Mathurin Régnier, le poète

, prieur de Bouzancour.

Les œuvres du poète chartrain Mathurin Regnier (1573-1613) révèlent le caractère et les goûts de l’auteur, mais nous apprennent peu de chose sur sa biographie. Les recherches faites dans les archives et dans la littérature contemporaine n’ont guère accru nos connaissances. Le moindre document inédit doit donc retenir notre attention.

Les minutes de Martin Bouvart, notaire royal à Chartres (1), renferment deux actes permettant d’entrevoir comment fut géré le temporel du prieuré de Bouzemont, dont était pourvu Mathurin Regnier. Cette localité est aujourd’hui située dans le département de la Somme, canton de Corbie, commune du Hamel.

Cardinal François de Joyeuse

L’acte du lundi 13 septembre 1593 est une procuration donnée par Mathurin à son père Jacques Regnier pour la gestion financière de son prieuré. Cette disposition coïncide évidemment avec le prochain départ du jeune poète pour l’Italie, à la suite du cardinal François de Joyeuse ; elle écarte nos doutes sur la date, maintes fois discutée, de ce premier voyage au delà des monts. Le fait que Mathurin ait chargé son père de mettre en valeur son bénéfice est, certes, une preuve de déférence filiale ; mais c’est plus encore une marque de confiance dictée par un sens pratique de ses intérêts. Il ne pouvait faire un meilleur choix. Jacques Regnier était, en effet, un homme d’affaires très expérimenté ; nous savons qu’il fut pour le compte de son beau-frère, le célèbre Philippe Desportes, « receveur fermier du revenu temporel » des abbayes de Josaphat et de Tiron et une suite de documents nous montrent son activité et sa compétence. Voici cet acte :

« Fut présent en sa personne messire Mathurin Regnier, prieur de la prieuré de Bouzancour près Corbie, diocèse d’Amiens en Picardie, lequel, pour luy et en son nom, a faict et constitué son procureur général especial honnorable homme Jacques Regnier, son père, bourgeois de Chartres, auquel portant ces présentes il a donné puissance, auctoritté et mandement especial de contraindre par toutte veoie de justice tant les fermiers généraulx et particulliers qui ont cy devant tenu, que ceulx qu’ilz tient encores de présent le revenu de ladicte prieuré, et ce par toutes veoies de justice deue et raisonnable ; recevoir ce qui s’en trouvera estre deub et outre bailler à ferme, moyson ou pention d’argent tout le revenu ou partie d’icelluy prieuré à quelques personnes ou personne et pour tel temps et quantité de grains ou some de deniers et autres choses que ledict procureur verra bon estre ; et si besoing est prandre et aprehander derechef pour et au nom dudict prieur, constituer la pocession et saisine dudict prieuré et la faire insinuer en tous les lieux et endroictz qu’il apartiendra et sur le tout en passer touttes lectres de pocession, bailler quictances et actes par devant tel notaire ou tels qu’il apartiendra ; et outre donne puissance à sondict père et procureur de substituer pour et en son lieu tel ou telz procureur qui auront tel pouvoir pour l’effect que dessus ou partie que ledict Regnier son père et procureur, avec puissance de plaider, opposer, appeller, substituer, ellire domicile et poursuyvre tous et chascun es procez cy devant intentez et cy devant meuz et à mouvoir, tant en demandant que en deffendant, pour le faict dudict prieuré et ce qui en deppend et généralement, etc. Promectant, ete. Obligeant, etc. Renonçant, etc.
Présens Claude Prevost et Thomas Lefebvre clers, demourans à Chartres, tesmoings, qui ont avec ledict constituant signé en la mynutte des présentes.
Arresté en la maison dudict notaire, après midy. [Signé, avec paraphes] Math. Regnier, Prevost, Lefebvre.
»

Un autre acte, du mardi six juin 1595 nous montre Jacques Regnier dans l’exercice de sa mission. C’est un bail du temporel du prieuré de Bouzancourt, ainsi formulé :

