Rois de France morts dans le ressort de l’Eure-et-Loir

Le couronnement de Hugues Capet

ROIS DE FRANCE MORTS DANS LE RESSORT DE L’EURE-ET-LOIR

Les prestigieuses cités du monde antique ne seraient plus qu’un souvenir si les archéologues ne déblayaient pas les sables qui recouvrent leurs ruines. Plus près de nous, dans les profondeurs de notre sol, innombrables sont les vestiges du passé, et les transformations de la vie moderne préparent déjà l’effacement de beaucoup de villages.

L’oubli s’étend très vite non seulement sur ce qui fut il y a plusieurs siècles, mais aussi sur ce que nos arrière-grands-pères ont pu voir. On ne remarque plus de nos jours qu’une croisée de chemins à l’emplacement du centre de la commune de Saint-Lubin-d’Issigny, réunie à Logron et à Marboué le 6 mars 1828. Ainsi le nom d’un lieu jadis habité n’est souvent plus rien pour nous, mais il arrive que les historiens découvrent qu’un fait mémorable s’y est accompli et, par leurs soins, ce nom devient célèbre. De cet honneur jouit désormais le village détruit : les Juifs, sur la commune de Prasville, canton de Voves. A deux kilomètres vers l’ouest du chef-lieu de la paroisse, il aboutissait au chemin de Prasville à Genonville sur Voves ; sur le plan cadastral, section D, un champtier a conservé son nom : « champtier du Juif ou de Cheteau1 » .

[1] Les gens du pays prononcent « Chitiau », Jusqu’au XVᵉ siècle le nom « des Juifs » est seul employé, le château d’Hugues Capet était depuis longtemps oublié, Le château signalé plus tard était situé à Prasville, près de l’église, d’où l’actuelle « rue du château ». Aucun nom d’habitant à Prasville ne correspond à Cheteau ou Chitiau. Il se peut que ce nom soit la déformation, mais pas avant le XVIIᵉ siècle, du mot Ghetto.

Nous sommes dans une région digne de retenir l’attention, parcourue par les voies romaines de Chartres à Orléans, l’une d’elles traversant Prasville au nord-est. C’est sur le bord de cette voie, du côté sud, sur Prasville, que se trouvait l’antique hameau détruit de Sermeroles, et non sur Moutiers-en-Beauce 1.

Nous ne saurions dire à quelle époque des Juifs s’établirent sur les confins ouest du territoire qui devint la paroisse de Prasville, il apparait seulement qu’autour de leur demeure s’étendait un assez vaste territoire pouvant renfermer plusieurs domaines. Les années passant, nous voyons que le 24 octobre 886 Charles le Gros, empereur de 884 à 887, confirma la possession de la « villa des Juifs2» à un nommé Germond, qui en avait obtenu la donation par Charles le Chauve. Au Xᵉ siècle l’église Sainte-Croix d’Orléans obtient de Lothaire entre 954 et 972, peut-être en 956, puis de Hugues Capet en 990, confirmation de la donation d’un quart de la « villa des Juifs3 », que lui avait faite une dame nommée Girberge.

A la fin du Xᵉ siècle un événement faisant date dans l’histoire va attirer sur ce lieu l’attention des contemporains. Il s’agit du roi Hugues Capet, mort de la variole le 24 octobre 996.

L’historien Richer, moine de Saint-Rémi de Reims, était venu à Chartres en 991. Il y était peut-être revenu quand il ajouta à ses Historiae quelques notes annalistiques, parmi lesquelles on lit : « Hugo rex, papulis toto corpore confectus, in oppido Hugonis Judeis extinetus est ». On ne discute pas sur le sens de la première partie de ce texte, nous apprenant que le roi est mort le corps tout couvert de boutons, c’est-à-dire de la variole, mais le reste de la phrase a singulièrement embarrassé les historiens, depuis Pertz en 1839 jusqu’à Ferdinand Lot. Tous, croyant que Judeis désignait des personnes, ont cru que le roi était mort par la faute de médecins Juifs, ils ont considéré que le nom propre Hugues, répété, se rapportait à un même personnage : ils n’ont pas su fixer le lieu du décès.

