L’imprimerie à Chartres
CHAPITRE I
LES DEUX PREMIERS SIÈCLES
DE LA LIBRAIRIE ET DE L’IMPRIMERIE CHARTRAINES
(1482-1721)
Capitale du plus vaste diocèse de France jusqu’à la création de l’évêché de Blois en 1697, Chartres est un grand centre religieux depuis le Moyen Âge : un évêché, trois chapitres, onze communautés d’hommes et de femmes, trois hôpitaux et onze paroisses, soit un clergé de six cents personnes à la fin de l’Ancien Régime.
Au centre de la cité, tout autour de la cathédrale, le cloître Notre-Dame, véritable ville dans la ville, abrite le palais épiscopal et le Chapitre cathédral, l’un des plus importants du royaume. Riche de soixante-seize chanoines et de dix-sept dignitaires tels que doyen et sous-doyen, chantre et sous-chantre, le Chapitre cathédral tire son renom de la dévotion au culte de Notre-Dame de Chartres et de l’attraction du pèlerinage.
Michel Vovelle a montré qu’à la fin de l’Ancien Régime, le Chapitre est l’un des plus gros propriétaires beaucerons, possédant alors près de sept mille hectares de bien ruraux non bâtis, cent treize maisons à Chartres, une soixantaine à la campagne (non compris les corps de ferme), dont vingt moulins et une trentaine de granges champardesques.
Tout à la fois respectés et craints, enviés et détestés, ces « Messieurs du Chapitre » ont encore une grande influence au siècle des Lumières, et l’on peut dire que « Chartres vit de son Chapitre, comme d’autres villes vivent de leur parlement ». Si les chanoines ont définitivement perdu leurs deux échevins en 1764, ils ont gardé leur propre justice temporelle, la cour de Loëns, dirigée par un maire, où s’affaire tout un monde d’hommes de lois, de commis et de notaires. Le cloître Notre-Dame, avec ses chapelles, ses trente-trois maisons canoniales, la justice de Loëns, son Hôtel-Dieu, est un lieu d’intense activité commerçante.
Même si tout au long de son histoire, le Chapitre a été en conflit avec l’évêque – sur les huit cents paroisses du diocèse, l’évêque ne nomme qu’à soixante-huit cures (8,5 %), cependant que le Chapitre et les dignitaires ecclésiastiques nomment à deux cent treize (26,6 %) –, il a constamment aidé, depuis la fin du XVe siècle, les prélats réformateurs dans leur long effort pour améliorer la qualité du clergé paroissial. Dès la fin du Moyen Âge, les chanoines ont souhaité améliorer la culture des clercs, en mettant à leur disposition des livres, manuscrits ou imprimés.
Pierre Plumé et Jean Du Pré : les origines de l’imprimerie à Chartres, 1482
Dans les années 1480-1490, vit à Chartres tout un monde d’artisans de la librairie. Maurice Jusselin a retrouvé une demi-douzaine de « libraires et escripvains en lettre de forme », par exemple Laurent Du Bois, Jean Dumesnil, Colas Le Large, Pierre Lorin, Gilet Morice, Martin Pion, Guillaume Poillier, etc., dont le rôle était de calligraphier sur parchemin les livres nécessaires à la prière ou à la liturgie. Leurs commanditaires pouvaient être de riches particuliers, telle cette Jeanne de Seneville, épouse de Michel Latroyne, pour laquelle Pierre Lorin a « achevé de faire » un livre d’Heures avec calendrier français, « le dernier jour de juin l’an de grâce 1478 », c’étaient surtout les chanoines du Chapitre cathédral qui ne cessèrent de renouveler leurs grands livres liturgiques de chœur pendant tout le XVIe siècle.
Quatre antiphonaires ont été ainsi calligraphiés, ornés et reliés entre 1542 et 1561. Jean Savetier, marchand parcheminier à Evreux, fournit le parchemin, le soin d’écrire le texte fut confié au aître écrivain chartrain Vrain Guillot, l’artisan parisien Macé de Merey fut chargé de l’enluminer et la reliure fut exécutée par Jean Pavie, libraire à Rouen ; ces deux derniers artisans se déplacèrent à Chartres pour faire leur travail.
Pour les ouvrages d’usage plus commun, les chanoines firent très vite appel à l’imprimerie. En 1482, le chanoine Pierre Plumé fit venir à Chartres l’imprimeur parisien Jean Du Pré, le logea dans sa maison sise au cloître Notre-Dame, et lui fit imprimer un Missel à l’usage de Chartres, sur vélin in-folio, 228 feuillets.
Il n’y a pas lieu de douter de la véracité du colophon ou souscription, ainsi que le fait l’abbé Langlois. Maurice Jusselin estime que les termes de ce colophon, tout à fait habituels à l’époque, doivent être pris au pied de la lettre : « Presens missale… in famosissima urbe Carnoti, domo canoniali sita in claustro, sumptibusque venerabilis et discreti viri magistri Petri Plume, ejusdem insignis ecclesie canonici, per magistrum Johannem du Pre arte impressori a, feliciter, insculptum est die ultima mensis julii, anni Domini millesimi quadricentesimi octuagesimi secundi. »
L’année suivante, le chanoine Pierre Plumé fit imprimer, encore chez lui et par les compagnons typographes de Jean Du Pré, un Bréviaire in-4° de 356 feuillets. Spécialisé dans l’impression de grands livres liturgiques ornés de belles gravures sur bois ou sur métal, Jean Du Pré revint à Paris et y resta très actif jusqu’à sa mort en 1504, tout en imprimant également en province. Ses types ont servi à l’impression du Missel de Tours, imprimé dans cette ville en 1485. L’année suivante, en 1486, il imprima à Abbeville, en société avec Pierre Gérard, la Somme rurale, ouvrage du jurisconsulte Jean Boutillier, ainsi qu’une magnifique édition de La Cité de Dieu de saint Augustin. Il prêta son matériel un peu partout : à Gaillard Le Bourgeois, imprimeur à Rouen en 1488, à Pierre Alain et André Chauvin, premiers imprimeurs d’Angoulême, en 1491, à Etienne Larcher, imprimeur nantais, en 1493, à Arnoul Bocquillon, premier imprimeur de Châlons en Champagne, en 1498. […]
Gilles Feyel , agrégé d’Histoire et docteur d’État, est Professeur émérite à l’Université Panthéon-Assas Paris II, Spécialiste de l’histoire de la Presse.
Feyel Gilles : L’Imprimerie à Chartres
vol. I, Des origines aux premiers temps de la Restauration
vol. II, Georges Durand, imprimeurs et libraires chartrains
int. encart 8 p. coul., nbr. ill. nb, nbr., tableaux et graphiques, 520 et 288 p., SAEL, Chartres, 2007, ISBN 2-9058-6652-7 et 2-9058-6653-5.
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