« Fut présent en sa personne honnorable homme Jacques Regnier marchand bourgeois de Chartres, y demourant paroisse Sainct Saturnin, lequel, comme procureur de messire Mathurin Regnier son filz, prieur de la prieuré de Bouzancourt près Corbie, diocèse d’Amiain en Picardie, par procuration de luy passée pardevant ledict notaire dès le troiziesme jour de septembre mil cinq cens quatre-vingtz treize, de laquelle est apparu, congneu et confessa, esdict nom, avoir baillé à tiltre de ferme et pention d’argent, du jour et feste Sainct André derrenier mil cinq cens quatre-vingt-quatorze jusques à six ans ef six despouilles prochains, entiers, finiz, revolluz et accompliz, à vénérable personne maistre Jehan Platrier, presbtre, curé de la cure de Sainct Médard du Hamel, demourant audict lieu pais de Picardie, à ce présent preneur audict tiltre ledict temps durant, c’est assçavoir la chastelnie, terre et seigneurie de Bouzancourt, avec tous les prez, censives et tout le revénu déppendant dudict prieuré, sans aucune chose en réserver, ledic prieuré déppendant de l’abbaïe de Corbye, dont et de plus ample déclaration, scituation de boutz, justes, costez et tenans ledict preneur s’est tenu et tient pour contant par ce qu’il a dict les bien sçavoir et congnoistre pour en avoir cy devant veu jouyr Nicollas Platrier son frère et depuis sa veuve ; pour en jouyr par ledict preneur en tous fruictz, proffictz, revenuz et esmollumens ledict temps durant.
Cestz bail et prinse faictz pour et moiennant la somme de quatre-vingtz trois escuz ung tiers avalluez à deux cens cinquante livres tournois, que ledict preneur en sera tenu rendre et paier à ses fraiz et déppens en la ville de Paris, au logis du sieur abbé de Thiron, par chacun an au jour et feste Sainct André, premier terme de paiement commençant au jour Sainct André prochain et ainsi ledict temps durant ; à la charge que ledict preneur sera tenu entretenir le chasteau et édifices dudict lieu bien et deument, après touteffois qu’il aura esté mis et reparé en bon et suflisant estat, ensemble tenu faire labourer, fumer, cultyver et ensemençer les terres de ladicte chastelenie bien et deument en saisons convenable sans les désoler, et à la fin dudict temps les rendre et laisser en bon et sufizant estat, compost et labour, et entretenir les prez netz et en bonne nature ; et outre paier par chacun [an] a l’acquit dudict bailleur touttes et chacunes les charges que doit ledict prieuré à cause d’icelle chastelenie et apartenances, sans que Jedict bailleur, oudict nom, y soyt aucunement tenu, et spécialement ce qui fault paier par chascun an au curé dudict Bouzancourt, ef sans que ledict preneur puisse pendant ledict temps prétendre aucune chose du tiers des dismes de sa cure du Hamel pendant ledict temps, suyvant l’arrest cy devant donné entre le sieur de Thiron et ledict preneur, et de ce en tenir quicte le dict bailleur oudict nom.
Et ou il conviendroyt faire ou intenter procès ou actions pour quelque cause que ce soyl pour les droyts dudict prieuré et chastelenie, ledict preneur sera tenu iceulx soustenir jusques à contestation des causes et lors lédict preneur tenu en advertir ledict bailleur oudict nom, oudict lieu en ladicte ville de Paris, afin d’en faire par luy oudict nom poursuylte à ses despens.
Et ‘est accordé que ou ledict preneur seroyt deffaillant de paier ladicte ferme chacun an audict jour Sainct André en ladicte ville de Paris audict lieu, ou à tout le moings trois moys après chacun Lerme escheu et passé, ledict bailleur oudict nom pourra reprandre entre ses mains lesdictes choses baillées si bon lu y semble et oudict cas le présent bail demeurera nul, sauf qu’il demeurera en sa force et vertu pour les arrérages qui en seront lors deubz.
Et outre tenu ledict preneur de nourir et de fraier ledict sieur bailleur, ses gendres ou enffans ou ceulx qu’il y vouldra envoier audict prieuré ou en la ville de Corbie avec leurs chevaulx par l’espace de trois jours ; et aussy paier à l’acquit dudict baïlleur, oudict nom, les gaiges des bailly, greffier et officiers de la justice dudict prieuré ; et oultre tenu dedans deulx ans fournir oudic{ bailleur, oudict nom, ung estat et déclaration de tout Le revenu entier dudict prieuré et déclaration des terres, prez et revenuz dudict prieuré.
Et aussy est par exprès acordé que ledict preneur sera tenu dedans six mois de faire obliger avec luy solidairement maistre René Le Mercier, notaire el procureur du comté de Corbye et autres personnes suffisans et solvables pour le paiement de la ferme cy dessus mentionnée et charges portées et contenues en ces présentes et de ce en apporter ou envoier lettres d’obligation solidaire suffisante, en peyne de nullité du présent bail.
Et aussy a esté acordé entre lesdictes parties que ou pendant ledict temps de six ans cy dessus ladicte ville de Corbie feust assiégée par l’ennemy et que par le moien de ce il ne peult paisiblement jouyr dudict prieuré, en ce cas ledict bailleur oudict nom a promis luy faire dyminution telle qu’il appartiendra au dire de gens bien à ce congnoissans sans aucune figure de procés, le tout sans préjudice oudict sieur bailleur, oudict nom, des arrérages des fermes deubz à cause dudict prieuré, tant allencontre de don François de la Grenée relligieulx que autres qui ont cy devant jouy dudict prieuré.
Car ainsi a esté acordé entre lesdictes parties. Promectant ledict bailleur, oudict nom, garendir, etc., preneur paier, etc. Obligeant ; etc. Renonçant, etc.
Présens André Poien, demourant à Chartres, Jacques le Roy et Claude Bouvart, clercs, demourans à Chartres, qui ont, avec les parties signé en la mynutte des présentes.
Arresté en la maison dudict Regnier. [Signé avec paraphes] J. Regnyer ; Plastrier ; André Poyan ; Leroy ; Bouvard.
»

