (baie 30a).

Fig. 20 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, rose occidentale. Cl. H. Debitus.

La composition générale des roses polylobées entourées de quadrilobes sur fond blanc, déterminée par des tracés de construction géométriques très précis et cernés de filets de couleur, reprend elle aussi, avec une étonnante fidélité, celle des baies de la nef, du chœur et de la rose occidentale (fig. 20, 21, 22 et dans le hautchœur, fig. 23). Le modèle du personnage trônant, le plus souvent de façon frontale, se retrouve également dans la plupart des roses couronnant les fenêtres hautes de la nef (notamment les baies 139 et 141), ainsi que celles du déambulatoire (le Christ bénissant au sommet du zodiaque de la baie 28 ou le Christ des baies 25 et 27 lui faisant face) et du chœur (baie 113). Notons encore d’autres traits communs à ces figures, dont les pieds et la tête, et parfois les attributs comme, dans les pein- tures, le sceptre et l’archet, empiètent sur les filets d’encadrement.

On relève en outre, dans les peintures, cette gamme colorée peu étendue avec principalement du rouge, du jaune et, dans une moindre mesure, du bleu, qui donnent la tonalité majeure des vitraux contemporains. Le décor d’accompagnement est par ailleurs très limité et, dans les roses, il se réduit aux seuls trônes, laissant la première place aux personnages et à leurs accessoires, qui acquièrent ainsi une meilleure lisibilité.

Fig. 21 – Chartres, cathédrale NotreDame, rose occidentale, détail, anges sonnant de la trompe. Cl. et photomontage D. Bouchardon, LRMH/Centre André Chastel.

Fig. 24 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, deuxième travée sud, oculus, détail de la main gauche du musicien. Cl. F. Lauginie / DRAC Centre -Val de Loire / CRMH.

Fig. 22 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, rose occidentale, détail, saint Pierre et un autre apôtre. Cl. D. Bouchardon, LRMH/Centre André Chastel.

Fig. 25 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, baie 113, Vierge à l’Enfant. Cl. et photomontage C. Gumiel, Centre André Chastel.

Fig. 23 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, choeur, côté sud, rose de la baie 114, Robert de Beaumont. Cl. et photomontage C. Gumiel, Centre André Chastel.

Certes, il n’existe pas dans les peintures de Chartres de barlotières feintes comme on en trouve à Champcenest ou à la chapelle Saint-Antonin de Toulouse, mais le dessin est cerné d’un trait noir ferme, parfois très épais, tout à fait comparable à un trait de grisaille ou de plomb (fig. 24). La technique de peintures posées en lavis et glacis sur les murs rejoint elle aussi la technique de la grisaille appliquée sur le verre.

Parmi les parentés iconographiques évidentes, on évoquera plus particulièrement la représentation des trônes. Celui de David peut ainsi être rapproché de celui du vitrail de Notre-Dame de la BelleVerrière réalisé vers 1210-1215 [126] ou encore de celui de la Vierge de la baie 113 (lancette gauche) (fig. 25). On citera également le trône de la Vierge à l’Enfant du vitrail de saint Simon et saint Jude qui semble lui-même orné de petites baies composées de deux lancettes couronnées d’un oculus.

Le dessin et les teintes des quadrilobes peints reprennent également plusieurs motifs décoratifs de la rose occidentale (fig. 26 et 27). Il en est de même de l’ornementation végétale qui se trouve aussi bien dans la rose (fig. 28 et 29) que dans d’autres baies, notamment dans la nef (baies 141 et 142).

Fig. 26 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, deuxième travée sud, rose aveugle, quadrilobe, quart supérieur droit. Cl. I. Jourd’heuil / DRAC Centre-Val de Loire / CRMH.

Fig. 27 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, rose occidentale, quadrilobe. Cl. F. Lauginie / DRAC Centre-Val de Loire / CRMH.

Fig. 28 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, deuxième travée sud, rose aveugle, lobe, milieu droit. Cl. I. Jourd’heuil / DRAC Centre -Val de Loire / CRMH.

Fig. 29 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, rose occidentale, lobe. Cl. D. Bouchardon, LRMH / Centre André Chastel.

Les peintures offrent aussi d’importantes parentés stylistiques avec plusieurs autres vitraux de la cathédrale, tout particulièrement avec la rose occidentale achevée avant 1210 et dont la récente critique a montré l’authenticité presque parfaite [127]. On observe en particulier une identique manière de dessiner les visages par des lignes noires très fortes qui marquent les sourcils (moins épais néanmoins chez David que dans les exemples peints sur verre), l’arête du nez et les lèvres. Les yeux ont la même forme allongée en amande et les paupières inférieure et supérieure sont surlignées, le menton est souligné par un arc de cercle. Enfin, l’arête du nez descend le plus souvent assez bas et forme des narines rondes.

Des parentés plus étroites peuvent être établies entre le visage de David (fig. 11) et ceux du Christ du Jugement dernier (panneau B4) (fig. 30) ou d’un ange de la même rose (panneau C4) (fig. 31), de même peut-on rapprocher le visage du personnage de la première travée nord (fig. 32) avec d’autres visages de la même rose (dans la rose, panneau B5, fig. 33 et panneau H4, fig. 34) : tous présentent la même position du visage, le même traitement des contours de celui-ci, notamment au niveau des yeux ou de l’oreille. On retrouve la même inclinaison de la tête dans le vitrail de saint Lubin (baie 45), dans la scène de la célébration de la messe, ou encore dans la baie représentant la mort et l’Assomption de la Vierge (baie 42), notamment dans le panneau représentant la mort de celle-ci. Claudine Lautier a par ailleurs souligné que le style des roses peintes est proche de celui de quelques verrières basses de la nef et encore plus de celui des grandes figures de la baie 142 dont le peintre pourrait avoir réalisé les peintures murales des travées occidentales [128].

Ces nombreux rapprochements posent la question de l’identité de l’artiste qui a exécuté ces peintures. Leur réalisation était en quelque sorte secondaire face à celle de l’ambitieux programme vitré de la cathédrale dont la rapidité d’exécution [129] impliquait un grand nombre d’ateliers de maîtres verriers œuvrant simultanément [130]. Un même artiste a-t-il donc travaillé à la fois sur le mur et pour les vitraux ?

On ignore si, au début du XIIIe siècle, les mêmes artistes pouvaient intervenir dans différents média comme le verre, l’enluminure ou la peinture murale. Toutefois, il n’existait sans doute pas de cloison étanche entre ces diverses techniques si l’on en juge par certains exemples, comme celui du peintre qui, à la fin du XIIe siècle, réalisa des panneaux pour la collégiale Saint-Étienne de Troyes, des enluminures pour la Bible des Capucins et sans doute aussi les peintures murales perdues de Saint-Quiriace de Provins [131].

Michel Hérold a, quant à lui, mis ce phénomène en évidence pour des périodes plus tardives du Moyen Âge en soulignant la place privilégiée du peintre dans l’élaboration graphique des verrières, avec parfois des références précises à un modèle [132]. Bien plus, des sources médiévales attestent de la double compétence de certains peintres appelés pour dessiner un vitrail, à l’instar de ce Pierre, chargé au château royal de Marlborough de blanchir fenêtres et murs, de tracer des lignes sur la maçonnerie et des motifs de rose, mais aussi d’exécuter une fenêtre [133]. Plus intéressant encore pour notre propos est l’exemple fourni par les comptes de l’abbaye de Westminster attestant qu’un certain John Athlard exerçait à la fois l’activité de peintre et celle de maître verrier. Son nom apparaît en effet en 1350 parmi ceux des peintres chargés de décorer la chapelle Saint-Stephen et, en 1352, il était payé un shilling par jour pour la réalisation des vitraux. La même année, on lui confia également le soin de peindre une baie imitant le verre, baie pour laquelle on prévoyait de lui fournir 300 feuilles d’argent [134]. Comme l’a supposé Ernest William Tristram, il pourrait s’agir d’une baie aveugle devant être traitée de manière à ne pas interrompre la riche ornementation de la chapelle.

Fig. 30 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, baie 143, panneau B4, détail. Cl. D. Bouchardon, LRMH/Centre André Chastel.

Fig. 31 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, baie 143, panneau C4, détail. Cl. D. Bouchardon, LRMH/Centre André Chastel.

Fig. 33 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, baie 143, panneau B5, détail. Cl. D. Bouchardon, LRMH/Centre André Chastel.

Fig. 34 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, baie 143, panneau H4, détail. Cl. D. Bouchardon, LRMH/Centre André Chastel.

Fig. 32 – Chartres, cathédrale Notre-Dame, première travée occidentale nord, rose aveugle, musicien, détail (quart supérieur droit). Cl. I. Jourd’heuil / DRAC Centre Val de Loire / CRMH.

L’exemple de la Sainte-Chapelle amène à s’interroger sur l’existence, dès la première moitié du XIIIe siècle, d’une interaction entre les techniques. À l’étage, la richesse des vitraux s’étend à l’arcature du soubassement, où peinture et pièces de verre sont associées dans les quadrilobes [135], tandis que les gracieuses figures de ces médaillons sont cernées d’une mince ligne sombre qui rappelle les vitraux des baies supérieures [136].

