Anne de Kiev reine de France et les Vermandois et Valois.

Introduction

L’Histoire de France est certes si dense et complexe que l’on n’a jamais tout appris ou que, les années passant, on en a un peu oublié certains évènements.  Par exemple, savez-vous que nous avons eu une reine des Francs originaire de Kiev ? Voici des renseignements concernant cette souveraine.

Passionné de généalogie (autant que d’histoire médiévale), j’ai eu la surprise de découvrir qu’il existe des liens entre cette reine et les Vermandois par l’un de ses fils, et avec les Valois,  branche des Vermandois, par son second mariage. Les Vermondois, cela nous dit quelque chose. Bien sûr, la conférence et le livre d’Arlette Boué « Ledgarde de Vermandois. Une grande dame du Xe siècle » [1]. Pour notre reine, nous sommes un siècle plus tard, et plusieurs générations après les ancêtres de Ledgarde.

Cet article n’est pas un travail universitaire et il n’est certainement pas exhaustif. Mais si vous avez des éléments complémentaires, n’hésitez pas à faire des commentaires. 

Origines d’Anne de Kiev

Anne est née à Kiev, principauté qui, du IXe au XIIIe siècle, est le premier État organisé de ce qui va devenir la Ruthénie. Son année de naissance est imprécise  : selon les sources vers 1024, 1032 ou 1036.

Son nom est Anna Iaroslavna (ou Yaroslavna). Elle est la fille de Iaroslav le Sage, grand prince de Kiev, et de sa seconde épouse, Ingégerd de Suède.

Selon le Professeur Christian Bouyer, « Anne cumule dans les sources de nombreux patronymes. Les historiens en recensent à son égard une bonne demi-douzaine : Anne de Russie, Anne de Ruthénie, Anne d’Ukraine, Anne d’Esclavénie, Anne de Kiev,  et quelques autres très imprécis » [2]. Il est à noter que la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine se disputent la postérité d’Anne [3], reflétant les divergences historiographiques et mémorielles à la Rus’ de Kiev [4].

La famille d’Anne

Ses parents, Iaroslav le Sage et Ingégerd de Suède ont eu 9 enfants. « Leurs fils Iziaslav épousa une princesse polonaise, Vsevolod une princesse  byzantine, et Sviatoslav, la petite fille de l’empereur germanique Henri II. Quant aux filles, Elisabeth, la sœur aînée d’Anne, épousa l’étonnant aventurier Harald le Brave, roi de Norvège, à qui Oslo doit sa fondation en 1058.  Veuve, elle s’unit en secondes noces à Sven, roi de Danemark. Sa plus jeune sœur Anastasia, se maria  vers 1050 avec le roi de Hongrie André Ier, et Anne épousa Henri Ier, le roi de France. » [5]

 

Le premier mariage avec Henri Ier

Henri Ier, fils de Robert le Pieux et de Constance d’Arles, né le 4 mai 1008 à Reims, est roi des Francs de 1031 à 1060. En 1033 (ou 1043) il a épousé en premières noces Mathilde de Frise (1025 ou 1026-1044), fille de Ludolf de Frise. 

Veuf en 1044 et sans enfant légitime, Henri épouse Anne de Kiev le 19 mai 1051 [2]. Pour cela, une  première ambassade fut envoyée à Kiev en 1049 pour y obtenir la main de la fille de Iaroslav le Sage. Cette ambassade a été conduite par Roger II de Châlons [6], évêque de Châlons. Anne avait reçu une éducation soignée et connaissait le grec et le latin. Le consentement des parents obtenus, une seconde ambassade ramène la princesse pour le mariage qui voyage par Cracovie, Prague, et Ratisbonne.

Fig.1 : La Princesse Anna, fille du grand prince Yaroslav le Sage, quitte Kiev pour la France pour se marier avec le roi Henri I. (source : http://www.runivers.ru/upload/iblock/c9c/1_page_022.jpg).

Appartenant par sa confession à l’Église des sept conciles, elle épouse à Reims en premières noces, le 19 mai 1051 [2], jour de la Pentecôte [5], le roi Henri Ier de France qui relève, quant à lui, de l’Église catholique romaine. Ces deux Églises forment encore l’Église indivise, puisque cet évènement a lieu avant le schisme de 1054.

