Marc Guillemin, Foires et Marchés à Bonneval

Plan de Bonneval en 1789 dans R.Chouin, notice sur Bonneval 1896

L’intérêt de cet article de Marc Guillemin réside notamment dans la présentation des textes originaux qui instituent et règlementent les foires et les marchés, ainsi que des échanges épistolaires entre les représentants de la royauté, des comtes, de l’abbaye et de la Ville. Chaque camp défend âprement ses droits et ses demandes. On redécouvre la complexité de l’administration d’Ancien Régime, les enjeux de pouvoir sont complexes, les guerres et les épidémies les compliquent et les aggravent, quand ce ne sont pas les intempéries.

Bonne lecture.

Michel Ferronnière, Président
Michel Huetz, Secrétaire général
Juliette Clément, Directrice de Publication
Célia Sovieni, Secrétaire

1 – Des origines à la Révolution

Les origines

Au IXᵉ siècle, dans tout l’empire franc, de nombreuses églises s’élevèrent ou furent restaurées. Grâce à l’initiative de hauts personnages, on construisit des abbayes. En 857, le chevalier Foulques et Charles, roi de Provence, fondèrent celle de Bonneval, dédiée aux saints Marcellin et Pierre ; elle prit ensuite le vocable de Saint-Florentin. Elle prospéra rapidement ; Bona Vallis naquit et grandit à l’ombre de ce monastère (1).

(1) R. Merlet, Note sur la fondation de l’abbaye de Bonneval, dans Mémoires de la Société archéologique d’Eure-et-Loir, 1. X (1896), p. 14 à 38.

Dans toute la Francie septentrionale, le commerce était intense et les abbayes constituaient autant de centres économiques ; ceci explique le rôle de l’abbaye dans la fondation du premier marché de Bonneval. Celui-ci eut du succès et procura aux moines de beaux revenus.

Premiers désastres

Notre région fut ravagée par les Normands à partir du IXe siècle. En 911, Rollon, chef de ces barbares, venu chercher fortune en France, entré en Neustrie par la Seine, ayant assiégé et pris plusieurs villes, quitta la région et vint par les terres faire le siège de Chartres.

L’évêque et les habitants de la ville lui résistèrent. Exaspéré par ces revers, il mit à feu et à sang tout le plateau de Beauce ; Bonneval, le monastère et les églises furent brûlés. Eudes, fils de Thibault le Tricheur, après ces désastres, restaura l’abbaye et lui donna son quatrième abbé : Vaudric.

Retour de la prospérité ; le marché du comte

Au cours du XIᵉ siècle, l’abbaye sembla retrouver sa prospérité, mais les comtes de Dunois se lassaient de protéger gratuitement le monastère et ils convoitaient le pouvoir temporel des religieux. Ils conçurent le projet d’établir un marché public qui leur appartiendrait, et ce furent les vives sollicitations de Étienne Henri, comte de Blois et de Chartres, qui arrachèrent aux moines leur consentement. L’abbé Gaultier accorda au comte Étienne le droit d’ériger, en 1090, un marché dans la ville ; le jour du lundi fut conservé. L’accord imposait les conditions qui suivent :

  1. « Qu’il (le comte) continuerait toujours à être leur défenseur et de tous leurs sujets ou gens. »
  2. « Que depuis qu’à l’occasion de marché nouvellement établi, les franchises et libertés de leur dite ville de Bonneval n’en reçut aucun dépérissement ou altération, toute la justice qui concernerait ledit marché tant sur les personnes du dehors que sur celles qui faisaient leur demeure, resterait et appartiendrait aux religions sans qu’il fut loisible en aucune manière au Prévost du comte ou à aucun de ses officiers de faire aucun acte de justice à l’égard de quique ce fut. »
  3. « Que ledit prévost du comte lorsqu’il aurait souffert qu’injure ne pourrait en reporter sa plainte ailleurs qu’à l’abbé ou prévost du monastère, pour en voir justice et satisfaction. »
  4. « Que ledit comte paierait ou ferait payer par chacun an au chambrier (Procureur de l’Abbaye) un cens de redevance de dix livres (pour leur acheter des habits) sur les revenus qui leur reviendraient du dit marché. »
  5. « Et de peur, dans la suite des siècles, ses héritiers ou successeurs n’oubliassent de quelle manière ce droit de marché leur serait venu et n’allassent s’imaginer qu’ils le possédaient par droit de succession de père en fils, il en fit dresser un acte authentique… » (2).