Pour revenir à Chartres, Marie-Pasquine Subes a mis en évidence la parenté stylistique entre la Vierge à l’Enfant peinte dans la crypte et la baie de Saint-Chéron (baie 15) dont elle est probablement contemporaine. On retrouve en effet, dans les deux œuvres, un même type de composition architecturale constituée de compartiments réunis sous une arcature trilobée traitée en filets de couleurs. La position frontale de la Vierge, représentée en Sedes sapientiae, se retrouve par ailleurs dans certains vitraux de la cathédrale comme dans la Belle-Verrière [137]. Marie-Pasquine Subes a également établi un rapprochement avec un vitrail de La Trinité de Vendôme (chapelle au nord) se situant dans la lignée des vierges chartraines. Un parallèle encore plus fort existe avec la Vierge allaitante placée dans l’oculus de la baie de Notre-Dame de la Belle-Verrière.

Toutes ces œuvres, réalisées autour des années 1215-1220 – et donc contemporaines des peintures murales des travées occidentales – attestent l’existence de telles parentés entre peinture murale et vitrail et l’on peut donc raisonnablement attribuer la réalisation des peintures murales des travées occidentales à un ou plusieurs peintres-verriers œuvrant sur le chantier des verrières de la cathédrale de Chartres.

VALEUR SYMBOLIQUE ET MESSAGE ICONOGRAPHIQUE

Si le sens de ces peintures nous échappe en partie, notamment en raison de l’inachèvement du programme peint et de la disparition d’une partie de l’iconographie, on peut néanmoins esquisser quelques hypothèses sur leur fonction, rapportée à la recherche d’unité architecturale, esthétique et symbolique qui semble avoir sous-tendu la conception du décor peint de la cathédrale.

En effet, il ne s’agissait sans doute pas, par le biais des faux-vitraux et d’un enduit rehaussé de faux-joints donnant une unité chromatique à l’édifice et offrant l’apparence d’un appareil parfaitement régulier, de créer véritablement un « trompe-l’œil » ni de restituer le mur matériel. En transfigurant la matière, il s’agissait plutôt de donner à voir de vrais vitraux et un mur idéal et unifié [138], un mur parfait, celui de la Jérusalem céleste. C’est sans doute ce que traduit l’enluminure de Jean Fouquet, représentant « Le temple de Jérusalem » comme une cathédrale peinte [139] dont les « murs seront de pierres précieuses et (les) tours seront bâties en perles » [140].

De fait, des vestiges de polychromie attestent l’existence, à Chartres, d’un revêtement extérieur de même nature que le revêtement intérieur. En effet, bien qu’infimes en raison des intempéries, les traces de deux décors peints extérieurs ont pu être observées. La strate la plus récente correspond à une peinture ocre à joints blancs avec un revêtement blanc sur le décor sculpté qui se retrouve notamment sur les murs gouttereaux. Les plus anciennes traces de polychromie correspondent quant à elles parfaitement à l’enduit original intérieur de la cathédrale, beige à faux-joints blancs. Elles ont été repérées en différents emplacements, plus particulièrement au niveau des fenêtres hautes du chœur et de la nef [141]. Il n’est, à ce stade des observations, pas possible de déterminer s’il s’agissait d’une polychromie partielle ou si elle couvrait l’ensemble de l’édifice. On a néanmoins repéré sur la rose nord et les portails d’autres types de polychromie dont la palette de couleur est plus riche [142].

Quoi qu’il en soit, la première vocation du décor polychrome de Chartres, intérieur et extérieur, était probablement de magnifier la cathédrale et le Créateur. Enveloppant l’édifice de couleur et de lumière, donc de présence divine [143], et favorisant ainsi la confusion entre paroi et enveloppe, les constructeurs produisaient en quelque sorte de l’immatérialité et de la transparence [144]. Ainsi, de même que le « faux » appareil de pierre de taille représente un vrai mur, parfait, et donc de « vrais » joints, de même les peintures de vitraux ont très vraisemblablement été conçues comme de vrais vitraux.

Si l’on admet cette hypothèse, il faut logiquement poser la question du rôle joué par ces vitraux peints dans le programme vitré général et donc de l’éventuel lien iconographique qu’ils entretenaient avec les autres vitraux, voire avec tel ou tel pôle liturgique de la cathédrale. Les travaux de Claudine Lautier ont en effet montré que l’iconographie de deux tiers des baies de la cathédrale pouvait être mise en relation avec des reliques qu’elle contenait, la plus illustre et la plus présente dans les vitraux étant bien entendu le Voile de la Vierge dont la cathédrale constitue en quelque sorte un écrin [145].

Pour autant, il n’est pas certain que l’on puisse rapprocher les peintures des travées occidentales de la nef d’un autel ou d’une liturgie spécifique. Elles pourraient, en revanche, avoir été conçues comme une unique scène distribuée en quatre baies. Il pourrait très vraisemblablement s’agir des Vieillards de l’Apocalypse : même si leurs représentations peintes semblent assez rares en France [146], ils sont tout particulièrement présents dans l’iconographie de la cathédrale de Chartres (rose sud, piliers du porche sud, Portail royal). Une autre hypothèse est celle d’une scène constituée autour de la figure de David qui semble apparaître ici comme la figure majeure, en attestent la richesse de son trône ou encore son manteau jaune, très lumineux. Or cette iconographie associant des musiciens à David est très fréquente dans les manuscrits médiévaux, et tout particulièrement en tête du psautier dans l’initiale du psaume « Beatus vir ». David est en effet fréquemment représenté avec harpe, rebec, carillon ou orgue, comme par exemple dans une Bible du quatrième quart du XIIe siècle conservée à Bourges [147] ou dans le Psautier dit de saint Louis, vers 1190 1200 [148].

Cette allusion au psautier, livre prophétique par excellence, ferait un pendant assez logique, non seulement à l’Arbre de Jessé voisin qui, dans les manuscrits, s’enroule souvent autour du B du « Beatus vir », mais aussi au Jugement dernier de la rose occidentale contemporaine ; la présence de prophètes dans les lancettes s’adapterait elle aussi parfaitement à cette iconographie [149] dont il faut rappeler qu’elle restait rare au début du XIIIe siècle comme thème unique d’une baie [150].

David, ancêtre du Christ, assurerait ainsi un lien direct entre l’ancienne et la nouvelle Loi et, comme dans la coupole de Cahors, les prophètes sans doute envisagés dans les lancettes auraient contemplé le Messie qu’ils avaient annoncé. Le psaume 91 (2-4) dit ainsi qu’ « Il est bon de louer le Seigneur et de psalmodier pour ton Nom, ô Très-Haut ; d’annoncer au matin ta miséricorde, et ta vérité durant la nuit, avec le psaltérion à dix cordes, par un cantique avec la cithare. »

À travers la figure de ces possibles rois de l’Ancien Testament, particulièrement celle de David, on ne peut exclure non plus, comme à la Sainte-Chapelle de Paris, une allusion directe au souverain régnant qui s’inscrit dans la lignée de David, et l’accent mis sur la royauté sacrée, thème présent dès le XIIe siècle dans la lancette de l’Arbre de Jessé, ou au Portail royal désigné comme « porta regia » dans l’ordinaire de la cathédrale rédigé à la fin du XIIe siècle [151]. Ce thème prend de l’ampleur à Chartres au XIIIe tant dans les vitraux (notamment dans la rose nord) que dans les deux galeries des rois – qui représentent à la fois les rois de Juda et les rois de France sur la façade ouest [152]. De fait, l’ensemble vitré et peint des travées occidentales comporte des liens iconographiques évidents avec la porte centrale du Portail royal, pourtant antérieure d’un demi siècle, à travers notamment la représentation des Vieillards de l’Apocalypse dans l’une des voussures entourant le Christ en majesté. Sur le linteau, les apôtres et les prophètes Élie et Enoch renvoient eux aussi au Jugement dernier (Mt. 19, 28) [153].

Les études récentes ont montré que le programme vitré de la cathédrale, très certainement élaboré par les chanoines et l’évêque [154], notamment par Renaud de Mouçon (1183-1217), visait à exprimer leur propre vision de la royauté et à définir la figure du « bon roi », intermédiaire entre le clergé et le peuple afin de maintenir des rapports harmonieux entre regnum et sacerdotium. Les commanditaires auraient donc développé dans les vitraux une conception ecclésiastique de la royauté et du pouvoir temporel en général [155]. Dans la rose nord, les prophètes apparaissent ainsi à la fois comme les conseillers idéaux des rois d’Israël et comme les précurseurs du clergé. Cette relation entre les rois et les prophètes a bien été démontrée par Madeline Harrison Caviness [156] : seul un roi qui entend les conseils de l’Église peut se vanter d’être un bon souverain. La rose nord exalte ainsi le rôle des clercs comme conseillers des rois de France. La conception de la royauté dans les vitraux de Chartres semble donc entièrement marquée par les positions de l’Église.

Sans doute est-ce un discours de même type qui a motivé la réalisation des peintures murales associant à divers prophètes le roi David, figure majeure dans l’iconographie de la cathédrale et aussi figure royale par excellence [157].

CONCLUSION

En 1906, Émile Mâle écrivait que « la grande peinture monumentale, si florissante au XIIe siècle, décline et meurt au XIIIe siècle […]. L’architecture gothique n’était nullement favorable à la peinture murale. […] Si donc on veut avoir une idée de la vraie peinture décorative au XIIIe siècle, en France, c’est dans les vitraux qu’il faut l’étudier » [158]. Assez exceptionnel, le cas de la cathédrale de Chartres permet pourtant de réunir l’étude des deux arts monumentaux qui semblent si étroitement liés dans le décor des travées occidentales.

Les peintures de ces travées apparaissent, il est vrai, tout à fait exceptionnelles voire uniques, pour leur état de conservation, leur qualité artistique, leur relation au programme décoratif et iconographique global.

