Le théatre : une tradition chartraine

Cette étude sur le théâtre à Chartres au XVIIIe siècle a démarré en 1989 à l’occasion de la commémoration du Bi-Centenaire de la Révolution. Un exposé a été fait à une séance de communication de la Société archéologique en juin 1989 et à nouveau au Congrès National des Sociétés savantes à Chambéry en mai 1991.

Des auteurs du pays

« Dans ce pays que l’Eure arrose
Thalie au front du gai PANARD
Plaça le laurier et la rose,
Melpomène inspira GUILLARD.
DUDOYER est fêté des Grâces,
Et qui n’applaudirait COLLIN,
Lorsqu’à grands pas il suit les traces
De Térence et de Pocquelin ? »

Ces couplets chauvins furent chantés sur un air connu à une représentation de L’Inconstant, pièce de Collin d’Harleville, au théâtre de Chartres en février 1787 et publiés le 14 dans les Annonces, Affiches et Avis divers de Chartres et du Pays Chartrain*.

*La source essentielle a été une collection de journaux de l’époque. Inutile de dire que ces journaux sont rarissimes. La bibliothèque de Chartres en possède une collection assez importante. Nous avons pu disposer d’une autre, privée, plus complète. Nous n’en connaissons pas d’autre.
Cette première feuille périodique chartraine est parue le mercredi 3 août 1781. Son titre, Les Annonces, Affiches et Avis divers du Pays Chartrain (que nous abrégerons A.A.A.), se rapproche de celui du journal parisien, Les Affiches de Paris. Le journal chartrain parut jusqu’en 1801, une fois par semaine, le mercredi, puis le quintidi. Le format est de 26 x 21 cm, l’impression en petit corps, sur deux colonnes, avec de beaux frontispices de Sergent ; il comporte quatre pages, rarement six.
Le titre indique bien le contenu : ventes, réclames, avis divers. C’est le plus souvent en page 4 que l’on trouve la rubrique Spectacles qui a attiré mon attention. Les renseignements incomplets (des titres, pas toujours les auteurs, ou des noms déformés) ont été restitués après vérification.
Les publications de la Société archéologique d’Eure-et-Loir, l’ouvrage de Lucien Merlet (Bibliothèque chartraine, Orléans, 1882), ont livré des compléments d’information. Un article d’un témoin oculaire, l’historien Adolphe Lecocq (Théâtre de Chartres Jadis et aujourd’hui, sous la signature L’Essouffé, ex-souffleur du théâtre de Chartres, dans L’Union agricole, journal d’Eure-et-Loir, 4 avril 1862) s’est révélé un témoignage pittoresque.
La consultation des registres des délibérations du Conseil général de la commune de Chartres (Archives municipales) a pris la relève pour la période post-thermidorienne pour laquelle les renseignements sont plus rares dans les Annonces, Affiches et Avis divers du Pays Chartrain.

Collin, dit d’Harleville (1755-1806), est un enfant du pays chartrain, né à Mévoisins, près de Maintenon. Une grande partie de son enfance se passa à Chartres. Spirituel, de caractère enjoué, il fut l’idole du public1.

Panard (1674-1765), natif de Courville, à 20 km de Chartres, collabora avec Favard. On lui attribue 79 opéras-comiques, ce qui est peut-être beaucoup ; il fut, paraît-il, surnommé le La Fontaine des vaudevilles.

En Dudoyer de Castel (1732-1798), né au château de Vauventriers, très près de Chartres, on voit un spécimen de l’auteur-gentilhomme, descendant d’une famille noble ; il serait sans doute devenu un ecclésiastique distingué sans sa passion pour une actrice de la Comédie française.

Le cas de Nicolas-François Guillard mérite réflexion. II est né à Chartres en 1752. Ainsi que son frère Jérôme, homme politique dont il sera question plus loin, il fréquenta le collège de la ville où il aurait obtenu un prix pour un poème sur la mort de Charles Ier. Ce fut un librettiste fécond qui écrivit pour des musiciens tels que Gluck, Grétry, Lemoyne, Sacchini. Et pourtant, à notre connaissance, il fut peu représenté à Chartres.

On peut attribuer au hasard ce palmarès honorable d’auteurs locaux. Mais l’intérêt que semble porter le public chartrain de l’époque à des œuvres difficiles, pièces inspirées de l’antiquité, opéras… est significatif. L’instruction qu’avaient reçue ces bourgeois au collège de leur ville mérite notre considération.

La vocation littéraire de certains professeurs du collège était déjà affirmée au XVIIe siècle comme auteurs de poésies latines, discours de piété, oraisons funèbres. L’un d’eux, Danchet, professeur de rhétorique, se consacra au théâtre : une tragédie, Judith, mise en musique par Boursy, maître de psalette à la cathédrale, en 1691 ; un opéra, Les Jeux séculaires ; une autre tragédie, Annibal, 1696. Avec Hésione, il entra à l’Académie2.

On ne retrouvera pas un aussi riche florilège après la Révolution. L’Ami généreux, comédie en trois actes en vers, par « un citoyen du département » ne fut, à notre connaissance, joué qu’une seule fois.

Évoquons seulement François-André Danican, dit Philidor, né à Dreux en 1726 d’une famille qui comptait des musiciens depuis Louis XIII. Il fut le plus célèbre de la lignée, non seulement comme auteur de nombreux opéras-comiques, mais aussi parce qu’il aurait été le plus grand joueur d’échecs de son temps. Il mourut à Londres en 1795.

Une salle

Au XVIIIe siècle la ville dispose d’un théâtre sur lequel nous aimerions avoir davantage de renseignements. Des auteurs sérieux, mais qui ne citent, pas leurs sources3, affirment qu’il était installé à cette époque dans l’ancien Palais des Noces qui, au XVIe siècle, était une propriété de l’évêque louée pour les banquets de mariages. L’ensemble des bâtiments s’étendait de la rue de la Volaille actuelle à la rue presque parallèle de l’Épervier. Un plan de Quévanne, dressé en 1793, mentionne encore Palais des Noces.