(2) Archives Municipales de Bonneval 4 F1.1 – Extrait d’un manuscrit possédé par Me Lejeune, notaire à Meslay-le-Vidame, et ayant pour titre : Histoire de l’Abbaye de Bonneval, par Dom Jean Elie, Prieur de cette abbaye en 1711.

Étienne Henri fit donc dresser un acte récognitif que ratifièrent la Comtesse Adèle (3), son épouse et le comte Guillaume son fils, prenant Dieu à témoin et promettant, en présence de plusieurs personnes de haute probité, de garder inviolablement le traité.

Les droits de coutume perçus sur le marché donnèrent bientôt lieu à des différends entre les officiers du comte et ceux de l’abbaye. La comtesse Adèle dut, en 1109, renoncer à la perception de ses droits. En 1118, les religieux demandèrent au comte Thibault IV (4), fils du comte Étienne Henri, d’établir une charte définissant les droits de coutume et de justice du marché. Ils obtinrent de nouveaux privilèges. Pour bien déterminer leurs droits, ils rédigèrent un tarif nommé « pancarte ». Les extraits qui suivent nous prouvent que le marché avait déjà pris un développement considérable.

(3) Adèle était la fille de Guillaume le conquérant, Roi d’Angleterre.
(4) Thibault IV était le beau-père de Louis VII le jeune.

« La coutume du sel est la suivante : le jour du marché chaque vendeur, qu’il soit de la cité ou de l’extérieur, s’acquitte auprès du prévôt comtal d’un droit correspondant à une poignée de sel (droit de havage) paye une maille, il remet plus d’une demi-mine de sel pour l’année entière, même s’il commerce qu’un seul jour dans l’année. »

« La coutume pour la vente du bétail est la suivante : Le jour du marché et dans l’année en général, à Bonneval et aux alentours, qui vend un porc, une vache ou un bœuf, un veau castré, s’acquitte d’une maille par tête. Pour un veau entier et pour les porcelets non castrés, on n’est redevable de rien d’où que l’on vienne. Pour quatre moutons, on s’acquitte d’un denier, ainsi que pour quatre agneaux castrés. Si l’on ne vend qu’une brebis ou qu’un agneau, on paye une maille. Pour un cheval, c’est deux deniers, pour six toisons, une maille suffit et si, lors d’un marché, on ne vend qu’une seule toison, on doit attendre un autre marché et compter ainsi jusqu’à la vente de six toisons. Ceux qui achètent doivent se soumettre à la même coutume qu’ils soient de la ville, de ses alentours ou de plus loin. Cependant s’ils viennent d’un autre canton éloigné ils s’acquittent de la coutume et d’une obligation supplémentaire. »

« Il faut savoir que quiconque achète pour son usage personnel du blé ou autre chose n’a à s’acquitter de rien, qu’il soit ou non du canton. Il en est de même pour l’achat des petites peaux (agneaux, chiens, chats et animaux de ce genre).
Pour les fardeaux portés au cou, pour les chargements portés à dos de bêtes, on payera deux deniers. C’est donc ce que rapportera un chargement d’huile de ce type. Pour un tonneau d’huile, la taxe est de deux sols. Pour un millier de harengs frais on payera quatre deniers. pour autant de harengs séchés quatre deniers seront exigés plus deux deniers par millier supplémentaire, ceci est valable que les poissonniers transitent par la ville ou qu’ils y vendent leur marchandise.
Pour ce qui est des fruits, pommes et autres semblables le vendeur comme l’acheteur s’acquitteront d’un denier.
La coutume veut que ceux qui vendent du charbon donnent deux sols pour l’année même s’ils ne vendent qu’une seule charretée.
Pour une charretée de blé, de vin en transit par la ville ou à demeure la taxe est fixée à un denier. Le vendeur de corde de chanvre paye trois deniers. Les marchands de pain, itinérants, le jour du marché, s’acquittent de un denier par charretée, d’une maille par chargement à dos de bêtes…
Pour un millier de morues fraîches ou non, vendeur ou acheteur s’acquittent de quatre deniers.
Le jour du marché, l’émissaire du monastère reçoit une poignée de sel de chaque saulnier. Pour chaque charretée de vin, de pain, de sel, il perçoit en outre un denier, même chose pour l’huile et le miel… Pour les poissons de mer frais ou non, vendus en ville, le monastère reçoit deux harengs.. Pour l’ail et l’oignon vendus en charrette on paye une maille… ». (5)