[1] Voir un plan de 1775 signalant le « champtier de Sermerolle », sur Prasville, à gauche du chemin de Prasville à Epinay (Arch. d’Eure-et-Loir, plans, Moutiers, 193-4), À corriger l’indication du Dictionnaire topographique, p. 173. Sur le nom, voir Jacques Soyer, Le domaine de Sermoises-en-Beauce et ses dépendances à la fin du Xᵉ siècle, dans les Mémoires de la Soc. archéologique de l’Orléanais, XX, n° 226, année 4927. Orléans, 1928. in-80, p. 474-479. On a recueilli sur Prasville un grand bronze d’Antonin le Pieux (138-161).
[2] «…quandam villam quae judeis vocatur un pago Carnotensi… »,
[3] « In pago Carnotensi quartam partem de villa quae vocatur Judeis ».

En 1957 M. B. Blumenkranz a compris que Judeis était une indication topographique1. Se rappelant que les textes anciens situent de Judeis dans le pays chartrain, il put donner l’identification exacte en consultant le Dictionnaire topographique de Lucien Merlet qui porte : « Les Juifs, hameau, commune de Prasville, aujourd’hui détruit2. » .

En 1960 M. Pierre Gasnault fit progresser la question en signalant que le diplôme précité de Charles le Gros était conservé avant la Révolution dans les archives de Saint-Martin de Tours3. Le parchemin, en tant qu’ancien titre de propriété, avait certainement accompagné la donation postérieure en date d’une partie de la villa de Judeis faite à l’abbaye4. Or en septembre ou octobre 886 Charles le Gros avait donné l’abbaye de Saint-Martin de Tours au comte Eudes5, fils de Robert le Fort, qui eut pour successeur comme abbés son frère Robert6, puis le fils et le petit-fils de celui-ci, Hugues le Grand et Hugues Capet. La villa passa dans la mense abbatiale et devint un patrimoine des descendants de Robert le Fort. Aux Juifs, Hugues Capet était chez lui7.

Reste à élucider la répétition du nom Hugues dans le texte de Richer. Nous pensons que s’il s’agissait du même personnage l’historien n’aurait pas fait ce redoublement et, relatant l’événement, nous dirions : « le 24 octobre 996 le roi Hugues Capet, fondateur de la dynastie capétienne, mourut de la variole dans le château érigé par son père Hugues le Grand, aux Juifs, village aujourd’hui détruit de l’ancienne paroisse de Prasville, en Eure-et-Loir, et dont le nom d’un champtier rappelle le souvenir ».

[1] Où est mort Hugues Capet ?, dans la Bibliothèque de l’Ecole des chartes, t. CXV, année 1957. Paris, 1958. in-8°, p. 168-171.
[2] Merlet ne cite pas les textes du IXᵉ siècle,
[3] Hugues Capet et la villa des Juifs, dans la Bibl. de l’Ecole des chartes, t CXV, 1960. Paris. 1961, in-8°, p. 166-167,
[4] C’est de cette façon qu’est entré dans les archives de l’église de Chartres (G 1453) un diplôme de Charles le Chauve de 870, Cf. Jusselin (Maurice). Un diplôme original de Charles le Chauve du 8 novembre 846, dans le Moyen âge, 2ᵉ série, t. VII, 1908, p.24, note 1.
[5] Roi de 887 à 898.
[6] Roi de France (Robert 1ᵉʳ) du 29 juin 922 au 14 juin 923,
[7] Dans Notre Dame de Paris (1830) Victor Hugo imagine que le roi Louis XI, voulant garder l’incognito, se présenta à l’archidiacre Claude Frollo comme étant l’« abbé de Saint-Martin de Tours ».

Deux autres rois de France moururent dans le ressort de l’Eure-et-Loir actuel : Henri 1ᵉʳ (roi en juillet 1031) à Dreux, le 4 août 10601 et Philippe VI de Valois (roi le 1ᵉʳ avril 1328) à Nogent-le-Roi, le 22 août 1350.

Encore quelques mots sur le village des Juifs. Les documents trop rares n’offrent que des indices sur l’histoire des seigneuries laïques et ecclésiastiques qui se partagèrent son territoire. On voit que dès le XIᵉ siècle le chapitre de Chartres s’y constitua un domaine qui releva de la prébende de Reboulin2 et que nous font connaitre les obituaires, le cartulaire de Notre-Dame et d’autres titres. Le château des Capétiens a disparu, peut-être au cours des guerres du Puiset ; d’autres seigneurs érigèrent leur manoir, Le village était trop éloigné pour être éprouvé par l’incendie du 30 avril 1769, qui détruisit plus de cent maisons à Prasville, mais cette situation était peu favorable au maintien d’une vie locale. La culture s’étendit sur le sol qui avait été l’emplacement du château des premiers Capétiens.