Maurice Jusselin s’est intéressé à ce Palais des Noces. Il a publié un marché conclu en 1541 pour une réfection sérieuse4. Le coût des réparations en charpente et maçonnerie, avec réemploi de matériaux, monte à quatre cents livres, somme importante pour l’époque. Mais la description des lieux ne permet pas d’affirmer qu’il s’agissait d’un théâtre, tout au plus d’une salle des fêtes.

On y donnait cependant des représentations puisque, à la fin du XVIe siècle, l’évêché ayant vendu les bâtiments, le lieu était réputé « le plus profane de la ville… où les bateleurs jou [ai] ent habituellement leurs farces5… ».

Mais il n’est pas nécessaire d’aller bien loin pour trouver un vrai théâtre au XVIIIe siècle.

En juillet 1772, « le sieur Hoyau, ancien cartier-imagier commença la construction d’une salle de spectacle sur un terrain situé derrière le Grand Four en face l’église Saint-Saturnin. On joua dans cette salle, pour la première et la dernière fois, le dimanche 4 mars 1780, une comédie-parade intitulée La Nuit de JanotLe triomphe de mon Frère. L’auteur, qui garda l’anonyme avait imité deux pièces de Dorvigny, Janot ou Tout ce qui reluit n’est pas or et Les Battus paieront l’amende6″ .

Hoyau, âgé de 64 ans, venait de vendre son fonds à André-Sébastien Barc et avait acquis un ensemble de bâtiments que l’acte du notaire transcrit par Maurice Jusselin7 permet de situer : d’un bout au couchant la ruelle Mithouard donnant sur la rue du Marché au Beurre (antérieurement du Chapelet, rue Marceau actuelle) et au levant vis-à-vis l’église Saint-Saturnin. Le plan de Chartres en 1750 indique cet emplacement sous la cote 86. Mais le dessin ne correspond pas exactement à l’acte qui prolonge la ruelle jusqu’à l’impasse encore visible à notre époque.

« Hoyau avait tout prévu, écrit Maurice Jusselin, salle et foyer, café et billard, marchande de fleurs ». Comme voisin, le sieur Lemoine, pâtissier-traiteur donnait « à manger à table d’hôte, au prix de trois livres par tête toute la journée ». Par la suite Lemoine loua le tout en s’engageant à entretenir « le théâtre avec ses coulisses, machines et décorations… »

D’autres renseignements se rencontrent au fil des A.A.A. Le jeudi 3 février 1785, le dimanche et le mardi suivants (Mardi-Gras sans doute) le spectacle habituel est remplacé par un bal masqué. On nous apprend « que la partie du fond sera arrangée pour faire décoration avec l’intérieur » ainsi que l’existence d’un PARTERRE… (A.A.A., 2 février). On trouvait « des habits de déguisement à louer et des masques à vendre chez le sieur Briant, tailleur rue de la Pie », toute proche. (A.A.A, même numéro).

Lemierre

En janvier 1784, on joua La Veuve du Malabar, de Lemierre, avec un bûcher. Y avait-il de vraies flammes comme à Paris ?

Après maintes recherches infructueuses, le hasard nous a fait retrouver des descriptions de cette salle que certains détails supra et infra confirment.

« Une porte basse conduisait à un long corridor au bout duquel un lampion répandait une clarté douteuse, mais comme compensation beaucoup de fumée ! Le bureau des contremarques était tenu par la mère Dubois ; presqu’en face de ce bureau, un café exploité par un nommé Brière.
Parlons de la distribution des places : il y avait l’orchestre, les premières et les secondes loges, le parterre où l’on pouvait rester debout ; on comptait deux petites loges d’avant-scène.
L’éclairage ! Un lustre de bois formant la croix recevait comme quatre chandelles et la rampe six lampions ; la scène était éclairée par des chandelles…
Les décorations consistaient en toiles peintes grossièrement, suspendues à des châssis mobiles, représentant un salon, une forêt, une chaumière…»

(Le Beauceron, 1859, article cité)

« Il y a dans cette ville une assez jolie Salle de Spectacle que l’on loue à des comédiens qui viennent y passer l’hiver. Le Théâtre est grand, orné de plusieurs décorations. La Salle est composée d’un Parterre assis, appelé Parquet, de deux rangs de Loges, d’un Amphithéâtre et d’un Parterre où l’on est debout. On y donne pendant tout le Carnaval des Bals parés et masqués à l’instar de Paris, qui quelquefois ont été très-brillans par la quantité de monde qui s’y trouvoit et l’agrément des mascarades. Il y a derrière le Théâtre une Salle qui sert pour les rafraîchissemens. Ces jours-là le Parquet est couvert par un plancher qui se monte en très-peu de temps et qui rend la Salle de niveau avec le Théâtre. Le prix pour les Comédiens est de 18 liv{res] par chaque représentation. Elle est louée par M. Hoyau, Bourgeois, rue des Changes. Lorsqu’il n’y a point de Comédiens, il la loue pour noces et festins.

Prix des places : Parquet et premières loges, 1 L. 10 s., Secondes et amphithéâtre, 1 L., Parterre, 12 s »

(Etrennes historiques de Chartres et du Pays chartrain, M. DCC. LXXXI,
transcrit par M. Jusselin, Imagiers… p. 427).

Une première annonce de mise en vente, le 18 janvier 1786, puis une seconde le 5 avril suivant, amenèrent des changements de propriétaires mais les représentations théâtrales continuèrent dans cette salle jusqu’à la fin de la période révolutionnaire.

En janvier 1792, Médée devait apparaître sur son char « attelé de dragons volants » et la pièce se terminer par « l’embrasement de Corinthe». Le 1er février 1792, Le Vertueux Maire est au programme avec « tout l’appareil militaire, des combats singuliers, l’assaut des murailles ».

