La princesse Berthe
Le nouvel ouvrage de Mme Arlette Boué édité par la SAEL
Le Haut Moyen Âge, jusqu’aux Xe et XIe siècles, peut être regardé comme les « âges obscurs » de l’histoire européenne. Les sources sont rares, fragmentaires et peu prolixes : chroniques, brèves notices dans des nécrologes, mentions dans des cartulaires, quelques inscriptions, auxquelles s’ajoutent aujourd’hui les ressources de l’archéologie.
Aux XIXe et XXe siècles, cette période a été étudiée par de grands historiens, Ferdinand Lot et Louis Halphen qui ont publié de nombreuses sources et, plus récemment, par Laurent Theis, biographe de Robert le Pieux, Yves Sassier, auteur d’ouvrages sur Hugues Capet, Louis VIII et d’autres travaux sur le Haut Moyen Âge ou Pierre Riché, président honoraire de la SAEL, spécialiste de l’histoire de l’éducation et de la culture, qui, entre autres, a publié des livres sur Les Carolingiens, Gerbert d’Aurillac, et l’abbé Abbon de Fleury.
Cette historiographie est cependant restée très majoritairement masculine. Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle qu’apparaissent des travaux plus spécifiquement consacrés aux femmes, ceux de Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales (1980), La femme au temps des croisades (1990) puis de Georges Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre (1981). Les études se sont depuis multipliées, mais le Haut Moyen Âge en est quasiment absent.
C’est tout l’intérêt de la trilogie d’Arlette Boué, membre éminent de la SAEL, consacrée à trois grandes dames des Xe et XIe siècles, Ledgarde de Vermandois (ca 920-981), bienfaitrice de l’abbaye de Saint-Père-en-Vallée à Chartres, la reine Berthe (ca 964 ca 1010-1028) dont le nom a tardivement été donné à l’escalier sculpté d’un vieille maison chartraine, et désormais la princesse Berthe (ca 1013-1085), fondatrice de l’Aumône de Chartres.
Du fait de la rareté et de l’hétérogénéité des sources, narrer la vie de personnages de ces « temps obscurs » constitue un véritable défi, même lorsqu’il s’agit de personnages illustres tel Guillaume le Conquérant étudié par Michel de Boüard et plus récemment par Pierre Bouet.
Mais Arlette Boué qui depuis sa traduction de la source fondamentale pour l’histoire du XIe siècle qu’est le cartulaire de l’abbaye de Saint-Père de Chartres rédigé par le moine Paul, maitrise parfaitement les subtilités du latin médiéval, analyse et critique les sources documentaires et contourne ces difficultés. Elle reconstitue les cercles de parentèles, recoupe les généalogies et dévoile ainsi des stratégies familiales. Et l’on découvre que la princesse, fille du comte de Blois et Chartres Eudes II et d’Ermengarde d’Auvergne, épouse du duc Alain de Bretagne, puis en secondes noces de Hugues, comte du Mans, est la mère de Conan de Bretagne et d’Herbert du Mans. Elle est au cœur des relations souvent conflictuelles et guerrières entre les dynasties ducales, comtales et royales nées sur les débris de l’empire carolingien. Car l’espace de Berthe est vaste, comme celui de bien des aristocrates du temps, l’Auvergne, la Bretagne, la Normandie, le Maine, Chartres, dont les paysages monumentaux, bien différents de ceux d’aujourd’hui, sont évoqués grâce aux découvertes de l’archéologie.
Berthe n’est pas qu’un pion dans les stratégies matrimoniales des puissants. Elle a choisi pour des motifs politiques ? son second mari et sans doute influencé ses fils Conan et Herbert. Ses fondations religieuses, dont l’Aumône de Chartres, destinées à assurer le salut des âmes des membres de sa famille, affaires de grande importance et conséquences, suggèrent que son rôle ne s’est pas limité à engendrer des enfants pour assurer la pérennité de dynasties ducales ou comtales.
Ce livre érudit, nourri aux meilleures sources, d’agréable lecture, comble une lacune historiographique, et fait revivre, autant qu’il est possible, une grande dame du Moyen Âge ; il montre que les femmes, du moins dans la haute aristocratie, pouvaient avoir un rôle social et aussi vraisemblablement politique important.
Marc Bouyssou
Arrière plan de l’image de chapô : Salle Saint Côme (ancien Hôtel-Dieu) à Chartres. Jacques Amédée Beaujoint (1824-1871). Musée des BeauxArts de la ville d’Orléans.
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