Une porte sur l’histoire chartraine, la porte Guillaume
Chartrains, voyageurs et romanciers l’ont décrite ; dessinateurs, peintres et photographes l’ont représentée. Depuis 1944, sa présence dans l’imaginaire semble plus forte que son absence matérielle, comme si les « pâtés crénelés de ses tours » dominaient encore cette entrée de la ville.
« Voici notre noir donjon C’est à Guillaume de Ferrières, ce fier Vidame à La longue rapière qu’il doit sa naissance et son nom. »
« C’est avec un vif plaisir que Le voyageur contemple, du haut de La vieille route de Parts, Le panorama de Chartres […]. La porte Guillaume, avec ses deux tours à créneaux et sa tête de pont, Lui rappelle un passé belliqueux que La ville moderne, heureuse et calme, a depuis longtemps abjuré…. ».
XIIe-XVIe siècles. Défense militaire et entrée des rois.
La porte de Guillaume ?
À la fin du XIIe siècle, dans l’enceinte de réunion de la ville basse (1185 ?), postérieure à celle du plateau (1181) une porte protégée par une tour carrée est attribuée, ou dédiée, au vidame Guillaume de Ferrières, gouverneur militaire de l’évêque de Chartres.
Côté faubourg, elle s’ouvre sur les chemins de Paris (par Ablis et par Maintenon) et sur celui d’Orléans ; côté ville, sur les rues menant à la Tour comtale, au Cloître et aux marchés.
Adaptation aux progrès de l’artillerie
En 1357 et 1358 (guerre de Cent ans), le fossé est creusé et rempli, maintenu à niveau constant par des versoirs. En 1583, le jeune roi Charles VI y fait son entrée : « La porte Guillaume, par laquelle il passa, avait été toute peinte par dehors ; les officiers de la ville le conduisirent. Sous un dais fleurdelisé, à la Tour-le-Roi, à travers les rues […] jonchées de verdure et de violettes ».
En 1414-1415, deux tours semi-circulaires, remplaçant la tour carrée, encadrent et protègent l’entrée : « Jehan Gerbe et André Beliart, maçons chartrains qui, le 14 septembre 1414 « confessent avoir eu et receu […] la somme de 200 escuz d’or […] pour fere l’une des tours de la porte Guillaume… ». Une barbacane pentagonale, sur un îlot formé par la division du fossé, protège l’accès extérieur, désaxé vers le sud pour éviter les tirs directs. On accède à la barbacane par un pont dormant. Le fossé est flanqué au nord de deux archères canonnières à ébrasement sous voûte.
Un oratoire dédié à saint Fiacre et saint Pantaléon surmonte l’édifice. Dans la basse-cour intérieure, un escalier-perron conduit à l’étage.
En 1591 (guerres civiles religieuses), la reddition de Chartres marque la fin des sièges de la ville.
Si la porte Guillaume est désarmée, elle reste gardée et fermée la nuit : « Le 28 avril 1598 […], il sera fait une échauguette, à l’endroit de la chapelle […] afin d’y dresser et ordonner sentinelles pour la sûreté de la ville »
XVIIe-XIXe siècles. La Porte Guillaume au jour le jour.
Des revenus pour la Ville
La Ville ajoute à la perception des droits de barrage et d’octroi lors du transit des marchandises, celle des loyers réglés par des particuliers, commerçants et artisans, à qui elle concède basse-cour, murs et tourelles de la porte Guillaume.
Justice royale
En 1666, la tête d’un faux-monnayeur de Blévy, décapité à Orléans le 25, est « exposée le 29 sur lune des tours de la porte Guillaume de Chartres ».
Circulation
En 1732, deux ponts de pierre dans l’axe de la porte facilitent le passage des chariots. L’entrée sud est condamnée et un muret remplace la courtine.
Prussiens
En avril 1814, les troupes prussiennes investissent la porte Guillaume. Une femme offre à un officier une branche de laurier brandi par l’épicier voisin ; des dames font de même et l’officier leur baise la main.
Foire
En 1896, la Ville crée aux abords de la porte une foire de Pâques de neuf jours et un marché aux légumes dominical.
XVIIIe-XXe siècle. Un exemple de réflexion sur le patrimoine.
Émergence du sujet sous la Révolution
Quand le 21 décembre 1795, l’officier municipal Pâris-Mainvilliers persuade ses pairs de désenclaver la ville en abattant ses portes, il fait une exception :
« Citoyens […] En dégothisant la ville, en l’aérant, il n’entre sans doute pas dans vos vues de la priver d’un monument justement estimé dans son genre et le seul de son espèce : […] la Porte Guillaume. Vous penserez, je crois, qu’il convient de conserver à la ville cet édifice véritablement curieux par son architecture, et comme un vestige du style du temps où elle fut construite… ».
La ville étant déclassée comme place-forte en 1804, les démolitions se succèdent (Épars 1809, Drouaise 1826, St-Michel et Châtelet 1832-1834, St-Jean 1837, Morard 1847). La porte Guillaume reste en place mais en 1839 sa toiture s’affaisse et l’année suivante on démolit l’arcade côté ville.
1840. Inscription MH
Première et courte liste de Mérimée en 1840 : « Porte Saint-Guillaume » (erreur corrigée dans celle de 1846).
Pour conserver un monument, lui trouver une utilité
Après l’incendie de la cathédrale en 1836, celui de la porte Guillaume le 25 juillet 1856 rappelle aux Chartrains la fragilité de leur patrimoine.
Parti du bûcher d’un boulanger locataire de la porte, le feu ravage tourelles, couverture, muraille du XIIe siècle côté ville, chapelle. La toiture provisoire se fissure, l’édifice est menacé. La réflexion s’étend aux abords, au dégagement et aux « vues » :
« Quels seraient les moyens pratiques ou exécutables, pour modifier les abords de la porte Guillaume, au point de vue archéologique, au point de vue de la viabilité, au point de vue décoratif ou pittoresque ? »
Les bibliothèques de la porte Guillaume
La SAEL et la Ville mènent campagne pour restaurer le monument et lui trouver une fonction : Saint-Laumer y participe comme président fondateur de la Société (1856) et maire de Chartres (1855-1870).
Un bail de location du 24 juin 1894 permet d’installer à l’étage et au rez-de-chaussée de la porte Guillaume, le musée et la bibliothèque de la SAEL, puis en 1904, la bibliothèque populaire d’André Blondel.
1911. Classement MH
Décret ministériel du 19 janvier 1911 : « L’ouvrage avancé de la Porte-Guillaume, Chartres (Eure-et-Loir), est classé parmi les Monuments historiques » (fiche Base Mérimée : « non cadastré, domaine public ; campagne principale de construction XVe, XVIe, vestiges ; protection : ouvrage avancé ; ouvrage fortifié ; intérêt : à signaler ; propriétaire : commune »).
La porte Guillaume s’ouvre sur l’Histoire
La nuit du 15 au 16 août 1944, la porte Guillaume explosa. Lors de leur repli sur la rive droite de l’Eure, des soldats allemands l’avaient dynamitée, ainsi que le Pont neuf, les ponts de Fontaine et de la Courtille. Les pierres ramassées par des Chartrains sont stockées au site municipal des Perriers.
Juliette Clément Directrice de Publication de la Société archéologique d’Eure-et-Loir, dans Votre Ville juillet-août 2020.
Sources : AM Chartres et AD 28.CI. AD 28, AM Chartres, Archéo, MBA Chartres, fonds SAEL.
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