Enfin, en mars 1792, on honore un jeune citoyen vertueux qui prend place « dans la loge des officiers municipaux ». On pense donc à une disposition analogue à celle du Théâtre Français de Paris, et de beaucoup d’autres, avec loges pour les officiels.

Combien de spectateurs ? Nous avons vu que le prix des places est d’environ une livre (l’abonnement en 1793 est encore proposé à 12 livres pour un citoyen, dix livres pour une citoyenne, ceci pour douze représentations). A la suite d’une représentation extraordinaire pour la reconstruction de l’hôpital, la recette remise à un notaire s’élève à 312 livres. Donc la salle pouvait contenir au moins 300 personnes (La Comédie Française à Paris : 1500 – La Comédie italienne : 1600). Cette salle semble insuffisante puisque son remplacement est envisagé avant même la Révolutionÿ,

Un répertoire de qualité

Piron

Les A.A.A. présentent avec assez de régularité les spectacles de chaque semaine, du moins jusqu’en 1792. Ainsi, le 10 mars 1784 : « Les comédiens donneront demain jeudi 11 mars une première représentation de la Métromanie, comédie en vers & en cinq actes, de Piron9 dans laquelle M. Vallois remplira le rôle l’Empyrée. Cette pièce sera suivie du Mari retrouvé, comédie en un acte de Dancourt. Dimanche 14, une première représentation d’Œdipe, tragédie de Voltaire… »

Si Dancourt n’occupe pas une place éminente dans la littérature du XVIIIe siècle, il n’en est pas de même des deux autres auteurs cités dans cette annonce. D’autant plus qu’on avait déjà joué Adélaïde du Guesclin de Voltaire le 29 octobre, l’Amphitryon de Molière le 13 juin, sans compter plusieurs pièces de Beaumarchais. Le public chartrain peut donc goûter les charmes des grandes valeurs littéraires du siècle,

Carmontelle

On jouera encore, entre autres, Les Proverbes dramatiques, de Carmontelle (janvier 1784) ; Gaston et Bayard, tragédie en cinq actes de du Belloy10, Les Trois Sultanes de Favart le 5 février 1790 ; Œdipe chez Admète de Ducis11, le 12 février 1784 ; Roméo et Juliette, de Ducis également en mars ; Les Trois Aveugles et le Faux Lord, de Piccinni, opéra en deux actes, en mars. Pour la musique, on relève les noms de Grétry, Gluck, Dalayrac, Devienne, Duni et, bien sûr, Philidor.

Classique, mais aussi « branché », le Chartres-Mondain dans ces années 1784-1791. Les journaux du 21 janvier 1784 et du 18 février suivant annoncent La Veuve du Malabar. Cette pièce à grand spectacle de Lemierre n’est pas, à dire vrai, une nouveauté à cette date puisqu’elle remonte à 1770. On devine le sujet : la veuve hindoue promise au bûcher est sauvée par un vaillant officier français. Au parfum d’exotisme à la mode au XVIIIe siècle s’ajoutait une lourde critique contre tous les fanatismes, religieux notamment. Le clergé, les dévots ne s’y trompèrent pas et la pièce tomba. Lemierre se démena et La Veuve fut reprise avec un franc succès, malgré la cabale, en 1780 à Paris12, II est donc tout à fait à l’honneur de la scène chartraine de la monter quatre années plus tard seulement ; nous avons vu ci-dessus avec quel appareil.

Le triomphe de Collin

A partir de 1786, les colonnes du journal font une place très importante à Collin d’Harleville, « le gentil Collin ». A cette date c’est un auteur en vogue qui triomphe à Paris avec L’Inconstant, comédie en vers, de cinq actes qu’il réduira plus tard à trois. L’auteur est acclamé et rappelé par le public pendant une demi-heure. Dès le lendemain, les A.A.A. lui consacrent une colonne de louanges, un huitième du journal. Dans les feuilles suivantes, paraît une copieuse analyse et des lecteurs enthousiastes envoient des vers :

« Qui pourrait ne pas applaudir…
Cher COLLIN, tu deviens l’Emule
Et de Molière et de Regnard… »
(Par une dame de Chartres)

Il faut plusieurs mois pour que la pièce vienne sur la scène chartraine. Enfin, le 14 février 1787, les Chartrains peuvent « se porter en foule » à la salle des spectacles et c’est à nouveau une avalanche d’éloges dans le journal. Il y aura plusieurs reprises.

Deux ans plus tard (1789) c’est L’Optimiste qui triomphe et toujours des flots de louanges. Le journal cite les « vers heureux dont la comédie abonde » et un article s’achève sur les derniers mots de la pièce :

« Tout est bien ».

Comment appréciait-on cet humour qui fait dire à M. de Plainville :

« Je suis émerveillé de cette Providence
Qui fait naître le riche auprès de l’indigent :
L’un a besoin de bras, l’autre a besoin d’argent,
Ainsi tout est si bien arrangé dans la vie
Que la moitié du monde est par l’autre servie. »

La carrière de Collin souffrit beaucoup des événements qui se préparaient.

La critique

Le plus souvent la présentation des spectacles dans les A.A.A. est sommaire et anonyme. Parfois, elle semble le fait de lecteurs enthousiastes ou, plus rarement, critiques. Deux personnages se sont beaucoup intéressés au théâtre, comme critiques d’abord, acteurs et défenseurs ensuite : Jérôme Guillard et Marie Saint-Ursin. Frère de Nicolas, le librettiste, Jérôme Guillard, qui prit le prénom laïque de Caïus, épousa Joséphine Marceau, sœur du général, en 179613. Il fit partie du personnel politique de l’administration révolutionnaire locale. Marie Saint-Ursin, plus tard Marie seulement, puis à nouveau Saint-Ursin, était médecin de l’Hôtel-Dieu, On fit paraître de lui, à son insu lorsqu’il était « aux frontières », un poème qui se termine ainsi :

« Du bon maire d’Agen la compagne fidèle
Vient de faire un enfant. – Eh, que me fait ce trait ?
– Ecoute jusqu’au bout. À son âme immortelle
Le bon maire a donné PETION pour tutelle :
Saint PETION, partout, est le seul nom qui plaît ».