Alors que la disparition de la polychromie ou de la vitrerie originales de nombre de cathédrales en appauvrit aujourd’hui la perception, c’est, à Chartres, une nouvelle cathédrale que nous redécouvrons avec l’avancée du chantier actuel. Ou plus exactement, c’est la vision renouvelée d’une architecture gothique qui retrouve peu à peu la clarté et la luminosité de son état primitif, tel qu’il avait été conçu par les maîtres d’œuvre et commanditaires du XIIIe siècle.

Alors que l’on aurait pu craindre que la couleur des murs et des voûtes n’affaiblisse l’éclat des verrières si célèbres de Chartres, la restauration permet de reconsidérer la place de chacune des composantes de l’édifice. Les verrières acquièrent une place nouvelle et bénéficient d’une mise en valeur quand l’obscurité de l’édifice nuisait à la perception des lignes architecturales et pouvait donner le sentiment que les vitraux « flottaient » comme des creux sur un fond sombre et en dehors de tout cadre. Leur richesse colorée est aujourd’hui plus fortement révélée par l’enduit clair, presque monochrome dans son alliance de l’ocre jaune et du blanc, qui réservent aux multiples couleurs du vitrail le rôle principal dans le jeu de la polychromie intérieure.

Plus encore, la recherche d’unité qui semble avoir guidé la réalisation du décor de faux-appareil peut expliquer la réalisation de peintures murales simulant la présence de vitraux. Dans cette perspective, leur découverte vient en quelque sorte augmenter le corpus exceptionnel déjà connu des vitraux de la cathédrale de Chartres.

Irène JOURD’HEUIL
avec la contribution d’Emmanuelle Boissard

 

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NOTES

* Irène Jourd’heuil, archiviste paléographe conservateur des Monuments historiques.

** Emmanuelle Boissard, Archeodunum SAS, UMR 5138 ArAr.

1. Je remercie Fabienne Audebrand, Thierry CrépinLeblond, Claudine Lautier, Jean-Baptiste Lebigue, Jean-Michel Leniaud, Philippe Plagnieux et Éliane Vergnolle pour leurs conseils et encouragements dans la rédaction de cet article.

2. Dans ces débats, outre Quatremère de Quincy, Labrouste, Lassus, Duban ou encore Hittorff, Violletle-Duc a joué un rôle essentiel. Voir Eugène Viollet-le-Duc, « Peinture », dans Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, Paris, vol. VII, 1864, p. 56-109.

3. Le sujet a déserté les études d’architecture dès la fin du XIXe siècle, à quelques exceptions près comme Marcel Aubert qui publie notamment en 1957 un article sur « Les enduits dans les constructions du Moyen Âge », Bulletin Monumental, t. 115, 1957, p. 111-118.

4. A. Vuillemard-Jenn, La Polychromie de l’architecture gothique à travers l’exemple de l’Alsace : structure et couleur : du faux-appareil médiéval aux reconstitutions du XXIe siècle, thèse de doctorat en histoire de l’art (dir. R. Recht), université de Strasbourg, 2003, p. 48 et eadem, « La polychromie de l’architecture est-elle une œuvre d’art ? De sa redécouverte à sa restauration : l’importance de la couleur dans l’étude des édifices médiévaux », dans C. Gómez Urdánez (dir.), Sobre el color en el acabado de la arquitectura histórica, Saragosse, 2013, p. 14.

5. On peut notamment citer l’exemple de Saint-Philibert de Tournus où les restaurations du début du XXe siècle ont supprimé l’intégralité des enduits d’origine du milieu du XIe siècle. Il n’en subsiste aujourd’hui plus qu’un infime témoignage qui a été préservé derrière la tribune d’orgues de 1629. Voir V. Rossignol, « Les débuts de la polychromie romane en Bourgogne », dans Ch. Sapin (dir.), Édifices et peintures aux IVe-XIIe siècles, Auxerre, 1994, p. 129-131.

6. Pour la chapelle axiale, on conserve de ce décor réalisé par Paul Durand autour de 1870 une gravure de l’abbé Bulteau (M.-J. Bulteau, Monographie de la cathédrale de Chartres, t. 1, 1887, Chartres, p. 280). Sur l’intervention de Paul Selmersheim (Arch. nat. F19 7681 et Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine : 81/28/07), voir P. Calvel, « La restauration du décor polychrome du chœur de la cathédrale de Chartres », La cathédrale de Chartres, restaurations récentes et nouvelles recherches, Bulletin monumental, t. 169, 2011, p. 13-22 ; « Restaurer la cathédrale de Chartres du XIXe au XXIe siècle », dans A. Timbert (dir.), Construire et restaurer la cathédrale de Chartres, XIe-XXIe siècles, 2014, p. 109 et M. Bouttier, « Les enduits et les décors peints », ibid., p. 263.

7. A. Vuillemard-Jenn, op. cit. note 4, p. 56. Yves Delaporte écrivit par exemple au sujet des verrières de Chartres qu’elles devaient à l’origine diffuser une « lumière discrète sur les parois de pierre neuve qu’aucun badigeon n’était venu salir », voir Y. Delaporte, Les vitraux de la cathédrale de Chartres, Histoire et description, Chartres, 1926, p. 18.

8. Voir notamment, dès 1970, la bibliographie publiée par A. Ballestrem : « Sculpture polychrome, bibliographie », Studies in conservation, t. 15, 1970, p. 253-271.

9. Voir par exemple, La couleur et la pierre. Polychromie des portails gothiques, Actes du colloque d’Amiens des 12-14 octobre 2000 et, sur Chartres, O. Nonformale, R. Rossi Manaresi, « Il restauro del “Portail royal” della cattedrale di Chartres », Arte Medievale, 1 : 1-2, 1987, p. 259-275 et G. Nicot, « La polychromie du Portail royal de Chartres », dans Architecture et décors peints, Paris, 1990, p. 98.

10. Voir par exemple, Ch. Leduc-Gueye, La peinture murale en Anjou et dans le Maine aux XVe et XVIe siècles, thèse de doctorat en histoire de l’art (dir. A. Châtelet), université de Strasbourg, 1999 ; I. Hans-Collas, Images de la société, entre dévotion populaire et art princier, la peinture murale en Lorraine du XIIIe au XVIe siècle, thèse de doctorat en histoire de l’art (dir. A. Châtelet), université de Strasbourg, 1997 ; A. Vuillemard-Jenn, op. cit. note 4 ; G. Victoir, Gothic Wall Painting in Picardy, ca. 1250 – ca. 1350, thèse de doctorat en histoire de l’art (dir. P. Crossley et D. Park), Londres, Courtauld Institute of Art, 2010.

11. Parmi les principales contributions, on peut citer Ernest William Tristram.

12. Parmi les principaux auteurs, on retiendra les noms de Hermann Phleps, Wolfgang Teuchert ou encore de Hans Peter Autenrieth.

13. J. Michler, « Über die Farbfassung hochgotischer Sakralraüme », Wallraf-Richartz-Jahrbuch, t. 39, 1977, p. 29-64.

14. J. Michler, « La cathédrale Notre-Dame de Chartres : reconstitution de la polychromie originale de l’intérieur », Bulletin monumental, t. 147, 1989, p. 117-131.

15. Estimé en 1994 à près de 14 millions d’euros, ce chantier ambitieux a trouvé son financement en 2007 dans le cadre d’un « Plan cathédrales » pour la région Centre établi par la DRAC et conforté par un partenariat de la Région et une aide des fonds européens. De 2008 à 2012, le chantier a été mené sous la maîtrise d’œuvre de Patrice Calvel, architecte en chef des Monuments historiques (chœur, déambulatoire, travées occidentales). Il se poursuit depuis sous la maîtrise d’œuvre de Marie-Suzanne de Ponthaud, ACMH (croisée du transept en 2012-2013 et poursuite de la restauration de la nef depuis 2014). Le travail de restauration consiste essentiellement en un brossage à sec des couches pulvérulentes de poussière et de badigeons recouvrant l’enduit d’origine. Une fois le décor original dégagé et nettoyé, les enduits fragilisés sont consolidés, les fissures refichées puis réintégrées. Les lacunes d’enduit ou de badigeon sont restituées ainsi que le tracé des faux-joints réalisé à main levée. Sur les premières tranches du chantier, voir J.-P. Blin, « La cathédrale de Chartres. La découverte des décors intérieurs », Monumental, 2010/2, p. 56-57 ; P. Calvel, « La cathédrale de Chartres. La restauration des peintures murales et des vitraux du haut-chœur », ibid., p. 58-63 ; « La cathédrale de Chartres, restaurations récentes et nouvelles recherches », Bulletin monumental, t. 169, 2011, p. 13-22 ; B. Féret, « Les restaurations successives », dans Chartres, la Grâce d’une cathédrale, 2013, p. 109127 et A. Timbert (dir.), Construire et restaurer la cathédrale, XIe-XXIe siècles, Chartres, 2014.

16. G. Nicot, « La cathédrale Notre-Dame, Chartres, Eure-et-Loir », Monumental, 1994, p. 16-17 et B. Moulinier, O. Courtin, M. Bonnet, Région Centre. Eure-et-Loir. Cathédrale de Chartres, Rapport des travaux d’étude et d’essais de nettoyage des décors intérieurs, Documentation CRMH, DRAC Centre-Val de Loire, 1994.

17. D’autres décors ont néanmoins été observés dans l’édifice, notamment un badigeon gris clair qui, vraisemblablement avant la première guerre mondiale, a recouvert les parties inférieures de l’élévation de l’édifice et qui correspond à l’enduit 4 décrit par Jürgen Michler (voir J. Michler, op. cit. note 14, p. 119).

