Hôtel particulier à Chartres

HOTEL PARTICULIER
4, rue Saint-Michel à Chartres
Décoré en 1853 par le sculpteur chartrain Henri Parfait *

 

* Ce texte obtint la première place au concours organisé en 1977 par « Chartres, vieille cité de l’an 2000 ».

A la suite de l’exposition Nicole et le Jansénisme où figurait, prêté par un collectionneur chartrain, un petit buste en terre cuite de Pierre Nicole, œuvre du sculpteur Henri Parfait, né à Chartres en 1819 et mort dans cette ville en 1873, il a été remarqué que cet artiste, frère du littérateur et homme politique Noël Parfait, était pratiquement oublié de ses concitoyens.
Monsieur Carré signalait que le musée possédait de ce sculpteur, élève de James Pradier, un buste du chansonnier beauceron Morainville, un médaillon du célèbre abbé Jumentier et le moule du médaillon de Henri Monnier le « père » de Monsieur Prud’homme.

Il rappelait également qu’Henri Parfait avait participé aux travaux de restauration de la cathédrale, après l’incendie de 1836 et qu’on lui devait en particulier la remise en état de la statue de la vierge accompagnée de deux anges qui orne le pignon de la façade méridionale de la cathédrale.

On sait également qu’en septembre 1851 lors de l’inauguration de la statue de Marceau, place des Epars, Gaullier, parent de la mère du Général et Henri Parfait, frère de Noël, se disputèrent l’honneur d’exécuter gratuitement l’inscription du socle du monument.

A cette liste très restreinte, il est possible d’ajouter une œuvre que nous supposons n’avoir jusqu’ici jamais été signalée : le porche de la maison sise 4, rue Saint-Michel et ceci grâce à une correspondance inédite de Noël Parfait que nous avons la bonne fortune de posséder et dont certaines lettres ont déjà figuré aux expositions Jules Hetzel, à Chartres en avril et à Dreux en juin 1966.

Il faut d’abord expliquer l’origine de cette correspondance. Adressée de Bruxelles, elle s’échelonne de 1853 à 1860.
Noël Parfait, proscrit, est devenu à la fois secrétaire et intendant d’Alexandre Dumas alors que celui-ci habitait un hôtel particulier 73, boulevard de Waterloo. Charles Hugo dans Les Hommes de l’Exil au chapitre consacré à Dumas écrit :

« Il avait pris pour secrétaire un brave républicain expulsé de France, Noël Parfait ».


« Jamais homme ne fut mieux nommé.
Nom de baptême gaieté.
Nom de famille sagesse ».

Cet homme, garçon à la barbiche fruste, toujours vêtu de noir sans avoir l’air en deuil, était accompagné de sa femme et de ses enfants. Dumas offrit l’hospitalité à toute la famille ; en échange de quoi, Parfait prit en main ses affaires et copia du matin au soir les romans, mémoires, comédies que l’auteur produisait plus vite que les copistes professionnels ne pouvaient les reproduire.

Dumas menait grand train à Bruxelles, plusieurs proscrits dont Victor Hugo, Hetzel prenaient leurs repas chez lui et, ensuite, avec Deschanel, Quinet, Arago se retrouvaient au café de l’Aigle.

En 1852, Hugo partit pour Jersey ; début 1853, Dumas donna un dîner d’adieux mais laissa la jouissance de la maison du boulevard Waterloo, louée par lui jusqu’en 1855, à Noël Parfait.

En avril 1855, celui-ci quitta l’hôtel particulier, bien qu’il eût pu en profiter gratuitement pendant encore un trimestre, et s’installa avec sa famille 26, rue d’Assaut, près de Sainte-Gudule puis, au début de 1860, regagna Paris où il avait loué un appartement rue de Laval, cité Malesherbes, n° 18.

Pour en revenir à sa correspondance, six de ses lettres, représentant près de 50 pages d’une écriture serrée mais extrêmement soignée, sont adressées à son frère Charles, réfugié chez le Prince Anatole Bariatinsky à Saint-Pétersbourg.

C’est à celle du 20 décembre 1853 que nous nous référerons. Cette missive contient des détails fort pittoresques sur les complications épiques causées à Dumas par sa dernière œuvre La Jeunesse de Louis XIV interdite parce que, explique Parfait, « La censure trouvait dans le sujet, des allusions dangereuses contre le mariage Montijo et, prétendant que les amours de Marie de Mancini avec le Grand Roi pourraient prêter à des rapprochements fâcheux, elle interdit la représentation de la pièce ».

Après plusieurs jours de démarches infructueuses, Dumas écrivit à Arsène Houssaye, le mardi 11 octobre, lui annonçant qu’afin de se servir des décors commandés, il lui adresserait le lundi suivant cinq actes nouveaux La Jeunesse de Louis XV et, le samedi de la même semaine, c’est-à-dire deux jours avant le délai fixé, Dumas présenta une nouvelle pièce écrite en 74 heures.