Rivalité politique ? Marie fut un « patriote » semble-t-il assez tiède. Plus chanceux que Pétion, on le trouve encore en 1800, médecin à l’Hôtel-Dieu, « tâtant le pouls des malades le matin, et le soir papillonnant dans les salons ». Mais, on doit le constater, Marie a toujours fermement milité pour une haute tenue culturelle des spectacles. Deux canards, enrubannés de tricolore s’échappant par un soupirail de l’Hôtel-Dieu le brouillèrent avec le préfet Delaître et l’éloignèrent par la suite de la capitale beauceronne.

Des représentations fréquentes et copieuses

La saison théâtrale s’étendait de fin septembre à fin mars. Il s’y ajouta de plus en plus des représentations hors saison. On jouait plusieurs fois par semaine : jeudi, samedi et dimanche. Lecocq, déjà cité, nous affirme que « dans cette heureuse période [1790-1800 !] le théâtre était suivi au point qu’on donnait jusqu’à trois ou quatre représentations par semaine ». Ainsi, d’après les A.A.A., en décembre 1793 : jeudi 13, dimanche 16, mardi 18.

Sedaine

Et quelles représentations ! Deux pièces par séance semblent un minimum. Il y a des règles : la petite suit la grande, la gaie suit la triste. On note un spectacle particulièrement copieux le 2 février 1792 : Paris sauvé de Sedaine, suivi de trois actes, La Conspiration manquée ou Le Vertueux Maire (titre et sous-titre) puis des « divertissements en vaudevilles14« , des danses et une comédie en cinq actes, Le Paysan Magistrat « dans toute sa pompe ». Le 25 janvier précédent, les cinq actes de Médée furent suivis d’une comédie en deux actes, Le Convalescent de qualité ; à l’entracte la dame Vernon joua de la harpe et le tout se termina par un Ballet National.

Le comédien, « esclave adoré »

Le public parisien, à cette époque, a eu ses idoles : Grandval, Mme Favart, puis Talma. On s’attendrait à ce que les troupes « qui courent ordinairement la province », comme dit le journal, soient tombées dans l’oubli. Ce n’est que partiellement exact.

Une troupe de comédiens obtenait le privilège de jouer pendant une saison dans la ville. Ce furent les « Comédiens français », la troupe du Sieur Saint-Ange, les comédiens associés. Les A.A.A. nous livrent des noms d’acteurs, leur décernent des éloges ou des blâmes : « diction vraie », « plein de feu dans son jeu », « excellente soubrette », « devra se défaire de son accent ». Mais la postérité ne les a pas retenus.

Par contre, ont joué à Chartres : Duplessis, excellent comique connu à Paris ; Ponteuil, révolutionnaire militant, joua jusqu’en 1792 à Chartres ; Valois était acteur pensionné du roi. Le plus célèbre est à coup sûr Molé qui interpréta à Chartres comme à Paris les pièces de Collin d’Harleville15. Voici l’hommage en vers que lui décernent les A.A.A. :

« Dans son air, dans sa voix, dans toute sa figure,
Molé sans la chercher rencontre la nature ;
Et dans tout ce qu’il sent, qu’il doit taire ou qu’il dit
Son geste parle aux yeux, & ses veux à l’esprit ».

1789-1792

En 1789, Chartres est une ville dont la population peut être estimée à 13 000 habitants, ville religieuse par excellence avec un chapitre cathédral riche (biens en Beauce) et une bourgeoisie vivant en grande partie de ses rentes, qui dispose donc de loisirs. Notons que les gens de robe sont nombreux ; ils ont donné les Pétion, Brissot, Chauveau-Lagarde ; Marceau lui-même est fils de robin. Ces fils de bourgeois commencent leurs études au collège de la ville où l’enseignement donne dans les idées nouvelles : les députés d’Eure-et-Loir, qui pour beaucoup y étudièrent, voteront la mort du roi à sept sur neuf (à l’assemblée, la mort ne fut votée qu’à une voix de majorité).

Les spectacles sont faits pour le peuple

C’est l’exergue d’une feuille d’annonce et, dès octobre 1790, on présente au théâtre du Grand-Four La Famille PatrioteLa Fédération Parisienne avec renfort de jeunes figurants, dont Lecocq alors âgé de huit ans pour « les marches et évolutions militaires dont cette pièce est ornée ».

On trouve souvent « Par et Pour le Peuple », deux alibis semble-t-il avancés pour concilier les distractions des privilégiés et les élans égalitaires. Les spectacles, bien choisis, EDUQUAIENT le peuple et les représentations à vocation CHARITABLE se multiplièrent.

Les classiques et les auteurs à succès résistent mais les pièces « héroïques et nouvelles » ou « analogues aux circonstances » dominent. Ainsi, en janvier 1792, une tragédie en cinq actes de Longepierre est suivie, nous l’avons vu, de ces œuvres éducatives. On sait que les bons sentiments ne font pas forcément de la bonne littérature et toutes ces productions ont laissé peu de traces.

Or les bons sentiments sont très apparents : propagande. C’est l’avis de Pétion alors maire de Paris qui balance entre son culte de la liberté et la nécessité « d’inviter » les directeurs de salles à produire des pièces « civiques » ; il avoue l’avoir fait. En l’an III, Sergent, qui a des attaches chartraines, estime que « l’art dramatique est le plus convenable à propager l’instruction du peuple ». Et Delacroix, chartrain également, soutient à la Convention que « les spectacles guerriers et patriotiques sont nécessaires pour échauffer l’âme du peuple ». Il demande des mesures dans ce sens (Moniteur, 15 août 1793). Un drapeau tricolore flottait dans les salles.