(5) Archives départementales d’E. & L. – H 606, f° 20-24.

Les foires

Les XIIe et XIIIe siècles voient le second essor des foires de marchandises, notamment en Champagne et en Flandre. Elles se déroulaient parallèlement aux marchés ordinaires.

Des foires célèbres se tenaient à Chartres, elles étaient au nombre de neuf et coïncidaient avec les grandes fêtes religieuses pour profiter de l’afflux des pèlerins. On comptait, au XIIIᵉ siècle, dans le pays chartrain, vingt-quatre foires. Elles avaient lieu entre le 24 juin et la Saint Nicolas. Plusieurs des foires de notre région ont été fondées au XIIe siècle. Dreux vers 1130, Bû en 1158, celle de Saint-Simon – Saint-Jude à Chartres vers 1120-1130, Saint-Avit près de Châteaudun vers 1170, celles de la Madeleine et de Notre-Dame du Champdé, à Châteaudun, avant 1200. Celle de Bonneval fut créée par Thibault V en 1189 près de la maladrerie Saint-Gilles : elle durait trois jours. Ce maréchal de France, oncle du Roi Philippe-Auguste, décida d’accompagner celui-ci en Terre Sainte. Il donna aux lépreux de Bonneval, pour l’amour de Dieu et la paix de son âme, la moitié des revenus de cette foire.

« Moi Thibault, comte de Blois et de Chartres, Sénéchal de France, je fais savoir à tous, tant présents qu’à venir, que pour l’amour de Dieu, et remède de mon âme et de mes parents, je donne à toujours aux lépreux de Bonneval, une foire mise et colloquée devant la maison d’iceux, au jour de la vigille de Saint-Gilles, au jour de ladite fête et au lendemain, en sorte et de manière qui suit sçavoir est : la moitié de la foire et de toutes les coutumes et revenus appartenant à la-dite foire sera mienne et à mes héritiers, et l’autre sera aux lépreux ; et si l’on vend quelques marchandises ce jour-là à Bonneval, la moitié des coutumes et revenus en provenant sera mienne et l’autre aux lépreux, mais toute la justice de la foire sera mienne ; et afin que cela demeure ferme et arrêté ; je confirme ces lettres par l’impression de mon scel ; de cette charte sont témoins : Henri du Puiset, Thibault de Dangeau, Hugues de Bullainville, Robert de Meslay, Guérin de Nomain.»

« Fait et passé à Bonneval l’an de l’Incarnation mil cent quatre-vingt-neuf ».

Une charte de Jean de Châtillon, du 1ᵉʳ janvier 1262, confirme et augmente la première concession. La foire qui se déroulait initialement la veille, le jour et le lendemain de la Saint-Gilles fut prolongée de trois jours.