Au cours du chantier, la présence d’autres décors localisés liés à la vie liturgique de la cathédrale a aussi été ponctuellement observée en divers emplacements de l’édifice. Ainsi en est-il dans le déambulatoire sud (présence de polychromie médiévale sur certaines piles, marquant probablement l’emplacement d’anciens autels, dont les vestiges d’un saint évêque sur la pile de la travée 10b), dans la croisée du transept avec en particulier un décor datant probablement de l’époque moderne sur la pile nord-ouest (voir C. Dandrel, Rapport d’étude sur la pile nord-ouest de la croisée du transept, Documentation CRMH, DRAC Centre-Val de Loire, 2014) ou encore à proximité de la porte d’accès à la sacristie, dans la troisième travée droite du chœur, côté nord, à l’emplacement d’une ancienne chapelle dont l’histoire du décor est particulièrement riche (au moins six campagnes de décors successives repérées par Claire Dandrel, voir Rapport d’étude, Seconde travée droite du chœur, mur gouttereau nord, Documentation CRMH, DRAC Centre-Val de Loire, 2014).

18. Dans les travées occidentales, le module de ce décor de faux-appareil était en moyenne de 50 cm de hauteur sur 90 cm de longueur sur les parements et de 22 cm de hauteur sur 75 cm de longueur sur les voûtains ; l’épaisseur du trait était de 1 à 1,5 cm. Voir P. Martin (dir.), Centre, département d’Eure-et-Loir (28), Chartres, cathédrale Notre-Dame, travées occidentales et façade, Documentation CRMH, DRAC Centre Val de Loire, 2013, p. 68.

19. Il correspond en effet très certainement au marché que le chapitre passa en 1771 avec les « sieurs Boranis » de Milan pour blanchir la cathédrale, moyennant 3 000 l. (Arch. dép. Eure-et-Loir, G 330). Dans le chœur, au niveau de l’appui du triforium, il recouvre en tout cas partiellement les stucs peints achevés en 1788 lors du réaménagement liturgique, voir J. Viret, « Archéologie des parties hautes du chœur de la cathédrale de Chartres », Bulletin monumental, t. 169, p. 29 et Cathédrale de Chartres, observations et sondages archéologiques dans les parties hautes du chœur, Chartres (Eure-et-Loir – Centre), Documentation CRMH, DRAC Centre-Val de Loire, 2014, p. 195.

20. En 1820, la croisée du transept est à nouveau blanchie (voir A.-P.-M. Gilbert, Description historique de l’église cathédrale de Notre-Dame de Chartres, Chartres, 1824, p. 40), mais le projet d’étendre ce badigeon au reste de la cathédrale rencontre l’opposition du préfet d’Eure-et-Loir en 1835 (Arch. dép. Eure-et-Loir, V 54) avant un nouveau refus du Ministère de la Justice et des Cultes à qui Lassus envisage le décor dans une lettre datée du 8 juin 1842 (voir Bulletin Archéologique, publié par le Comité historique des Arts et monuments, vol. 2, Paris, 1843, p. 410). Des décors polychromes sont néanmoins localement réalisés au XIXe siècle comme dans les chapelles du déambulatoire ou la chapelle de NotreDame-du-Pilier.

21. Il s’agit plus précisément d’un badigeon de chaux blanc sur lequel a été posée une fine couche picturale orange (Voir C. Dandrel, op. cit. note 17, p. 13).

22. Dans les travées occidentales, le module de ce décor de faux-appareil était en moyenne de 30 cm de hauteur sur les parements ou de 17 cm sur les voûtains et d’une longueur de 60 cm ; l’épaisseur du trait était en moyenne de 3 cm (Voir P. Martin, op. cit. note 18, p. 67). En revanche, dans la troisième travée droite du déambulatoire nord, le décor qui semble lui correspondre était d’une hauteur de 19 cm et la largeur très régulière des joints était de 2 cm (Voir C. Dandrel, op. cit. note 17, p. 13).

23. J. Viret, op. cit. note 19, p. 187.

24. B. Moulinier et alii, op. cit. note 16, p. 19 ; P. Martin, op. cit. note 18, p. 68.

25. L. Merlet, « Compte de l’œuvre de la cathédrale de Chartres en 1415-1416 », Bulletin du comité des travaux historiques et scientifiques, Paris, 1889, p. 3594.

26. Michel Pastoureau a identifié six armoiries sur les cinq clés qui correspondent, selon son analyse, aux armes de Louis IX, de Ferdinand III de Castille ou de son fils Alphonse X, de Hugues IV, duc de Bourgogne, de Charles, comte d’Anjou et du Maine et de Henri III, duc de Brabant ou de l’un de ses fils (M. Pastoureau, « Le décor héraldique des clefs de voûte de la cathédrale de Chartres », Bulletin monumental, t. 169, 2011, p. 35-40).

27. M. Bouttier, op. cit. note 6, p. 270-272. L’auteur remet aussi en question les conclusions de Jérémie Viret fondées sur l’observation des six percements de la voûte de la deuxième travée à partir de la croisée du transept et prouvant que ceux-ci ont été réalisés après la pose de l’enduit primitif et avant celle du deuxième badigeon, peut-être au moment de la construction du « clocher des commandes », entre 1306 et 1312, qui constituerait dès lors un terminus post quem pour la réalisation du badigeon orangé (J. Viret, op. cit. note 19, p. 29). Il semble cependant que ce clocher était bien plus ancien puisqu’une expertise de 1316 demande d’apporter à celui-ci des réparations « quar il est viez et de lonc temps » 243 (M. Jusselin, « La maîtrise de l’œuvre à Notre-Dame de Chartres. La fabrique, les ouvriers et les travaux du XIVe siècle », Mémoires de la société archéologique d’Eure-et-Loir, t. 15, 1915-1922, p. 316-317).

28. On a observé la présence de quelques éléments de décor localisés contemporains de cette première polychromie : des croix, des oiseaux (Lithos, Déambulatoire, Dossier des ouvrages exécutés, 2013, Documentation CRMH, Drac Centre Val de Loire, p. 37), un faux-joint rouge situé au-dessus de la porte de la travée 5b du déambulatoire ou un petit décor architectural situé au-dessus du placard mural de la troisième travée droite du chœur (il consiste en un fronton triangulaire blanc délimité par un cerne rouge prune. Il est agrémenté de trois petites navettes verticales disposées aux angles du triangle. Voir C. Dandrel, op. cit. note 17, p. 8). On citera aussi la polychromie de la clé de la croisée du transept ou celle du triforium : à l’occasion du chantier de la nef, on a en effet repéré, sur les colonnettes, un décor qui serait sous-jacent au badigeon médiéval. On évoquera également ici la découverte de marques lapidaires peintes dans les travées occidentales (D. Méhu, « Les marques lapidaires peintes de la cathédrale de Chartres », dans A. Timbert (dir.), op. cit. note 15, p. 383-395). 244

29. Sur les parements verticaux, l’épaisseur de l’enduit est généralement inférieur au centimètre (de 0,1 à 0,6 cm dans les travées occidentales, environ 0,2 cm sur la pile nord-ouest du transept), mais jusqu’à 2 cm lorsqu’il comble des trous de la pierre dans la troisième travée droite du déambulatoire nord. Dans le chœur, l’enduit se compose d’un mortier grossier recouvert d’un enduit de finition qui contiennent tous deux de la calcite (chaux carbonatée), de l’argile, des feldspaths et des oxydes de fer hydratés qui lui confèrent une teinte beige (É. Checroun et alii, « Analyses de la polychromie des clefs de voûte du chœur de la cathédrale de Chartres », La cathédrale de Chartres, restaurations récentes et nouvelles recherches, Bulletin Monumental, t. 169, 2011, p. 27). Dans la troisième travée droite du déambulatoire nord, Claire Dandrel a observé un enduit de chaux de matrice blanche posé sur la pierre appareillée et dont la charge est constituée de grains de sable bruns à rouge orangé. La surface de cet enduit est beige. Visuellement, il était impossible de savoir si cette couche beige était un badigeon posé sur l’enduit ou s’il s’agissait de la laitance de l’enduit qui serait remontée en surface lors du serrage de l’enduit. Le seul indice était que le corps de l’enduit étant très blanc, il était peu probable que sa laitance puisse être colorée en beige. Il est donc extrêmement probable que cet enduit a été recouvert, très tôt après sa pose, d’un badigeon beige passé à la brosse en couche fine. Ce badigeon passé dans le frais fait totalement corps avec l’enduit. Voir C. Dandrel, op. cit. note 17, p. 8 et 9. Cette analyse rejoint celle de l’entreprise Lithos qui, dans la croisée du transept, a observé un enduit de teinte beige, mais aussi des traces de pinceaux qui indiquent la présence d’un badigeon appliqué afin d’harmoniser les teintes (Lithos, Chartres, cathédrale. Restauration de la croisée du transept, dossier des ouvrages exécutés, 2013, Documentation CRMH, DRAC Centre-Val de Loire, p. 29).