Au fur et à mesure que la Révolution avance, les titres des pièces sont de plus en plus éloquents et leur présentation dans les A.A.A. fait écho. Le

15 février 1792, le rédacteur disserte longuement sur Le Masque de Fer et Louis XIV, tragédie « pleine de vérité et de naturel » en abondant dans le sens de Voltaire : une critique de l’ancien régime. Le 1er mars 1792, l’actrice qui joue Le Barbier de Séville vient chanter un couplet à l’honneur d’un patriote :

« Autrefois nos peuples vertueux
Étaient vendus à l’opulence
Le despotisme pesait sur eux
Le vice écrasait l’innocence… »

On couronne le héros du jour et le couplet est redemandé.

Grétry

Le 16 décembre 1792 on joue Guillaume Tell. Il existe une pièce de ce titre de Sedaine, musique de Grétry, et une de Lemierre ; les auteurs ne sont pas précisés dans l’annonce. Sedaine avait ajouté une scène à sa pièce dans laquelle les patriotes chantaient des couplets sur l’air de La Marseillaise : le héros suisse devenait ainsi une sorte de sans-culotte. C’est à ce titre sans doute que la fortification chartraine de la Porte Guillaume fut rebaptisée Porte Guillaume Tell. La pièce paraît souvent à l’affiche.

Tom Jones

Certes les classiques résistent : Le Misanthrope, Crispin rival de son maître, Iphigénie ; Les Etourdis d’Andrieux, Tom Jones de Poinsinet.. Mais l’on sait que toutes ces œuvres étaient prudemment « épurées » par leurs auteurs. La peur, ou l’ambition, amenaient de fameux retournements de vestes. Ainsi Grétry, qu’appréciait et chantait (faux, disait-on) Marie-Antoinette, écrivit-il un Joseph Barra en 1794. Ainsi Ducis faisait-il hommage d’une de ses pièces à Hérault de Séchelles : « Recevez, mon illustre concitoyen, le sans-culotte Othello » en 179216, Ainsi Collin écrivit-il Rose et Picard dans l’optique nouvelle : on lui avait fait comprendre qu’il « n’était pas bon qu’un ex-noble donnât des leçons de civisme à un sans-culotte ». Succès cependant encore pour Collin.

Le théâtre dans la tourmente

Le mercredi 16 octobre 1793 le rédacteur du journal se réjouit : depuis septembre 1792 « à cause du grand nombre de jeunes gens qui combattent aux frontières, des troupes de comédiens qui les suivent… » les théâtres, à Paris, sont désertés. Et cependant, ici, « nous jouissons toujours du plaisir de la comédie ». Pourquoi ? D’abord la ville est d’un calme exemplaire, « propice aux arts », les spectateurs toujours nombreux et une troupe assez complète a pu être réunie.

Les difficultés surviennent

Bientôt, plus de troupes de comédiens… Une Société des Arts se constitue animée, entre autres, par Marie et Guillard, société qui invite des amateurs à offrir au peuple « des leçons de morale sous le masque riant de Thalie ». Un accord est conclu avec le comité révolutionnaire qui consent à avancer l’heure de ses séances pour ne pas faire de tort au spectacle » et cette société, que les ennemis peignent comme une horde barbare & ennemie des arts, n’a pas délibéré longtemps pour accéder à ce désir » (A.A.A., 19 octobre 1793).

S. Mercier

Euphorie éphémère. « Le 19 brumaire de l’an 2 de la République Une et Indivisible », on joue Caïus Gracchus (de Marie-Joseph Chénier) et La Brouette du Vinaigrier de Sébastien Mercier au profit des pauvres. Guillard avoue, ou insinue : « J’ai été surpris de ni (sic) voir presque personne et, sans le bataillon de volontaires arrivé en cette ville, qui garnissait la salle, le spectacle eût été réduit à un petit nombre de patriotes » ; il propose donc au Conseil général de la commune de faire une collecte « chez tous les citoiens (sic) qui ne se sont pas rendus au spectacle ». Nous ignorons le succès de cette collecte.

Le 29 ventôse an II, le même Guillard, agent national du district à ce moment, lit au Conseil général un décret de la Convention nationale qui ordonne que, à l’instar de Paris, dans toutes les communes où il y a des spectacles, les artistes dramatiques seront tenus de donner tous les décadis des représentations gratuites pour le peuple. Trois officiers municipaux sont désignés pour y veiller, des affiches doivent être posées, des billets distribués.

Le peuple chartrain a donc pu assister le 30 ventôse à une séance composée de deux pièces dont on ne nous donne pas le titre, suivies de La Journée du Dix Août, exécutée sur le piano-forte, de Au Retour, opéra patriotique, et de L’Offrande à la Liberté (audio), le tout précédé, à l’ouverture, d’un long discours de Guillard, discours courageux mais cependant beau spécimen de langue de bois. Et Marie de commenter dans les A.A.A. : « Ce peuple qu’on se plaisait à calomnier, qu’on croyait incapable de goûter des jouissances pures et morales, ce peuple est venu nombreux n’osant pas troubler le spectacle par ses applaudissements, preuves souvent suspectes de son plaisir » (!).

Le 4 germinal an II, le Conseil général autorise les artistes dramatiques à donner le lendemain quatre pièces, dont Pygmalion et L’Hymne à la Liberté et à poser des affiches. II décide la réquisition des acteurs à l’effet de donner des représentations au profit des pauvres et demande la liste des membres de la Société des Arts.

Les événements se précipitent

Le 1er prairial, réuni sur convocation extraordinaire, le Conseil général, dans une séance houleuse, entend un discours sur les dénonciations faites contre la Société dramatique par la Société populaire17. L’assemblée suspend quelques membres de la Société des Arts et invite fermement les autres « à se tutoyer entre eux ». Le 4 prairial, un musicien suspendu vient implorer sa réintégration dans un plaidoyer pitoyable : c’est l’Aveu.

Le quintidi 5 prairial, Marie présente la défense de la Société des Arts dans les A.A.A. et réaffirme ses buts : instruire le peuple, soulager l’humanité.