« A tous ceux qui les présentes verront : Moi Jean de Châtillon comte de Blois et de Chartres, seigneur d’Avesnes, salut en Dieu. Sçachent tous que, comme Thibault étant de bonne mémoire, comte de Blois et Sénéchal de France, notre prédécesseur, aurait donné et concédé, pour le remède de son âme, aux lépreux de Bonneval, une foire mise et posée près de la maison d’iceux au jour de vigile de Saint-Gilles, au jour de ladite fête et au lendemain, comme il est contenu dans les lettres de notre dit prédécesseur faites sur la donation, scellées du scel du dit Thibault, lesquelles nous avons vues en ces mêmes paroles :
Moi Thibault, etc (sic) laquelle donation faite par notre prédécesseur, nous approuvons, louons et accordons auxdits lépreux et par le présent scellé de notre scel, nous confirmons ladite donation en l’augmentant, c’est à sçavoir que, pour l’amour de Dieu et que pour le remède de mon âme et de mes parents, je donne et concède en pure et perpétuelle aumône auxdits lépreux de Bonneval, pour augmentation de ladite foire, trois jours suivant le lendemain de ladite foire Saint-Gilles de sorte que ladite foire commencera au jour de la vigile de ladite fête, et continuera jusqu’au sixième jour, en comptant lesdits jours de telle façon, toutefois, que la moitié des coutumes et revenus appartenant à ladite foire et prévenus d’icelle soit mienne et à mes héritiers ; l’autre moitié aux lépreux, et si durant ces jours on vend quelques marchandises à Bonneval, la moitié des coutumes et revenus provenant de la ville, et de sorte toutefois que la justice sera mienne ; pour le témoignage de laquelle chose et afin que toutes ces choses demeurent formes et arrestées, je confirme ces présentes lettres par la garde de mon scel. »

« Fait en l’an de notre Seigneur mil deux cent soixante-deux, le premier jour de janvier ».

A cette occasion les habitants étaient tenus de se rendre en armes, en la grande cour du monastère. Les officiers faisaient l’appel des citoyens après quoi ils parcouraient les rues de la ville et le champ de foire. Sur les six ou sept heures du soir, on faisait des recherches pour le maintien du bon ordre, de la sûreté des marchandises. Les habitants devaient tenir, lorsque les officiers passaient, du feu et de l’eau devant leurs portes en signe d’hospitalité. Des condamnations étaient prononcées contre ceux qui ne respectaient pas cet usage ; ainsi le 2 septembre 1448 aux plaids de la maladrerie, plusieurs d’entre eux furent punis pour ne pas avoir tenu de l’eau et du feu en leur logis la veille de la foire.

Une autre foire existait, qui était aussi importante. De nombreux pèlerins et étrangers venaient le quatrième dimanche après Pâques et le lendemain pour la fête des reliques ou des Corps Saints célébrés à l’abbaye. Cette fête se déroulait sur la grève aux portes de l’abbaye. Chaque marchand qui installait sa boutique devait payer six blancs aux religieux qui prétendaient avoir établi la foire et possédaient le droit d’établir des règlements de police, de percevoir des redevances et de rendre la justice. Cette foire disparut pendant la Révolution.

Le marché au XIIIᵉ siècle

Dom Lambert, sous-prieur au couvent de Bonneval au milieu du XVIII siècle, a traduit en partie une charte de Jean de Châtillon, comte de Blois et de Chartres, établie en 1265 (6), elle fait mention des droits du comte sur la ville de Bonneval. L’extrait qui suit nous prouve qu’à cette époque le marché de Bonneval n’avait pas lieu obligatoirement le lundi.

(6) Un vidimus de cette charte se trouve aux Archives nationales.

« Le prévôt du comte lorsqu’il s’agira de transférer le marché à un autre jour en fera publier la remise par qui lui semblera sans qu’il soit fait, ou qu’on doive faire mention du comte, de l’abbaye et des autres sus nommés… ».

Au XII siècle le marché fut florissant. La ville était riche comme en témoignent les maisons en pierre de cette époque : la Lanterne rue Billault, le Dauphin rue Hérisson, l’Écu de France rue d’Enfer (7).

(7) Plusieurs artisans atteignirent même une certaine aisance, un foulon nommé Gaultier vendit aux moines de l’abbaye, en 1230 une maison valant 50 livres. Vingt ans plus tard il leur vendit la moitié d’un puits et une grange pour 110 livres A la foire du Lendit, près de Paris, les drapiers de Bonneval étaient présents avec ceux de Chartres, Nogent-Le-Rotrou et Châteaudun.

Nouveaux désastres aux XIVe et XVe siècles

Par contre, le XIVe siècle fut néfaste pour la cité ; elle eut beaucoup à souffrir de la peste et de la guerre de Cent Ans.