30. On observe néanmoins quelques irrégularités dans l’exécution qui témoignent d’une méthode de travail à la journée et de la multiplicité des personnes ayant travaillé au chantier. Dans les travées occidentales, la hauteur du module apparaît constante sur les parements verticaux, soit environ 30 cm ; la longueur est d’environ 60 à 64 cm et jusqu’à environ 72 cm pour s’adapter aux limites architecturales rencontrées. Il n’a donc pas été observé de modification de module qui renforcerait un effet de perspective comme le pensait Jürgen Michler (Voir J. Michler, op. cit. note 14, p. 120). Seuls les voûtains présentent un module inférieur puisque la hauteur des assises varie entre 16 et 19 cm et la longueur entre 51 et 63 cm. Voir P. Martin, op. cit. note 18, p. 58. Dans la troisième travée droite du chœur, Claire Dandrel a également souligné la régularité du décor dont les dimensions sont légèrement différentes : 22 cm de hauteur et 66 cm de longueur (dimensions prises du milieu d’un joint à l’autre), voir C. Dandrel, op. cit. note 17, p. 7. Sur la pile nord-ouest de la croisée du transept, la hauteur moyenne des faux-joints est de 28 cm.

31. C. Dandrel, op. cit. note 17, p. 7. Dans les travées occidentales, la largeur moyenne du tracé du faux-joint est de 2 cm, mais elle varie entre 1,5 et 2,5 cm. Voir P. Martin, op. cit. note 18, p. 58. Le tracé de faux-appareil est moins régulier sur la pile nord-ouest de la croisée du transept.

32. J. Viret, op. cit. note 19, p. 81.

33. C. Dandrel, op. cit. note 17 et Lithos, op. cit. note 28, p. 33.

34. Dans les travées occidentales, le faux-appareil se poursuit aussi sur les dés portant les bases des colonnes et il souligne la limite supérieure de l’abaque de certains chapiteaux ou des faces verticales de modillons, voir P. Martin, op. cit. note 18, p. 59. Dans la croisée du transept, le tailloir des chapiteaux a quant à lui reçu un badigeon de couleur beige directement appliqué sur la pierre, et les chapiteaux euxmêmes étaient dès l’origine recouverts par un « enduit liquide » composé de chaux grasse et de sable fin de couleur beige. Un badigeon beige a ensuite été appliqué sur cet enduit. À la base du tailloir, un faux-joint de couleur blanche sépare le tailloir du chapiteau. Il en est de même pour certains chapiteaux du triforium. Voir Lithos, op. cit. note 29, p. 20.

35. C. Dandrel, op. cit. note 17.

36. Voir note 5.

37. G. Victoir, « La polychromie et l’apport de son étude à la connaissance de l’architecture gothique », dans Architecture et sculpture gothiques. Renouvellement des méthodes et des regards, Actes du IIe colloque international de Noyon, 19-20 juin 2009, S. D. Daussy et A. Timbert (dir.), Rennes, 2012, p. 121-135.

38. À Noyon, on retrouve en effet, dans le voûtement des croisées sur plan barlong de la fin du XIIe siècle des traces du décor primitif essentiellement constitué d’un enduit beige clair recouvert d’un lait de chaux de même couleur et orné de faux-joints blancs. Voir G. Victoir, « La polychromie et son commanditaire. Un essai de mise en couleur de la tribune sud de la cathédrale Notre-Dame de Noyon », dans La cathédrale Notre-Dame de Noyon. Cinq années de recherches, Mémoires de la société historique, archéologique et scientifique de Noyon, t. 39, 2011, p. 143-158.

39. Par exemple le chœur de Saint-Quiriace de Provins en Seine-et-Marne, voir A. Vuillemard-Jenn, « Les polychromies architecturales de Saint-Quiriace de Provins », Bulletin Monumental, t. 164, 2006, p. 271-280.

40. On peut citer l’abbaye cistercienne de Longpont (Aisne), l’abbaye bénédictine de Saint-Père-en-Vallée de Chartres, Saint-Ferréol d’Essômes-sur-Marne (Aisne) ou encore les bâtiments conventuels d’Ourscamp (Oise), les parties orientales de l’église templière de Saint-Éliphe de Rampillon (Seine-etMarne)… Voir A. Vuillemard-Jenn, op. cit. note 4, p. 18-19.

41. Par exemple à la cathédrale de Genève ou à celle de Lausanne, voir T.-A. Hermanès et alii, Saint-Pierre. Cathédrale de Genève. Chantiers et décors, Genève, 1991 ; « La riscoperta del colore nel monumento : il caso delle cattedrali di Ginevra e Losanna », dans Il colore nel Medioevo. Arte, simbolo, tecnica, Actes des journées d’études de Lucques, 1996, Lucques, 1998, p. 41-65 et « Les polychromies architecturales intérieures des cathédrales de Genève et de Lausanne et de l’église cistercienne de Bonmont », dans Architecture et décors peints, Paris, 1990, p. 67-69. Voir aussi P. Kurmann, « Notre-Dame de Lausanne, cathédrale polychrome », dans La cathédrale Notre-Dame de Lausanne. Monument européen, temple vaudois, P. Kurmann (dir.), Lausanne, 2012, p. 114-119.

42. Les décors à fond blanc et joints rouges sont néanmoins le type de décors dont on connaît le plus grand nombre d’exemples tout au long du Moyen Âge. Il a d’ailleurs souvent été repris dans les polychromies néo-médiévales, voir A. Vuillemard-Jenn, op. cit. note 4, p. 18-19.

43. G. Victoir, op. cit. note 37, p. 121-135.

44. L’étude menée en 2010 par Claire Dandrel sur la clé de voûte du rond-point du haut-chœur, seule clé du XIIIe siècle à être demeurée en place après l’effondrement de 1284, a montré la présence d’un enduit ocre jaune à faux-joints blancs contemporain de la construction. Je remercie Claire Dandrel pour la transmission de cette information.

45. Ch. Davy, « Les décors peints civils entre Loire et Bretagne (XIIe-XIVe siècles), conclusions des journées d’études », dans Le décor peint dans la demeure au Moyen Âge, Actes des journées d’études tenues à Angers en novembre 2007, http://www.cg49.fr/culture/peintures_murales/media s/pdf/christian_davy.pdf

46. La décoration peinte de la salle du rez-de-chaussée consiste essentiellement en un appareil tracé en blanc avec filets brun rouge sur un fond ocre jaune.

47. Il est ici rehaussé d’un tracé rouge, voir Ch. Davy, « Les décors peints du logis de Châtillon-sur-Indre », Bulletin monumental, t. 168, 2010, p. 75-83.

48. Cet encrassement doit beaucoup à la fumée des cierges et de l’encens mais aussi à l’installation, en 1893, d’un calorifère au charbon qui a contribué à propulser les poussières et la suie dans les parties hautes (Arch. dép. Eure-et-Loir, V 58 et Arch. nat. F19 7681).

49. À l’exception notable du démontage du jubé notamment.

50. A. Vuillemard-Jenn, op. cit. note 4, p. 26.

51. Outre l’observation des tracés régulateurs anciens (Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine : Fonds E. Lefèvre-Pontalis, cl. LP 003371), la présence de peintures avait déjà en partie été repérée auparavant [M. Aubert, La cathédrale de Chartres, Paris-Mulhouse-Dornach, 1952, p. 18 ; P. Deschamps et M. Thibout, La peinture murale en France au début de l’époque gothique, Paris, 1963, p. 31 et M. Aubert, « De 1260 à 1380 », dans Le vitrail français, Paris, 1958, p. 173 (cité par M.-P. Subes, « Quelques parallèles entre deux arts monumentaux au XIIIe siècle : peinture murale et vitrail », Pierre, lumière, couleur. Études d’histoire de l’art du Moyen Âge en l’honneur d’Anne Prache, F. Joubert et D. Sandron (dir.), 1999, p. 151-164)], mais lesdites peintures étaient quasiment illisibles compte tenu de leur situation à plus de 30 mètres de hauteur, de leur fort empoussièrement et du badigeon qui les recouvrait partiellement.

52. Sur les débats relatifs à la construction de la cathédrale, voir J. James, Chartres, les constructeurs, Société archéologique d’Eure-et-Loir, [Chartres], 1977, vol. 1, p. 27 ; A. Prache, « Observations sur la construction de la cathédrale de Chartres », Bulletin de la Société des antiquaires de France, 1990, p. 327-334 et « Remarques sur la construction de la cathédrale de Chartres à la lumière de la dendrochronologie », dans J.-R. Armogathe (éd.), Chartres 1194-1994. Monde médiéval et société chartraine, Actes du colloque international organisé par la ville et le diocèse de Chartres, 8-10 septembre 1994, Paris, 1997, p. 75-79, et « Remarques sur le chantier de construction de la cathédrale de Chartres », dans Materiam superabat opus. Hommage à Alain Erlande-Brandenburg, Paris, 2006, p. 345-350 ; P. Kurmann et B. KurmannSchwarz, Chartres,la cathédrale, Saint-Léger-Vauban, 2001 ; C. Lautier, « Chartres », Dictionnaire d’histoire de l’art du Moyen Âge occidental, Paris, 2009, p. 226-229.

53. P. Martin (dir.), op. cit. note 18. P. Martin et E. Boissard, « Archéologie du bâti et restaurations à la cathédrale Notre-Dame de Chartres », Monumental, 2014, p. 26-27. Voir aussi la contribution de Pierre Martin dans le présent volume, p. 203. L’absence de continuité entre cette phase de chantier et les précédentes tranches est liée à une priorité esthétique et sanitaire. En effet, la chute de fragments d’enduits de la voûte avait nécessité l’installation d’un filet qui rendait compliquée l’observation des vitraux de la façade.

54. Voir Cl. Lautier, La fenêtre dans l’architecture religieuse en Île-de-France au XIIIe siècle, thèse de doctorat en histoire de l’art, (dir. A. Prache), université Paris IV-Sorbonne, 1995, p. 72-116.