Le 9 prairial, il doit aller s’expliquer devant la Société populaire et y reconnaître « qu’amie des arts et des vertus, la Société populaire peut trouver dans son propre sein des talents assez distingués pour donner au peuple des leçons de morale… » (A.A.A., 15 prairial).

Les représentations sont suspendues. La Société des Arts est épurée. II y avait « beaucoup trop d’aristocrates ».

Beaucoup trop d’aristocrates !

Et pourtant ! Certains de ces suspects étaient des révolutionnaires de la première heure. Plusieurs étaient même membres de la Société révolutionnaire populaire et Marie peut, à juste titre sans doute, évoquer « des inimitiés particulières18« ,

Mais la tension que fait peser la Terreur lasse. Dans un discours du 30 ventôse an II, Caïus Guillard s’était fait l’écho du sentiment général :

« Citoyens, gardez-vous de prêter l’oreille aux malveillans, car il en est sous tous les masques, à ces hommes durs et haineux que l’aspect de la joie afflige.. N’allez pas calomnier la liberté en lui prêtant des formes et des couleurs hideuses… » Attaque qui faillit lui coûter cher.

Les A.A.A. passent, semble-t-il, un incident assez significatif sous silence. On jouait Gabrielle de Vergy19. Deux orateurs du faubourg Saint-Antoine sont dans la salle, Gonchon et Forcade. Ils considèrent que le public applaudit beaucoup certaines tirades contre-révolutionnaires (ou qu’ils jugent telles). Gonchon se lève et crie : « Ah ça, ignorez-vous que les sans-culotte du faubourg Saint-Antoine sont ici ? ». Le silence se fait aussitôt. A la petite pièce les acteurs paraissent sans la cocarde tricolore, dont le port est obligatoire, et avec des chapeaux à plumets. Gonchon grimpe au foyer des artistes et leur dit : « Nous avons renversé les rois et nous renverserons aisément les rois de théâtre. Otez les rubans verts ». Et il revient dans le parterre chanter des couplets patriotiques20. Le spectacle était dans la salle.

Après la tourmente

Un nouveau théâtre

Le théâtre du Grand-Four ne convenait plus : loyer trop cher ? manque de place ? ou sécurité douteuse ? On peut le penser car une issue de secours avait été ouverte au milieu du parterre vers une petite ruelle en l’an II21. Le confort devait laisser aussi à désirer puisque le journal précise dès le 12 février 1784 : « On aura soin de bien chauffer la salle » et que le Conseil général de la commune remplace les lustres en bois le 4 nivôse an II, sans doute par des lustres d’églises provenant de la vente des biens nationaux. Le 18 septembre 1793, la représentation du « superbe spectacle du véritable Delcourt » est donnée dans une salle de l’ancien Hôtel de Ville, maintenant logé dans un ex-couvent.

Le 5 germinal an II, les A.A.A. font paraître un appel à souscrire pour la construction d’une nouvelle salle de spectacles. Le 9 prairial, le Conseil général prend connaissance des plans de la « nouvelle comédie ». Il ne s’agit pourtant pas exactement d’une construction. La vente des biens nationaux renouvelle l’urbanisme chartrain et l’affairisme règne. Le citoyen Morin, qui se dit architecte22, a acquis pour les démolir des églises, dont l’église Sainte-Foy. Après quelques tractations, il obtient de l’aménager en théâtre ; la première représentation y eut lieu en 1797. Une place dégagée par la démolition de la « muraille gothique », ménageait un accès majestueux. Cette salle fut remise en vente en 1806 et on y joua jusqu’au milieu du XIXe siècle23.

La Société des Arts se reconstitue

Quelques membres de cette société avaient senti la guillotine très proche, Guillard, enfermé dans la prison du Luxembourg, notamment ; Collin aurait eu le courage d’intercéder pour lui. Le couperet tombe encore le 22 août, un mois après la chute de Robespierre24.

Lassés sans doute du fanatisme révolutionnaire, deux membres de la Société des Arts, Caïus Guillard et Tibérius Hoyau reprennent leurs prénoms, « prénoms primitifs qu’ils ont eus au baptême » (fructidor an II25).

Ce dessin à la plume a été réalisé par M. Chaussé en 1964 d’après une aquarelle du musée de Chartres pour la publicité de la pâtisserie Aubry, successeur de Lemoine.
La gravure publiée dans le Tableau de Chartres en 1750 en est très voisine. Les auteurs de cet ouvrage ne font qu’un seul établissement du Palais des Noces et de la salle du Grand Four, écrivant page 118 :
« … maison du Fort – Boyau, 1470, devant l’église St-Saturnin, ou maison du Grand-Four, ou maison Ste-Marthe, 1747, ou à l’image Ste-Marthe, 1660 (Chap.), Furnus Boelli, 1553. Elle fut appelée anciennement le palais des Noces (Lec.)… Elle fut transformée en théâtre au XVIII siècle jusqu’à la Révolution… »
L’Histoire des rues de Chartres (Guillois Roger, éd. Echo Républicain, 1978) fait aussi l’amalgame.
Or le plan dressé par Quévanne vers 1791 est précis quant à l’emplacement du Palais des Noces et les actes transcrirs par M. Jusselin pour celui de la salle du Grand-Four. Il y eut sans doute deux lieux de réjouissances dans le quartier qui purent coexister à un moment donné.
Le traiteur Lemoine, voisin de Hoyau, ayant pris la succession par la suite, maintint les représentations théâtrales au Grand Four jusqu’à la « construction » de la Salle Sainte-Foy et nous avons trouvé mention d’une Salle Lemoine. Il semble que l’entretien des bâtiments ne fut pas très bon, ni le niveau des spectacles. Bien que taquinant lui-même la muse, Lemoine fut critiqué. Un détracteur lui trouve cependant une excuse en disant qu’il était normal en somme qu’un fabricant de pâtés n’aimât pas les vers…

Dans l’euphorie de la victoire de Marceau, le héros chartrain, à Coblence (23 octobre 1794 – brumaire an III), la société donne trois représentations et un bal à ses frais. Elle verse 800 livres pour la construction du nouveau théâtre.