Le virus de la peste venu d’Asie centrale débarque en occident au cours de l’hiver 1347-1348, il est en Ile-de-France au mois d’août 1348. La population est en mauvaise santé, les étés pourris de 1346 et 1347 avaient engendré une grave crise frumentaire, et la peste pulmonaire c’est la peste des mal-nourris.
On eut beau fermer les portes de la ville, plus d’un tiers de la population fut décimé. De plus la région chartraine et bonnevalaise avait été ravagée deux ans plus tôt par les troupes d’Édouard III. Notre cité n’était pas au terme de ses malheurs, en 1357 l’abbaye fut pillée ; en 1360, de nouveau, les troupes d’Édouard III dévastèrent Bonneval. Les Anglais avec à leur tête le Général Robert Knolles pillèrent une nouvelle fois la ville en 1370.
Les fortifications souffrirent beaucoup de ces invasions, notamment celles du faubourg Saint-Michel. La ville devenant très vulnérable, les habitants du fort Notre-Dame demandèrent au Roi de France, Charles V, la permission de faire enclore leur fort. La demande accordée, on creusa une tranchée entre la tour du Roi et les fossés Saint-Sauveur et l’on entreprit la construction de la porte Saint-Roch au bout de la rue du Pavé Neuf (8).
Les habitants du fort Saint-Michel, mécontents de l’exécution de cette trouée présentèrent une requête tellement motivée que les travaux de fortification furent suspendus. Pendant ce temps ils reconstruisirent leurs murs et portes ; ainsi la ville fut en état de résister au siège que Henri V, Roi d’Angleterre, établit en 1420. Ce n’est que grâce à une trahison qu’il entra dans la ville. Un an après, en 1421, le Dauphin (Charles VII) soutint un nouveau siège, il parvint à pénétrer dans le faubourg Saint-Michel après avoir ruiné et détruit toutes les fortifications. L’abbé Léonard de Villebresme obtint de Charles VII de faire rentrer dans la ville les religieux du couvent et les habitants qui avaient fui pendant les deux sièges.

(8) Aujourd’hui rue Saint-Roch.

Cette période très mouvementée doit modifier considérablement la vie dans notre cité. Le marché doit lui aussi souffrir de ces évènements, malheureusement aucun texte ne relate de manière précise l’organisation des Bonnevalais à cette époque.
Durant les périodes calmes du Moyen-Age une intense activité régnait le lundi, la prospérité du marché était renforcée par les séances des tribunaux. Il est à noter au passage que la séance du lundi 26 novembre 1449 fut remise au vendredi suivant, à cause de la nouvelle de la reprise de Rouen par les troupes françaises (par la victoire de Formigny, en 1450, les Français reprirent la Normandie aux Anglais).

Le relèvement après la Guerre de Cent Ans.

Charles VII reprend possession de son royaume, une nouvelle ère de prospérité s’annonce. L’abbaye se relève. L’Abbé René d’Illiers édifie le logis abbatial. Partout on rebâtit, la flèche du clocher de l’église Notre-Dame est refaite, le logis des Coulombs, le Chapeau Rouge sont construits.

Les habitants, dans des assemblées, délibèrent sur les affaires de la ville. Leur autorité est déléguée à quatre échevins. Bien que le droit de justice appartienne aux religieux, ils établissent des règlements de police au sujet de l’emplacement occupé par les marchandises sur le marché. Ainsi le mercredi 15 novembre 1542, lors d’une assemblée générale sous les halles, les bourgeois rédigèrent une réglementation du marché dont voici le texte :

« Aujourd’hui de l’assemblée générale tenue et faite par devant nous, Louis Sureau, licencié es lois, Conseiller du Roy notre Sire, Seigneur du Gros Marbot et de Margonne, juge et garde de la prévôté de Bonneval, pour le Roy notre Sire. Monsieur et Madame les Duc et Duchesse de Chartres, suivant la signification de ce Paire, de notre sentence lundy dernier passé, et affiché au poteau des halles (9), lieu et manière accoutumée par Gaspard Fillon, sergent royal de ladite prévôté et comme son rapport et certificat par écrit nous est apparu sous les halles du dit Bonneval heure de neuf heures du matin par la grande et saine partie des officiers manans et habitants de ladite ville et faubourgs à Bonneval pour songer aviser et ordonner de l’assiette et vente des denrées et marchandises au jour du marché ordinaire de ladite ville à laquelle assemblée étaient présents entre autres honorables hommes et sages Maître Médéric Sureau notre lieutenant général en ladite ville et naguère procureur de ladite communauté, Maître Gilles Coulombs.… (suit une longue liste de noms). »