Notons encore, tiré des minutes de Jean Huet, un acte du mercredi 25 juillet 1612 (2). C’est un transport de créance fait par « vénérable et discrette personne messire Mathurin Regnier, chanoyne en l’église Nostre Dame de Chartres, y demourant », au cours du dernier séjour qu’il fit sans doute dans sa ville natale, en l’année qui précéda celle de sa mort. Le chanoine ayant reçu comptant quarante livres tournois du marchand mercier Jean Dumoustier, lui cède en échange une créance de la même valeur à recouvrer sur René Moreau, tuilier au faubourg des Épars.

Considérant les signatures de Mathurin Regnier figurant au bas de ces actes, nous serons surpris par leur dissemblance, assez sensible pour qu’un lecteur non averti puisse croire qu’elles ne sont pas de la même main. Le 13 septembre 1593, âgé de vingt ans, le poète signe, avec paraphe, « Math. Regnier », avec un « g », d’une écriture appliquée mais impersonnelle, rappelant les leçons de l’école et ne s’écartant pas du style de l’époque. Plus tard sa personnalité s’affirme, il acquiert la notoriété, il a ses entrées à la Cour. Sa signature change au cours de cette ascension. Il adopte l’écriture en lettres hautes qui est celle des grands personnages ou de ceux qui veulent passer pour tels. Il simplifie. Plus de paraphe, plus de « g » dans son nom. Le 3 juillet 1609 il signe sa profession de foi comme chanoine « M Rexten » (3) et, le 25 juillet 1612, simplement « RENIER ». On a d’ailleurs d’autres exemples, en son temps, de l’évolution d’une signature.

Chartres, 17 juin 1948.

Maurice JUSSELIN.


[anchor id= »notes »]Notes[/anchor]

(1) Archives d’Eure-et-Loir (Étude de Me Villette).
(2) Archives départementales (Étude de M° Platrier).
(3) Archives d’Eure-et-Loir, G 295. Fac-similé en héliogravure dans E. Courbet, Œuvres complètes de Mathurin Regnier, Paris, 1875, in-8°

© Société Archéologique d’Eure-et-Loir (SAEL). Mémoires, Tome XVIIT, 1949-2020, Feuilles 2 à 5.

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