Mais il faut rendre des comptes

Le Conseil général est soupçonneux. Le 4 nivôse an III, un représentant de la Société des Arts doit présenter les comptes. Du 20 ventôse dernier au 29 floréal, la société a donné 17 représentations dont trois « de par et pour le peuple » qui ont produit 6 248 livres. Mais, compte tenu des frais, entre 180 et 200 livres par séance, des 3 000 livres nécessaires pour monter un nouveau spectacle, des indemnités aux comédiens licenciés en floréal.. le budget est déficitaire et c’est de leurs deniers propres que les artistes ont versé 300 livres pour les pauvres.

L’emprise de l’administration se fait de plus en plus pesante et, si le représentant du peuple Sergent encourage la société à poursuivre ses travaux, les règlements et les rappels à l’ordre se multiplient.

Les Jacobins sont toujours là

Le 6 floréal an IV, le Conseil général rédige une police des spectacles imposant des horaires stricts, les représentations doivent commencer à six heures précises ; le programme est sous surveillance et le 1er du mois les artistes doivent communiquer leur répertoire ; dans chaque spectacle doivent s’intercaler des airs patriotiques.

Les artistes ayant sans doute estimé qu’un règlement est fait pour être tourné, des précisions sont édictées l’année suivante (27 frimaire an V). On spécifie qu’il « ne sera chanté, joué, dansé ou représenté que ce qui aura été annoncé ». Le spectacle finira à neuf heures au plus tard et la contribution au profit des pauvres sera de 1/10 sur le prix de chaque billet avec supplément pour les loges. Un agent municipal sera ultérieurement désigné pour compter le nombre d’entrées.

Au début de l’an VI, un arrêté réglemente les jours de fêtes nationales et les décadis (substituts des dimanches) que les artistes ne doivent pas laisser passer sans représentations. Malgré cela, par un hasard qui semble anormal aux autorités, les jours de relâche tombent souvent un décadi. En prairial, un spectacle annoncé pour le 8 est reporté au 9. Ceci « pourrait avoir pour motif la ci-devant fête de la Pentecôte, ce qui tend à entretenir les esprits dans les préjugés de l’ancien régime », lit-on dans le compte rendu de séance. Et le spectacle est renvoyé au 12. Les plaintes, les rappels à l’ordre, puis les menaces déferlent.

Les livrets sont sous surveillance également. Les représentations de La Mère Coupable, du Dépit Amoureux, du Mariage de Figaro ne semblent pas avoir soulevé de litiges. Par contre, le 15 messidor an V, les A.A.A. annoncent L’intérieur des Comités révolutionnaires ou Les Aristides modernes ; la pièce est interdite. Le 25 nivôse an V, le rédacteur des A.A.A. proteste avec véhémence : « Quoi ! On interdit L’intérieur des Comités révolutionnaires et on permet Robert ! Oublions-nous donc qu’on y compta plus d’un Robert26 ? »

Le répertoire présenté par les artistes pour la période du 19 au 23 germinal an V est approuvé à l’exception de deux pièces, La Rosière de Salency et Raoul Barbe-Bleue qui rappellent « des idées de féodalité ». La représentation de La Rosière sera cependant permise si l’on « remplace le drapeau blanc de la rosière par un tricolor (sic) ». Cela ne s’invente pas !

Interdits Les Mariniers de Saint-Cloud, pièce dans laquelle on reprenait les noms de M. et Mme. Soumise à correction La Revue de l’an VI aux endroits « ‘soulignés d’un trait de crayon ». Fermé l’ancien théâtre du Grand-Four où devait avoir lieu un bal car les billets d’invitation étaient conçus en des termes qui rappelaient les « scandaleuses distinctions de l’ancien régime » et que l’on utilisait « l’ancien calendrier ».

Retour à la tradition

Bientôt, on ne citera plus la Société des Arts mais, à nouveau, des artistes dramatiques « récemment arrivés en cette ville ». L’opéra revient sur la scène chartraine avec Les Visitandines, de Picard, musique de Devienne, que l’on jouera encore sous la Restauration. Collin présente une pièce nouvelle Les Artistes, comédie en vers en cinq actes. Le 15 vendémiaire an V, Marie en déplore le manque de mouvement théâtral et regrette que Collin, « né pour la paix et la concorde, égaré dans un monde nouveau, effrayé par le tumulte des armes, ait vu expirer le sourire de sa muse comique…

Collin produira encore trois pièces, mais la verve n’y était plus. L’auteur de L’Optimiste, malade, ruiné, était devenu pessimiste pour l’avenir de son pays et de son art.

Paulette COUTURIER

Buste de Collin – Mairie de Maintenon

A COLLIN D’HARLEVILLE MDCCLV – MDCCCVI SES CONCITOYENS

© Société Archéologique d’Eure-et-Loir (SAEL). NS 37, 1993-2.

1. La biographie de Collin a été écrite par un de ses confrères, et pourtant ami, Andrieux (1759-1833). En décembre 1792, on joua Les Etourdis d’Andrieux au théâtre de Chartres. Andrieux a beaucoup mieux traversé la période révolutionnaire que beaucoup d’autres auteurs, pourtant relativement épargnés dans l’ensemble : il siégea aux Cinq-Cents, au Tribunat, fut professeur à Polytechnique et au Collège de France. On pense qu’il aurait écrit quelques scènes de L’optimiste de Collin.
2. Marcel COUTURIER, Histoire du Collège de Chartres, in S.A.E.L. Mémoires XX, p. 241.
3. BUISSON et BELLIER de la CHAVIGNERIE, Tableau de la Ville de Chartres, 896, p. 118.
4. JUSSELIN, Maurice : Le Palais des Noces à Chartres, S.A.E.L. Mémoires XXI, pp. 347-354.
5. LEPINOIS, Eugène de : Histoire de Chartres, 1., p. 338 n.1.
D’après Le Beauceron, almanach spécial pour le département d’E.-et-L., année 1859, un article anonyme « Simple histoire du Théâtre de Chartres » signale une salle appelée Salle de l’Union, au bas de la Porte Cendreuse, où l’on présentait quelques spectacles de marionnettes, des ombres chinoises, etc.
6. LEPINOIS : op. cit., p. 494, n.3.
7. JUSSELIN, Maurice : Imagiers et cartiers à Chartres, in S.A.E.L. Mémoires XXI, p. 296.
8. Voir ci-après pages 17 à 19,
9. La Métromanie datait de 1738 mais elle était inscrite au répertoire de la Comédie française. L’auteur était, et est resté, célèbre par ses bons mots.
10. L’auteur avait du succès ; il passa vite de mode, ces vers peuvent l’expliquer :
« Dieu dit à tout sujet lorsqu’il lui donne l’être
Sers, pour bien me servir, ta patrie et ton maître ».
11. Cinq actes en vers.
12. Lorsque la pièce était en panne les critiques louaient L’Orphelin de Sedaine, D’où ce quatrain de Lemierre :