Fig.2 : Mariage de Henri de France et d’Anne de Kiev à Reims (source : British Library, Royal 16 G VI f. 269v, domaine public).

On se demande pourquoi il est allé si loin pour trouver une épouse. Et bien, c’était à cause de l’interdiction pontificale des mariages entre parents jusqu’au 7ème degré. [5]. C’est l’une des raisons qui ont obligé son père Robert le Pieux à se séparer de sa seconde épouse Berthe de Bourgogne (celle qui est associée à l’escalier chartrain) : ils étaient en effet cousins issus de germains.

De cette union, naissent :

  • Philippe Ier 1 (1052-1108), qui, associé au trône en 1059, succède à son père l’année suivante sous le nom de Philippe Ier.
  • Emma (1054-1055?) 2 .
  • Robert (1055 ou 1056 -1063) 3 .
  • Hugues le Grand (1057-1102), comte de Vermandois, époux d’Adélaïde de Vermandois.

Ainsi, le fils d’Anne de Kiev, Hugues le Grand (dit « de Crépy ») est entré dans la Maison des Vermandois par son mariage avec Adélaïde appartenant à la lignée des Herbertiens 4. En effet, Adélaïde, comtesse de Vermandois, Valois et Crépy, était la fille d’Herbert IV comte de Vermandois et d’Adèle (ou Adélaïde) de Valois et Crépy. [7] 

La vie d’Anne

« Anne semblait s’être acclimatée en France : elle partagea la vie errante de son époux, celle des rois et seigneurs en général qui allaient de résidence en résidence, mais elle marqua apparemment quelques prédilections pour celle de Senlis. (…) Selon les témoignages des chroniques, le couple royal paraissait bien s’entendre ; le nom de la reine Anne était mentionné à côté de celui du roi, dans plusieurs actes. Ainsi, le 12 juillet 1058, son nom parut dans un diplôme donné par Henri Ier au monastère de Saint- Maur-des Fossés. La même année elle confirma la charte donnée par son époux en faveur de l’abbaye de Hasnon. Le 29 mai 1059, la reine assista au sacre de son fils Philippe à Reims. A ce moment-là un acte fut donné en faveur du monastère de Tournus.

Henri Ier mourut à Vitry-aux Loges près d’Orléans, le 4 août 1060, à l’âge de 52 ans. Après sa mort, Anne se retira avec ses enfants au château de Senlis. Elle conserva la tutelle et la garde du jeune roi. Au cours des trois années qui suivirent la mort d’Henri, le nom de la reine Anne figura encore dans plusieurs pièces.

Après la mort de son époux, Anne se consacra à l’éducation de ses enfants, tout en remplissant un rôle politique indiscutable au cours de la première année de régence. Elle agit en souveraine auprès de son fils Philippe, c’est pourquoi son nom fut souvent mentionné à côté de celui-ci. » [5]

Le second mariage avec Raoul III « Le Grand », comte de Valois, d’Amiens et du Vexin

Après l’entrée dans la Maison des Vermandois de son fils Hugues le Grand par son mariage avec Adélaïde, comtesse de Vermandois, décrite précédemment, ce mariage d’Anne avec Raoul III, comte de Valois, d’Amiens et de Vexin, la fait aussi entrer dans la Maison des Valois issue de celle des Vermandois. En effet, l’arrière-arrière-grand-père de Raoul III, Raoul Ier était comte de Vermandois mais aussi comte de Valois et de Crépy.  [7] (p. 12 et 13)

Les circonstances de ce mariage sont très particulières et les dates un peu confuses. En effet, Raoul III « Le Grand »  de Valois venait de répudier sa seconde épouse légitime, Aliénor «  Haquenez »  en 1060 [7] quand il décida de se marier avec Anne en 1063, 1062 pour Bouyer [2] ou 1061 pour Pattou [7] (p. 13). Cette union suscite la colère des évêques  ainsi qu’une brouille passagère avec son fils Philippe Ier [2], et le couple est excommunié en 1064 [8]. Pour Mandzukova, seul Raoul a été excommunié : « La Pape Alexandre II, mis au courant de ce mariage contraire aux lois ecclésiastiques, excommunia Raoul ». [5] 

Fig.3 : Signature cyrillique d’Anne de France (source : BnF, Diplôme de Philippe 1er en faveur de l’abbaye de Saint-Crépin de Soissons, domaine public).