55. Alors que les parties inférieures des deux travées sont essentiellement en pierre de Berchères, les parties supérieures en placage (lancettes aveugles et oculi) ont été construites en calcaire tendre, en encorbellement sur le massif de pierre qu’on ne voulait probablement pas trop surcharger, voir A. Ybert, « Les voûtes de la cathédrale de Chartres à la lumière des restaurations », dans A. Timbert (dir.), op. cit. note 15, p. 231.

56. Dans la nef, les sept autres travées montrent également une variation de leur profondeur progressive d’ouest en est, mais restent de plan rectangulaire. Les lancettes de la première travée mesurent 9,10 m de hauteur et 1,25 m de largeur, tandis que les lancettes de la deuxième travée mesurent 7,5 m de haut et ,90 m de large.

57. Seules les baies aveugles sud possèdent des remplages identiques à ceux des baies de la nef.

58. P. Martin, op. cit. note 18, voir la contribution d’Emmanuelle Boissard, p. 54-70. Cet enduit est d’une épaisseur de 0,1 à 0,4 cm. Le fond de l’oculus était par ailleurs peint en blanc, reproduisant le badigeon blanc uni dont le décor de faux-appareil a recouvert la modénature des roses.

59. Marcel Aubert signalait que le maître d’œuvre de la cathédrale avait fait peindre sur les murs entre les tours « sous une arcature rappelant le réseau des fenêtres hautes, de grandes figures semblables à celles des verrières » (M. Aubert, op. cit. note 51, p. 18), mais les sondages réalisés par l’Atelier A.R.T. SA n’ont pas permis de retrouver d’autres grands personnages (Chartres – cathédrale. Baies hautes des premières travées de la nef. Mise à jour, conservation et restauration des peintures murales – XIIIe siècle, 2012, Documentation CRMH Drac Centre-Val de Loire).

60. On retrouve cette polychromie rouge sur l’ensemble des lancettes à l’exception de celles de la deuxième travée sud.

61. Il s’agit d’une bande d’environ 1,20 m de large. En limite d’application, on observe des traces en arc de cercle traduisant l’application de l’enduit « à bout de bras », voir ECMH, Chartres, cathédrale, restauration de peintures murales des parties basses, étude des enduits, 2012, p. 8, Documentation CRMH DRAC Centre-Val de Loire. Voir aussi P. Martin, op. cit. note 18, p. 59.

62. P. Martin, op. cit. note 18, p. 9 et 59.

63. A. Ybert, op. cit. note 55, p. 215-238.

64. Cl. Lautier, « The Sacred Topography of Chartres Cathedral : The Reliquary Chasse of the Virgin in the Liturgical Choir and Stained-Glass Decoration », The Four Modes of Seeing. Approaches to Medieval Imagery in Honor of Madeline Harrison Caviness, Farnham, 2009, p. 183.

65. Ce procédé de mise en œuvre cohérent est connu dans d’autres édifices comme à la cathédrale de Noyon (Voir G. Victoir, « La polychromie de la cathédrale de Noyon et la datation des voûtes quadripartites de la nef », Bulletin monumental, t. 163, 2005, p. 251-254) ou pour le chevet de la Madeleine de Vézelay étudié dans sa thèse par Arnaud Timbert. Le monument a en effet perdu sa polychromie constituée là encore d’un faux-joint blanc sur fond ocre sauf derrière les faisceaux de colonnettes des murs intermédiaires des chapelles où le faux-appareil a été réalisé avant la mise en place des supports et où le débadigeonnage autour de 1853 n’a pu être total. A. Timbert, Le chevet de la Madeleine de Vézelay et le début de l’architecture gothique en Bourgogne, thèse de doctorat, (dir. É. Vergnolle), université de FrancheComté, 2001, p. 215-216.

66. Ce procédé pourrait expliquer l’encrassement des murs du bas du chœur repéré par Jérémie Viret, voir J. Viret, op. cit. note 19, p. 30.

67. E. de Lépinois et L. Merlet, Cartulaire de NotreDame de Chartres, t. 2, Chartres, 1863, p. 59.

68. Ibid., p. 56-62, note 67.

69. P. Martin, op. cit. note 18, p. 63. C’est pour la même raison qu’à l’occasion de leur restauration, on a fait le choix de recouvrir les lancettes d’un badigeon ocre beige.

70. On n’a pas repéré de trace de recouvrement du badigeon intermédiaire, voir P. Martin, op. cit. note 18, p. 61.

71. M.-J. Bulteau, op. cit. note 6, p. 245-246 et Abbé Sainsot, « La cathédrale de Chartres pendant la Terreur. Deuxième partie », Mémoires de la société archéologique d’Eure-et-Loir, t. 9, 1889, p. 241.

72. Sur la restauration réalisée par l’atelier A.R.T. SA, voir rapport cité note 59 et G. Reille-Taillefert, « Découverte et restauration de peintures murales gothiques du XIIIe siècle à la Cathédrale de Chartres », dans Conservation, exposition, restauration d’objets d’art, CeROArt, mis en ligne le 7 décembre 2011 (http://ceroart.revues.org/2200). La restauration a consisté en un dépoussiérage, un traitement des sels et des micro-organismes et une pré-consolidation de la couche picturale. On a ensuite procédé au dégagement des peintures par retrait des plaques de badigeons qui les recouvraient, puis à la consolidation de la couche picturale et du support dont les lacunes ont été rebouchées et reprises. Les tracés des principales structures permettant d’identifier la forme géométrique de la rose côté nord ont été relevés par de légers glacis d’aquarelle. En revanche, la restauration picturale des motifs des quatre roses n’a été effectuée que très ponctuellement, en glacis, par tratteggio et de manière réversible, à l’aquarelle. Les motifs figuratifs manquants ou illisibles n’ont été ni réintégrés ni restitués.

73. A. Leturque, « Le savoir technique dans l’art de peindre au Moyen Âge : les modes opératoires décrits dans le Liber Diversarum Artium (ms. H277, Bibliothèque de l’École de médecine de Montpellier), In situ, revue des patrimoines, novembre 2013 [en ligne sur http://insitu.revues.org/10646].

74. Ch. Davy, op. cit. note 45, p. 94-95.

75. Ces peintures sont sans doute demeurées inachevées, probablement à cause de la dissolution de l’Ordre du Temple en 1314, voir M. Thibout, « À propos des peintures murales de la chapelle SainteCatherine de Montbellet », Bulletin Monumental, t. 108, 1950, p. 85-89.

76. Paris, BnF, ms. fr. 19093.

77. W. Schöller, « Le dessin d’architecture à l’époque gothique », dans Les bâtisseurs des cathédrales gothiques, catalogue d’exposition publié sous la direction de Roland Recht, Strasbourg, 1989, p. 227-235.

78. V. Detalle, Q. Lemasson, B. Trichereau, Chartres, Eure-et-Loir (Centre), Cathédrale Notre-Dame, nef, premières travées, baies hautes peintes en trompe-l’œil, caractérisation de la polychromie (XIIIe siècle) par LIBS, rapport n°1261B, juin 2014, Documentation CRMH, DRAC Centre-Val de Loire

79. V. Detalle et alii, op. cit. note 78, annexe 6, p. 94-117.

80. G. C. Walker et al., Terahertz analysis of stratified wall plasters at buildings of cultural importance across Europe, SPIE, The International society for optical engineering, 2013, p. 1-8.

81. V. Detalle et alii, op. cit. note 78, p. 22-23.

82. Ancêtre des violes et des violons, la vièle est un instrument à cordes frottées dérivé de la lyre grecque utilisée dans l’empire byzantin. Je remercie André Bonjour (Instrumentarium de Chartres) pour ses avis techniques sur les instruments peints dans ces roses.

83. Jérôme de Moravie, Tractatus de Musica, Bnf, ms. lat. 16663. Traité sur la musique, éd. Christian Meyer, traduction Esther Lachapelle, Guy Lobrichon et Marcel Pérès, Paris, 1996.

84. Arbre de Jessé, Psautier d’Ingeburge, Chantilly, musée Condé, ms. 9, fol. 14v, vers 1200.

85. Baie 219, médaillon O50.

86. Baie 219, médaillon E50.

87. A.R.T. SA, op. cit. note 59, p. 87.

88. Université de Glasgow, ms. Hunter 229 (U.3.2), entre 1099 et 1399, fol. 21v, nord de l’Angleterre (diocèse de York ?), vers 1170.

89. Bibliothèque Mazarine, ms. 0036, fol. 214.

90. Cette sinopia n’est aujourd’hui plus visible.

91. J. Wirth, L’image à l’époque gothique (1140-1280), La Rochelle, 2008, p. 188-189.

92. Ibid., p. 192.

93. Dijon, Bibliothèque municipale, Martyrologe, ms. 0633, f. 002.

94. Évreux, Bibliothèque municipale, ms. lat. 004, f. 135.

95. Besançon, Bibliothèque municipale, Psautier à l’usage de Limoges, ms. 0140, f. 062v.

96. Troyes, Bibliothèque Municipale, Bible, ms. 0577, f. 259.

97. J. Wirth, op. cit. note 91, p. 194.

98. Voir les colonnes en trompe-l’œil de la Torhalle de Lorsch ou le décor de tailloirs, chapiteaux et colonnes peint au IXe siècle dans la crypte de SaintGermain d’Auxerre (Voir Ch. Sapin (dir.), Peindre à Auxerre aux IXe-XIVe siècles. 10 ans de recherche à l’abbaye Saint-Germain d’Auxerre et à la cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre, Auxerre, Centre d’Études Médiévales, et Paris, CTHS, 1999, en particulier p. 74-78, 104-105 et 126-136).