Après avoir longuement épilogué sur cette aventure, Noël Parfait consacre un long chapitre de sa lettre aux nouvelles de Chartres. Il indique à Charles que leur frère Constant a rouvert sa boulangerie et parlant du sculpteur, il écrit :

« Henri travaille à la fois pour la cathédrale et pour la ville. Il a sculpté sur la place Saint-Michel la façade d’une maison qui fait, me dit-on, l’admiration des chartrains.
Cette maison a été bâtie par un auvergnat qui, d’abord simple ramoneur, est devenu marchand de laines et finalement millionnaire. Il a voulu que les sculptures de son petit palais rappelassent ses anciennes professions et, à cet effet, Henri a entouré ses fenêtres de petits ramoneurs grimpant à travers les volutes et encadré sa grande porte de moutons, de béliers, de rouets, de fuseaux et autres attributs non moins pittoresques, seulement je pense qu’il n’a pas pensé à la moulinoire !  Comment a-t-il pu l’oublier ? Cela ne nous fût pas arrivé à nous autres, nous eussions plutôt été jusqu’au « tracannoir ». Quoi qu’il en soit, le propriétaire de la maison a mon estime. Lorsqu’on a eu le bonheur de parvenir, il est bien de ne pas renier son origine et d’en tirer au contraire d’autant plus d’orgueil qu’elle a été plus humble.»

Au cours de ces 125 ans, la façade de cet immeuble que l’on aurait tendance à dater de la fin du XVIIIe, a certainement été plusieurs fois remaniée aux dépens de son équilibre général et cet ensemble décoratif dont on avait oublié l’auteur, a largement souffert de l’outrage des ans et de celui des hommes. Cependant dans l’encadrement de deux des fenêtres, on peut encore apercevoir quatre petits ramoneurs et le porche en plein cintre, surmonté d’un bélier et d’une brebis, a encore grande allure. Il représente pour les chartrains un souvenir précieux dû au ciseau de leur compatriote, le sculpteur Henri Parfait.

Grâce à de récentes recherches, nous avons pu identifier le propriétaire de l’hôtel décoré en 1853 par Henri Parfait. Il s’agit de Jacques Roche, né à Marcenat, commune de Valbelaix, canton de Besse, Puy-de-Dôme. Ramoneur dans son enfance, il fit ensuite fortune dans le commerce des laines. Du vivant de sa femme, Rosalie-Julie Roulleaux, il acheta à Louis-Pierre Bobet et dame Louise-Noémie Mette, son épouse, le 30 mai 1848, moyennant 29 500 francs, un ensemble de bâtiments sis 2 et 4, rue Saint-Michel. Au décès de Rosalie-Julie Roulleaux, le 24 avril 1852, il devint acquéreur à titre de licitation de la moitié indivise appartenant aux cinq héritiers, frères et sœurs de Monsieur Roche.

En 1853, il fit construire le grand bâtiment décoré par Henri Parfait. La propriété comprenait alors plusieurs corps de bâtiments, cour entre ces bâtiments, jardin en terrasse, deux remises et une glacière pratiquée dans cette terrasse.

Le 25 décembre 1858, Jacques Roche loua pour quinze ans le plus grand corps de bâtiment, une cour, une portion de jardin et la plus petite des deux remises à Messieurs Jean-Baptiste Hèquer et Charles Fleury, négociants associés, moyennant, outre les impôts, un loyer annuel de 3 030 francs.

Les mêmes, deux ans plus tard, louèrent un autre corps de bâtiments, la deuxième remise et une autre portion de jardin moyennant, toujours en sus des impôts, un loyer annuel de 325 francs. Le corps de bâtiment situé au fond de la cour, une cour derrière et un jardin en terrasse clos par les murs de la ville furent loués verbalement à Monsieur Rougeaux, greffier de Justice de Paix du canton de Chartres-Sud, moyennant un loyer annuel de 380 francs. La glacière fut louée à Monsieur Mousseau, limonadier à Chartres, boulevard Saint-Michel, moyennant un loyer annuel de 75 francs. Le total des locations s’élevait à 3 810 francs.

Jacques Roche mourut à Vanves le 30 novembre 1860, sans enfants. Sa fortune fut partagée entre son frère, ses sœurs, neveu et nièce. Le patrimoine était important. Il comprenait plusieurs fermes et des immeubles situés rue Saint-Michel, boulevard de la Courtille et rue du Parc Saint-Brice.

Les bâtiments de la rue Saint-Michel et leurs dépendances, estimés 50 000 francs, se trouvèrent dans la part attribuée à son frère Jean Roche qui en fit plus tard donation à son fils Jean-Joseph-Marie Roche. Par adjudication, prononcée le 20 juillet 1887, à la requête de la faillite de celui-ci, négociant en grains à Paris, une partie de l’immeuble, dont celle décorée par Henri Parfait, fut adjugée aux époux Desferville-Marais. Elle est restée depuis propriété de leurs descendants.

Je remercie vivement Maîtres Bernard Richard et Claude Bergue, notaires associés et Maître Jean Besnard qui ont eu l’extrême obligeance de me communiquer les renseignements concernant cette maison et m’ont ainsi permis de compléter l’histoire de cette vieille demeure chartraine.

Georges Fessard.

 

Bulletin AS n° 80, 1er Trimestre 1980 (6 €).
Disponible Secrétariat SAEL – 02 37 36 91 93 – sael28@wanadoo.fr

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