« Nous savons peu de choses sur ce que fut la vie d’Anne devenue comtesse de Crépy. En 1063, elle se trouvait à Soissons où son fils Philippe confirma une donation faite en faveur de l’abbaye St-Crépin. Le roi signa d’une croix 5 , à côté du monogramme qui le désignait « Philipus ». Anne signa à son tour d’une croix, en caractère slavon 6. A plusieurs reprises les diplômes royaux ou autres de l’époque signalent sa présence aux côtés de Philippe à Corbie ; en 1067 ils se retrouvent à Amiens. » [5]

La reine Anne de France a fondé en 1065 7, à Senlis dans l’Oise, ville très liée aux premiers Capétiens, une abbaye Saint-Vincent  devenue aujourd’hui le lycée Saint-Vincent. Elle aimait Senlis, prétend un chroniqueur, « tant par la bonté de l’air qu’on y respirait que pour les agréables divertissements de la chasse à laquelle elle prenait un singulier plaisir ». [11]

« Raoul de Péronne mourut en 1074. Après sa mort Anne se retira à Senlis, près de son fils le roi Philippe et du prince Hugues, qui assistait son frère dans le gouvernement. Crépy sans Raoul ne signifiait plus rien pour elle. Sa dernière signature date de 1075, sur un diplôme en faveur de l’abbaye de Pontlevoy, près de Blois. Il est probable qu’Anne quitta la cour peu après. A ce moment-là elle n’avait que 52 ou 53 ans. Il y a tout lieu de croire qu’elle se retira dans quelque monastère où elle finit en paix ses jours, dans la prière et dans la pénitence. » [5]

On ne sait pas quand Anne est décédée, ni où elle a été inhumée. Nous n’épiloguerons pas sur la prétendue tombe de l’abbaye de Villiers-aux-Nonnains en Essonne, qui n’a été fondée qu’en 1220, et dont il n’y a aucun document mentionnant un transfert des restes d’Anne dans l’abbaye. De même, l’hypothèse évoquée par Guérard [8] et Bouyer [2] qu’Anne serait retournée mourir à Kiev ne paraît pas plausible pour Mandzukova  :

« L’hypothèse qu’elle soit retournée dans son pays ne repose sur aucun fait précis et paraît tout à fait invraisemblable. Pour quelle raison, un quart de siècle après avoir quitté son pays, une princesse devenue tout à fait française, aurait voulu aller finir ses jours sur les bords du Dniepr ? Elle n’y aurait plus retrouvé que des collatéraux indifférents ou hostiles. Son père étant mort, en 1075, ses frères Sviatoslav et Iziaslav se disputaient le trône paternel avec acharnement depuis plusieurs années et Anne ne pouvait l’ignorer. Ainsi, on ne voit guère les raisons d’un retour au pays de son enfance, mais il est encore plus difficile d’imaginer « qu’elle ait pu briser les liens de l’affection maternelle, et tout autant ceux de l’affection pour son peuple auquel elle était profondément attachée, elle, princesse de Kiev qui était devenue reine de France ». [5]

Anne de Kiev de nos jours

Deux statues

Une première statue a été installée au XIXe siècle dans l’enceinte du lycée Saint-Vincent. [10]

Une seconde statue d’Anne de Kiev a été élevée place des Arènes à Senlis. En 2005, Viktor Iouchtchenko, le nouveau président de l’Ukraine arrivé au pouvoir avec la Révolution orange, était venu inaugurer sa statue à Senlis. [11]

Fig.4 : Statue d’Anne de Russie dans l’abbaye de Senlis (source : Wikimedia Commons, auteur inconnu, domaine public).

Fig.5 : Statue d’Anne de Kiev sur la place des Arènes à Senlis (Source et crédit à l’auteur : myself, CC BY-SA 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0, via Wikimedia Commons).

Dans les romans

Régine Deforges, Sous le ciel de Novgorod (roman).

Marie-Claude Monchaux, La petite princesse des neiges, Anne de Kiev (roman historique).

Au cinéma et au théâtre

Antoine Ladinsky, Anne de Kiev, reine de France, adapté au cinéma par Igor Maslennikov sous le titre Ярославна, королева Франции (Yaroslavna, reine de France), 1978.