En 1894 on ne savait pas encore qu’Hugues Capet était mort aux Juifs. M. Depussay, propriétaire à Prasville, constatant que la terre d’une parcelle qu’il faisait cultiver « au champtier dit du juif ou de Cheteau, section D » était d’une qualité très inférieure, et ayant appris de personnes âgées que d’anciennes constructions avaient existé dans cette contrée, fit faire quelques sondages et trouva, à cinquante centimètres environ sous la surface, des fondations de murs bien conservées. M. Michau, géomètre à Voves, visita les lieux et alerta la Société archéologique d’Eure-et-Loir3. Délégué par cette société M. Buisson4 vint à Prasville le 30 avril 1894, et présenta le 5 mai, un rapport, avec, à l’appui, un plan inédit que nous reproduisons5.

[1] Cf, Merlet (René), Du lieu où mourut Henri 1ᵉʳ roi de France le 4 août 1060, dans le Moyen âge, L XVII (2 série, t. VII), 1903, p. 203-209,
[2] Hameau détruit (commune de Boisville-la-Saint-Père), C’est dans cette prébende que l’on trouve l’exemple d’un domaine rural maintenu intact depuis le Moyen âge jusqu’au XIXᵉ siècle, sur la commune de Neuvy-en-Beauce, hameau de Berthouvilliers (métairie détruite de la Nergonnière). Cf. Jusselin (Maurice), De quelques offices privilégiés auprès du chapitre de Chartres (janvier 1931), dans les Mémoires de la Soc. archéolog, d’Eure-et-Loir, XVII, 1949, p-14-17 et plan,
[3] Cf. Procès-verbaux de la Soc. archéologique d’Eure-et-Loir, séance du 10 mai 1894, t. IX (1898), p, 137-139,
[4] Ancien conducteur principal des Ponts et Chaussées,
[5] Bibl, de Chartres (fonds de la Soc. archéologique), manuscrit 5008, n° IV, fol. 26, avec notes fol, 27.

Les murs, écrit M. Buisson, sont parfaitement enduits en mortier de ciment. « Dans les décombres provenant des fouilles nous avons trouvé : un morceau de mortier ayant trois faces polies, dont celle du milieu est un chanfrein peint en vert, encadré de chaque côté d’un liseré noir, cette fresque résiste au lavage ; des tuiles (0 m, 33 x O m, 25 X 0 m, 03) ayant pour nez un onglet, d’autres dont le crochet est retroussé, des fragments de briques de diverses grandeurs, des morceaux de terre cuite dont la forme fait supposer des conduites de canalisation ou des boisseaux de cheminées, ces morceaux portent sur la face extérieure des rayures en losange faites avant la cuisson ; des fragments d’amphore, des cendres noires, un fond de petit vase en terre grise peint en noir à l’extérieur, un morceau de verre paraissant avoir été peint sur une face, enfin un morceau de calcaire dont la compacité ne se rencontre pas dans les calcaires de la localité, ce morceau a reçu le poli du marbre et a dû être employé en dallage ».

M. Buisson disait à ses collègues qu’il était « bien convaincu qu’on se trouve en présence de substructions romaines ». Le résultat de ses recherches dans les décombres ne nous permet pas d’être aussi affirmatif. Il y a de tout, c’est un mélange de plusieurs époques, sans trouvailles bien caractéristiques. Il n’a d’ailleurs pas continué les fouilles de M. Depussay, qui ne dépassèrent jamais 0 m, 80 en profondeur. L’emplacement du village des Juifs, déjà à peu près indiqué par une mention du cadastre, a été retrouvé ; mais tout reste à faire pour explorer à fond ce lieu devenu depuis peu d’années site historique.

16 janvier 1963, Maurice JUSSELIN

© Société Archéologique d’Eure-et-Loir (SAEL). AS 7, 1962-4.

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1 réponse

  1. Alain Bohu dit :

    Les notes et les références bibliographiques ont la même numérotation et la même caractéristique (entre parenthèses), ce qui peut prêter à confusion. Personnellement j’utilise pour les références bibliographiques les crochets [] et pour les notes, le chiffre en exposant (rarement les parenthèses). Mais je comprend qu’il est difficile de trouver un compromis entre le respect de l’édition originale et les usages actuels de publication.

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