99. En Westphalie, on trouve néanmoins une arcature feinte, semblant anticiper le triforium gothique dans l’église romane d’Ostönnen, peu après 1200 ; de même, on en trouve un exemple dans l’église cistercienne de Doberan en Allemagne, érigée entre la fin du XIIIe et le milieu du XIVe siècle (A. Vuillemard, op. cit. note 4, p. 178-179).

100. Le vitrail est par exemple très certainement la référence de la composition en médaillons des pein- tures murales du Petit-Quevilly près de Rouen où l’on trouve notamment des médaillons ronds à fonds bleus cernés d’une riche végétation ornementale. Plus signi- ficatif encore est le décor de la chapelle de la Vierge de l’église d’Auzon (Haute-Loire) où l’on trouve une imitation des armatures de vitraux formées de médaillons circulaires ou demi-médaillons, de losanges et de quadrilobes. Les scènes historiées sont disposées dans ces médaillons entourés de filets de diverses couleurs, au fond bleu sombre, superposés en quatre registres sur un fond rouge. Cet exemple d’Auzon demeure néanmoins très isolé dans la pein- ture murale et l’on notera par ailleurs un décalage entre ces citations de verrières du XIIIe siècle dans des peintures murales qui sont sans doute de la fin du XIIIe ou du début du XIVe siècle (Voir M.-P. Subes, op. cit. note 51, p. 153-154).

101. M.-P. Subes, op. cit. note 51.

102. C. di Matteo et P.-A. Lablaude, « Le décor intérieur de la chapelle du château de Farcheville », dans Architecture et décors peints, Paris, 1990, p. 75-80.

103 Notamment ceux de la chapelle royale du palais de Paris.

104. Il est d’ailleurs à noter que le tracé de ces quadrilobes est identique à celui des quadrilobes de Chartres, voir Ch. Davy, op. cit. note 47.

105. Au-dessus des grandes arcades de la nef, les baies sont totalement aveugles et seuls six remplages peints en blanc jaunâtre sur un fond gris relevés par Teuchert donnent l’illusion de vraies ouvertures, voir W. Teuchert, Stadtkirche in Neustadt, Broschiert, 1960, p. 40.

106. Il s’agit d’une reprise assez fidèle pour que l’on puisse en reconnaître l’inspiration. Néanmoins, les douze lobes du polylobe central de la rose parisienne ont ici été remplacés par un simple hexalobe qui reprend le dessin des baies véritables des collatéraux. La double couronne de rayons de la rose, avec ses petits arcs trilobés reposant sur de fines colonnettes, est en revanche extrêmement similaire à la création française.

107. Ainsi en est-il aussi d’une rose dont la localisation n’est pas précisée, mais dont le dessin est reproduit par Ernest William Tristram dans son ouvrage sur les peintures murales en Angleterre au XIIIe siècle. Il s’agit en effet d’un hexalobe traité dans une tonalité claire se détachant sur un fond sombre. Les lobes ne rejoignent pas totalement le centre comme le feraient les rayons d’une rose. Ils sont séparés les uns des autres par un fleuron. L’ensemble prend place dans un oculus formé de faux-claveaux blancs sur lesquels se détache une rosette semblable à celle du chœur de la rose. Il n’y a donc pas là de volonté d’illusion, mais plutôt une valeur esthétique donnée au motif. Ainsi en est-il également de la rose du Trecento présente dans la nef de Sant’Abbondio de Côme qui se compose d’un jeu complexe d’entrelacs. E. W. Tristram, English Medieval Wall Painting : the Thirteenth Century, Oxford, 1950, pl. suppl. 54b.

108. Découverts par Kenneth John Conant, ces faux-vitraux ont été peints dans deux arcatures en partie haute du bras sud du transept de l’abbatiale de Cluny. Ils présentent un simple motif en résille reproduisant les réseaux de plomb d’une verrière incolore et aniconique. La rose aveugle de la façade occidentale de la cathédrale de Sens porte elle aussi un décor peint constitué d’une simple résille imitant le réseau de plomb d’une baie ; sans doute moderne, il reprend néanmoins très probablement une disposition plus ancienne (A. Timbert, « Formes, matériaux et techniques, la construction de la cathédrale gothique », dans Chartres, La Grâce d’une cathédrale, Strasbourg, 2013, p. 99-100).

109. Ces vitraux ont été peints sur le mur nord de la nef face aux fenêtres du mur sud dont ils reprennent exactement les dimensions. Encadrés d’une bordure en ruban plié et divisés en trois panneaux, au moyen de barlotières simulées, ils présentent des fonds de résilles losangées et des rinceaux régulièrement entrecroisés, imitant, dans des tons ocres, des panneaux de grisailles à double plomb. L’échelle est légèrement supérieure à celle des verres traditionnels. Les ferrures flottent de façon irréelle dans la baie alors qu’un souci de réalisme a fait suggérer les clavettes. Bien que purement ornementales, ces peintures sont néanmoins sans doute un excellent témoignage des motifs employés dans l’art du vitrail au début du XIIIe siècle. L’artiste qui réalisa ces peintures est peut-être le même que celui qui œuvra au milieu du XIIIe siècle dans l’église voisine de Saint-Meuge-de-Lourps à Longueville (Seine-et-Marne) où l’on trouve un décor peint directement sur l’enduit d’origine, peu après l’achèvement du chantier de construction de l’église. Sur les murs de la nef, il représente un appareil de pierre qui évolue, de travée en travée, vers une sorte de lacis blanc sur fond d’enduit. Au revers du portail occidental, ce même décor de lacis est enrichi de fleurettes stylisées, selon un schéma assez semblable à celui des fausses fenêtres de Champcenest, voir J.-C. Rochette, « Seine-et-Marne, l’église de Champcenest et ses peintures murales », Bulletin monumental, t. 141, 1983, p. 197 et J. Moulin, « Église de Lourps, à Longueville (Seine-et-Marne), restauration du décor peint », dans Architecture et décors peints, Paris, 1990, p. 94-97. Je remercie Jacques Moulin, architecte en chef des monuments historiques, d’avoir appelé mon attention sur ce décor.

110. F. Jeanneau, « Poitiers. Les décors peints du bras sud du transept de la cathédrale Saint-Pierre », Bulletin monumental, t. 171, 2013, p. 53-57 et C. Landry-Delcroix, « L’apport de la peinture murale à l’espace intérieur : de la mise en valeur de l’architecture à la création d’un bel oratoire », dans C. Andrault-Schmitt (dir.), La Cathédrale Saint-Pierre de Poitiers. Enquêtes croisées, La Crèche, 2013, p. 270282.

111. Ce décor imitant des fenêtres, peint entre 1316 et 1324 au niveau de la coupole romane occidentale faisait pendant à celui disparu de la coupole orientale sur laquelle, d’après les chroniqueurs du XVIIe siècle, étaient figurés les premiers évêques de Cahors. Il représente la vision de saint Étienne pendant son martyre, en présence des prophètes. La composition radiale est axée sur un médaillon central représentant le martyre, autour duquel rayonnent huit compartiments que cloisonnent de larges bandes de rinceaux de pampres de vigne. Dans chaque compartiment figure, sous une arcature peinte, un prophète qui porte un phylactère indiquant son nom, témoin de la vision de saint Étienne.

112. Des fenêtres aveugles sont ornées de personnages qui prennent place sous une représentation d’architecture semblable à ce que l’on peut observer dans les vitraux à la même époque, notamment à Chartres.

113. Les comparaisons, qui doivent tenir compte des motifs des vitraux, permettent de placer l’exécution vers le milieu ou le dernier tiers du XIVe siècle, soit à la suite des ravages de 1370, soit en relation avec la sépulture de Ramnulphe de Pompadour (mort en 1362) à cet endroit, sans exclure une réalisation plus ancienne qui pourrait se situer à l’apogée du décor monumental méridional (dans le deuxième quart du XIVe siècle).

114. C. Piel, « Peintures murales », dans L’achèvement de la cathédrale de Limoges au XIXe siècle, Limoges, 1988, p. 63-75.

115. S. Bonde, C. Maines, Saint-Jean-des-Vignes in Soissons. Approaches to its Architecture, Archaeology and History, Turhnout, 2003 (Bibliotheca Victorina, XV). Je remercie Jean-Lucien Guénoun, architecte des bâtiments de France de l’Oise, d’avoir appelé mon attention sur ces peintures.

116. On note par ailleurs que, dans les trompes appareillées portant les pans coupés des deux absides, a été réalisé, de façon tout à fait unique, un remplage feint évoquant les lancettes de style gothique rayonnant avec des motifs faisant allusion aux roses contemporaines.

117. La chapelle présente un cycle pictural complet qui illustre la deuxième vision de l’Apocalypse. Outre les médaillons et quadrilobes à fond bleu des voûtes, sur les murs lisses des travées droites, on trouve deux niveaux d’arcatures feintes superposées abritant différents personnages. Dans la partie supérieure, des baies ont été simulées avec le même remplage que celui des fenêtres véritables du chevet. Un faux-vitrail bleu avec un semis de fleurs de lys blanches achève de donner l’illusion d’une ouverture sur l’extérieur. Lors de la restauration de la chapelle dans les années 1960, les trois baies réelles ont été garnies de nouveaux vitraux prenant pour modèle les peintures murales dont on a supposé qu’elles reprenaient l’iconographie des anciennes baies.