La pièce Nous vivrons éternellement (Yaroslavna — reine de France) de Valentyn Sokolovsky tirée de son roman Anna. La Dilogie.

Alain AJ Bohu, auteur
Arlette Boué, relecture
Célia Soviéni, relecture
V. Copovi, contributeur

Notes :

1 Réputée descendante de Philippe de Macédoine [7], Anne introduit le prénom « Philippe » à la cour de France en le donnant au fils aîné  de son premier mariage. 

2 Selon Françoise Guérard [8], Emma née en 1054 serait morte quelques mois après sa naissance. Ivan Gobry [9] le confirme.

3 Selon Ivan Gobry [9], Robert serait né l’année suivante du décès d’Emma, donc en 1055 ou 1056. Il aurait été enlevé à cinq ans par la maladie.

4 Les Herbertiens descendent – par Herbert I de Vermandois – de Pépin II de Vermandois, arrière-petit-fils de Charlemagne [7]. Et Ledgarde de Vermandois, chère à Arlette Boué [1], est la fille d’Herbert II .

5 La croix n’est pas une signature, mais l’endroit indiquée par le scribe où les signataires doivent déposer leur signature. Pour le roi Philippe, il s’agit d’un monogramme qui ressemble beaucoup à celui de Charlemagne (cf. le lien vers le document complet dans la légende de la Fig.3).

6 La signature de la reine Anne est en caractères cyrilliques (cf. Fig.3).

7 Consécration le 25 octobre 1065. [5]

Références :

[1] Arlette Boué, Ledgarde de Vermandois. Un grande dame du Xe siècle, Chartres, Société Archéologique d’Eure-et-Loir, 2019.

[2] Christian Bouyer, Les Enfants Rois, Paris, Pygmalion, 2012.

[3] Philippe Delorme, Anne de Kiev : épouse de  Henri Ier, Paris, Pygmalion, 2015.

[4] Olivier Piot, “Kiev la doyenne“, Le Monde, 1er octobre 2009, mis à jour 20 avril 2010. 

[5] Olga Mandzukova-Camel, Anne de Kiev, reine de France, comtesse de Valois, Perspectives ukrainiennes, 26 juillet 2013. (Perspectives ukrainiennes)

[6] Henry Fleury et Louis Paris (dir), La chronique de Champagne, Reims, 1837, t. II, p. 90.

[7] Etienne Pattou, Racines et Histoire : Vermandois, Valois et Vexin, 2020, pp. 10, 11.  (Vermandois Valois et Vexin)  

[8] Françoise Guérard, Dictionnaire des Rois et Reines de France, Vuibert.

[9] Ivan Gobry , Histoire des rois de France, Pygmalion, 2003, p. 15.

[10] Jennifer Alberts, Qui est Anne de Kiev, princesse d’Ukraine, reine des Francs et fondatrice de l’abbaye Saint-Vincent à Senlis ?, France 3 Hauts-de-France, 06/03/2022. (France 3]

[11] François-Guillaume Lorrain, Quand une princesse de Kiev était reine de France, Le Point, édition 07/03/2022. (Le Point)

Autres publications :

  • Anne de Kiev, Wikipédia (Anne de Kiev)
  • Henri Ier (roi des Francs), Wikipédia (Henri Ier)
  • V. V. Shishkin, Anna of Kiev (Anna Yaroslavna), In : The Court of Russian princesses of the XI-XVI century, Saint Petersburg State University, 2022 . (Saint Petersburg State University)
  • Robert-Henri Bautier, Anne de Kiev, reine de France, et la politique royale au XIe siècle : étude critique de la documentation, In : Revue des études slaves, tome 57, fascicule 4, 1985. Aspects des relations intellectuelles entre la France, le Russie et l’U.R.S.S., sous la direction de Robert-Henri Bautier, pp. 539-564. (Persée)
  • Emily Joan Ward, Anne of Kiev (c.1024–c.1075) and a reassessment of maternal power in the minority kingship of Philip I of France, In : Historical Research, vol. 89, no. 245 (August 2016). (Historical Research)
  • Maurice Paléologue, Anna-Iaroslawna, Reine de France (1051-1075), Académie Française, 25 octobre 1940. (Académie Française)
  • Vicomte de Caix de Saint-Aymour, Anne de Russie, reine de France et comtesse de Valois au XIe siècle, 1896. (BnF)

 

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