« Par vos délais longs et sans fin
C’est assez me mettre à l’épreuve,
Vous qui protégez l’orphelin
Ne ferez-vous rien pour la veuve ? »

13. On constate qu’il a existé, à Chartres, une véritable endogamie chez les célébrités révolutionnaires. Sergent épousa en 1796 une sœur de Marceau, Marie, qui prit le prénom d’Emira. La sœur de Delacroix, Jeanne, (puis Corneille) épousa Jean-François devenu Tibérius Hoyau.
14. Les vaudevilles étaient au XVIe siècle des chansons gaies, satiriques ou bacchiques. Au XVIIe siècle on en intercale dans les comédies, d’où l’expression « comédie à vaudeville » que nous avons souvent trouvée dans les A.A.A.. Au XVIIIe siècle, on fait de plus en plus appel à des musiciens pour composer des couplets spécialement adaptés à la pièce.
15. François-René Molé (1734-1802) fit une brillante et longue carrière à la Comédie Française. Plus que prudent, il bénéficia sous la Terreur d’une réputation de civisme qui lui évita de partager la prison avec ses camarades acteurs. Il fut secrétaire de la Comédie française en 1761, membre de l’Institut en 1791. Il encouragea les débuts de Talma.
16. ESTREES, P. d’: Le Théâtre sous la Terreur, Paris, 1913. Ducis, dont les parents étaient originaires de Savoie, s’adressait à Hérault de Séchelles alors chargé de l’organisation du département du Mont-Blanc (nov.17 92 – mai 1793).
17. A la Société populaire des Sans-culotte, établie dans la ci-devant église Saint-Hilaire, œuvraient, entre autres, Michel Chasles, prêtre aigri devenu un révolutionnaire sectaire, Conard, artisan failli, borgne et ivrogne et Loiseau, terrible pourvoyeur de l’échafaud.
18. Parmi ces « aristocrates », Hoyau Le Jeune, franc-maçon, loge la Franchise, secrétaire de la Société révolutionnaire des Sans-Culotte, avait dressé l’inventaire du mobilier de la cathédrale pour la vente. On trouve aussi Auzoux, Pellerin, Rousseau. En l’absence des prénoms, on ne peut que faire des rapprochements avec des révolutionnaires de la première heure et des membres des administrations révolutionnaires locales. Certains, incarcérés, durent leur salut à Thermidor.
19. De du BELLOY, inspirée par l’histoire médiévale.
20. CHALLAMEL : Les Français sous la Révolution, Paris, 1843, p. 279. L’auteur n’indique pas sa source.
21. GUILLON, abbé : La comédie à Chartres pendant la Révolution, in S.A.E.L., Procès-verbaux tome XI, p. 92.
22. C’était en tout cas un urbaniste et on a massacré en partie à Chartres des ensembles de très bonne qualité architecturale dans la ligne du XVII siècle. Il en était le concepteur. Sur les opérations d’urbanisme menées à Chartres par Morin, voir l’excellente étude de Roger JOLY, L’aménagement des entrées de la ville de Chartres (1790-1832), in S.A.E.L., Mémoires XXVII, 1977.
23. Du même auteur, Précisions sur l’église Sainte-Foy de Chartres, in Bulletin de la S.A.E.L. nouvelle série n° 31, 4ᵉ trimestre 1991, pp. 21-30. En annexe : transcription de l’annonce de la mise en vente de la salle dans les A.A.A. du jeudi 4 septembre 1806 qui donne la description des bâtiments et des équipements ainsi qu’une reconstitution des abords du nouveau théâtre par Jean LAURENT.
24. Un prêtre réfractaire, l’abbé Brière, sur dénonciation.
25. Beaucoup firent de même. Dans une commune beauceronne, Louville-la-Chenard, Eloi Girouard, appelé à sa demande Tuya, Potiron, Sansculotte Girouard, redevint Eloi après Thermidor (cité par Daniel JALMAIN, Louville en révolution, chez l’auteur).
26. Il s’agit, nous disent les A.A.A., de Robert, chef de brigands, « traduction d’une pièce représentée en Allemagne, Le capitaine Moor » dans laquelle sont mis en scène « des jeunes gens exaltés par le goût de partage et le fatalisme » : certainement le drame de Schiller, die Räuber (1781).

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2 réponses

  1. Bresson Jacques dit :

    Jean-François Collin naquit à Maintenon le 30 mai 1955, il fut baptisé en l’église St pierre de Maintenon le jour même et ce n’est que vers 1757 que la famille vint habiter Mévoisin dans une maison que fit construire son père sur un terrain acheté par son grand-père Martin entrepreneur des travaux du Roi pour la construction de l’aqueduc. Voir le registre des baptêmes de St Pierre de Maintenon cote GG6 p.202/497 aux AD28 et la brochure n°22-2015 de l’Asso. Valorisation du Patrimoine-Saint-Piat Mévoisins

  2. Bresson Jacques dit :

    correction 30 mai 1755

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