118. G. Victoir, « L’iconographie du retable de SaintGermer-de-Fly : une nouvelle interprétation », La revue des musées de France. Revue du Louvre, n° 4, 2013, p. 36-45.

119. I. Isnard, L’abbatiale de La Trinité de Vendôme, Rennes, 2007, p. 126-128.

120. Selon Louis Grodecki, les vitraux devraient d’ailleurs être considérés comme des parois lumineuses plutôt que comme des ouvertures destinées à laisser passer la lumière. En ce sens, la distinction entre peintures murales et vitraux de verre doit être nuancée. L. Grodecki, « Le vitrail et l’architecture au XIIe et au XIIIe siècle », Gazette des Beaux-Arts, 6e période, t. 36, 1949, p. 5-24.

121. Il est en effet fort probable que de nombreux témoins sont encore inconnus et seront peut-être redécouverts eux aussi à l’occasion d’un chantier de restauration. À cet égard, l’on ne peut qu’inviter les maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre à être particulièrement vigilants, notamment en présence de toute baie aveugle et d’envisager des sondages systématiques en reconnaissance de peintures murales. D’autres, en revanche, ont dû disparaître au cours des siècles ou à l’occasion d’un chantier de restauration négligeant. On trouvait par exemple peut-être des peintures au transept de la cathédrale de Meaux élevé entre la fin du XIIIe et le début du XIVe siècle : la partie basse présente un mur aveugle couvert de remplages dans le prolongement des deux tiers supérieurs, vitrés. Une même disposition se retrouve à la cathédrale de Sens.

122. Il semble que les exemples de vitraux peints à décor historié antérieur au XIVe siècle soient très rares, les roses de Brechten et de Lucerne se contentant d’imiter les remplages d’une rose, sans l’orner d’une iconographie particulière.

123. L. Grodecki et C. Brisac, Le vitrail gothique au XIIIe siècle, Fribourg, 1984, p. 28.

124. Par exemple dans les quatre lancettes latérales de la rose sud et dans deux des lancettes latérales de la rose nord, de même que dans la baie 120.

125. Par exemple dans les trois lancettes centrales de la rose nord, pour la Vierge à l’Enfant des baies 113 et 122 ou dans le cas du saint Georges de la baie 133, ainsi que dans les baies 137, 139, 140.

126. Cl. Lautier, « Le contexte gothique d’une icône romane silhouettée : la baie de la Belle-Verrière de Chartres », dans Les panneaux de vitrail isolés. Die Einzelscheibe. The single stained-glass panel, Actes du XXIVe colloque international du Corpus vitrearum, Zurich, 2008, Peter Lang, 2010, p. 29.

127. Cl. Lautier, « La rose occidentale de la cathédralede Chartres », dans Arts of the Medieval Cathedrals.  Studies on Architecture, Stained Glass and Sculpture in Honor of Anne Prache, 2015, p. 121-133. La restauration de la baie par l’atelier de Claire Babet a été accompagnée d’une étude en partie financée par la DRAC Centre-Val de Loire (I. Havard, sous la direction de C. Lautier et avec la collaboration de D. Geronazzo, Chartres, cathédrale Notre-Dame, verrières de la façade occidentale, étude documentaire, Université Paris-Sorbonne – Centre André Chastel (UMR 8150) – Direction régionale des Affaires culturelles de la Région Centre, 2012, Documentation CRMH, DRAC Centre-Val de Loire).

128. Ibid., note 127.

129. L’ensemble des vitraux (173 verrières représentant plus de 2 000 m2 de vitraux) semble avoir été réalisé entre 1200 et 1235 environ.

130. C’est l’hypothèse d’Y. Delaporte, op. cit. note 7, p. 17 et de C. Lautier, dans « Vitraux et reliques », Chartres, la Grâce d’une cathédrale, 2013, p. 211-216.

131. P. Stirnemann, notice 67, 68 et 69, dans Une renaissance. L’art entre Flandre et Champagne. 1150-1250, catalogue d’exposition, Musée de Cluny, 2013, Paris, 2013, p. 129 et 130.

132. M. Hérold, « Aux sources de l’“invention” : Gaultier de Campes, peintre à Paris au début du XVIe siècle », Revue de l’art, n° 120, 1998, p. 49-57.

133. S. Brown et D. O’Connor, Les peintres-verriers, Paris, 1992, p. 15 et 16.

134. Cité par E. W. Tristram, op. cit. note 107, p. 387.

135. J. Mairey, « Les médaillons peints de la SainteChapelle, restaurations et techniques », Livraisons d’histoire de l’architecture, 2001, 1, p. 75-88.

136. Les fonds de verre illustrent, au XIIIe siècle, cette technique appelée depuis le XVIIIe siècle « verre églomisé ». Le verre, d’une belle tonalité bleue, fait apparaître, par transparence, des motifs découpés dans une feuille d’argent. Aujourd’hui, seuls deux d’entre eux, malgré le peu qu’il en subsiste, peuvent être authentifiés comme des originaux du XIIIe siècle ; ce sont les médaillons du martyre de saint Georges sur la façade occidentale et celui de saint Matthieu au nord.

137. Voir le Christ bénissant de la baie 113, Vierge à l’Enfant des baies 118 et 120.

138. Selon Vincent de Beauvais, l’unité est un élément esthétique primordial, destiné à susciter le plaisir des yeux en même temps que l’admiration du cœur.

139. Les antiquités juives de Flavius Josèphe, Paris, BnF, Ms. fr. 247, fol 163v, vers 1470-1476.

140. Antienne des Vêpres de la dédicace des églises.

141. Voir A. Timbert, « Quand les cathédrales étaient peintes. La quête de la transparence », Arts sacrés, n° 24, juillet-août 2013, p. 10-15 et op. cit. note 15, p. 87 et 373-382.

142. À l’occasion de la restauration de la rose nord du transept en 1995, on a constaté que la rose était entièrement polychrome, avec des fleurs peintes au naturel, des filets rouges, noirs et jaunes soulignant les moulures, voir S. Demailly, Chartres, cathédrale Notre-Dame, Eure-et-Loir. Rapport LRMH n°143, août 2000. L’étude d’Archeodunum sur la façade occidentale n’a pas permis de retrouver d’autres traces de polychromies que celles déjà connues sur le Portail royal, voir O. Nonformale, R. Rossi Manaresi, op. cit. note 9. Le portail nord porte lui aussi encore la trace d’une polychromie ancienne.

143. M. Pastoureau, « L’Église et la couleur, des origines à la Réforme », Bibliothèque de l’École des Chartes, 1989, t. 147, p. 205.

144. A. Timbert dir., op. cit. note 15, p. 373 à 382.

145. Cl. Lautier, « Les vitraux de la cathédrale de Chartres : reliques et images », Bulletin monumental, t. 161, 2003, p. 3-97..

146. Ch. Davy, op. cit. note 45, p. 60.

147. Bourges, Bibliothèque municipale, ms. 3, fol. 255v.

148. Psautier dit de saint Louis, initiale B du psaume 1 (David et ses musiciens), vers 1190-1200, Leyde, Bibliothèque universitaire, ms. BPL 76A, fol. 30v.

149. Dans quasiment un cas sur deux, le thème du Jugement dernier se trouve représenté au niveau de la façade occidentale, voir J. Baschet, « L’enfer en son lieu : rôle fonctionnel des fresques et dynamisation de l’espace cultuel », dans Luoghi sacri e spazi della santità, S. Boesch Gajano et L. Sacaraffia (dir.), Turin, 1990, p. 551-563 et Les justices de l’au-delà. Les représentations de l’enfer en France et en Italie (XIIe-XIVe siècles), Rome, École française de Rome, 1993.

150. Cl. Lautier, op. cit. note 127.

151. Cl. Lautier, « Les deux galeries des rois de la cathédrale de Chartres », Bulletin monumental, t. 169, 2010, p. 62. Le manuscrit de cet ordinaire (entre 1152 et 1173) est aujourd’hui conservé aux Archives municipales de Châteaudun, sous la cote C13. Il a fait l’objet d’une copie par le chanoine Yves Delaporte conservée aux Archives diocésaines.

152. Ibid., p 41-64.

153. Cl. Lautier, op. cit. note 127.

154. C’est la thèse retenue par Jean-Paul Deremble et Colette Manhes (Les vitraux légendaires de Chartres. Des récits en images, Paris, 1988) et à leur suite par Brigitte Kurmann-Schwarz (« Récits, programme, commanditaires, concepteurs, donateurs : publications récentes sur l’iconographie des vitraux de la cathédrale de Chartres », Bulletin monumental, t. 154, 1996, p. 55-71, notamment p. 68). Elle est en revanche contestée par Wolfang Kemp (Sermo corpo-reus. Die Erzählungen der mittelalterlichen Glasfenster, Munich, 1987).

155. Br. Kurmann-Schwarz, op. cit. note 154, p. 68.

156. M. Harrison Caviness, Sumptuous Arts at the Royal Abbeys in Reims and Braine. Ornatus elegantiae, varietate stupendes, Princeton (New Jersey), 1990, p. 63-64.

157. On retrouve en effet David en plusieurs emplacements, que ce soit dans la rose nord, dans la baie 103 de l’abside, dans la galerie des rois sud, dans l’Arbre de Jessé.

158. É. Mâle, « La peinture murale en France au XIIIe et au XIVe siècles », dans Histoire de l’Art, A. Michel (dir.), Paris, 1906, t. II/1, p. 401-407.

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