(9) Les halles étaient situées au bout de la rue du Pavé Neuf. Elles donnaient sur la place du marché aux grains

Le marché de Bonneval était très fréquenté à cette époque, et de plus vingt paroisses étaient tenues de lever leur sel au grenier de Bonneval, ce qui contribuait à l’importance de celui-ci.

Les malheurs des XVIe et XVIIe siècles

Malheureusement cette prospérité ne dure pas ; dans ce XVIe siècle de violences et de persécutions, Bonneval va souffrir des guerres de religion. En 1568, Condé assiège Chartres, Coligny installe son quartier général à Bonneval. Avant de quitter la ville, il met le feu à l’abbaye. La guerre s’éloigne, mais en 1575 les troupes du Duc de Nevers foulent la région. En 1587, nouvelle invasion de Huguenots, Henri Il et son armée, à leur poursuite, dévastent tout sur leur passage. En plus de ces armées à moitié débandées qui saccagent les récoltes, la Beauce souffre des réquisitions de blé très fréquentes. Henri IV, en 1591, ordonne de lever à Chartres 1850 nuids de blé puis, une nouvelle fois, 500 nuids et 163 nuids. Cette masse représentait la presque totalité des ressources locales. Ces réquisitions n’étaient pas sans entraîner des perturbations sur l’approvisionnement des marchés voisins.

Les troubles de la Fronde marquèrent Bonneval. Le Duc de Beaufort séjourna dans la ville le 21 février 1652 et installa son quartier général : ses troupes ravagèrent et pillèrent la région.
Une autre calamité va frapper la cité déjà exsangue, le 21 février 1665 une terrible inondation dévaste tout : les ponts sont enlevés, les maisons détruites, l’eau monte jusqu’à 1,70 m dans l’église Notre-Dame. Les habitants, réduits à la misère, sont sans abri.
La ville ne se relève que très difficilement de tous ces malheurs. La vie reprendra son cours ; des déclarations fournies au terrier de l’abbaye et reçues le 19 août 1686 nous révèlent que la foire et le marché sont bien vivants à cette date.

« Après que l’article 5 a dit que les officiers de la prévôté royale feront à Bonneval l’ouverture de la foire, indiqueront les jours de marché, permettront les farceurs, opérateurs el maitres de jeux, auront dans la ville et sa banlieue l’exercice de la police générale, et qu’ils auront même la police particulière dans les foires et marché durant cette tenue : il ajoute que tout autre police ordinaire et particulière sera exercée par les officiers de l’abbaye à qui elle appartient, ainsi que la réception des Maîtres des Arts et Métiers et notamment celle des Bouchers qui a formé contestation depuis 1631 ».

Au XVII siècle les mauvaises récoltes et l’exportation du blé vers la capitale entraînent périodiquement des disettes. Souvent les habitants s’attroupent pour empêcher l’enlèvement des blés sur le marché. L’autorité municipale est obligée de surveiller les bouchers et les boulangers qui vendent à faux poids et au-dessus de la taxe. Des procès-verbaux sont dressés. La rareté des grains engendre une augmentation du prix du pain. Il est défendu de vendre le blé sur échantillon. Pour taxer le prix du pain, la justice devait connaître le cours des grains. Pour cela le juge nommait des appréciateurs des grains (10) qui, par serment, promettaient de s’acquitter fidèlement de leur fonction. Ils étaient chargés de relever le cours moyen des transactions lors des marchés. Ces appréciations sont souvent des bourgeois de la ville. En période de mauvaises récoltes leur recrutement devient difficile car leur tâche est délicate. À Châteauneuf-en-Thimerais, de 1709 à 1713, le juge doit procéder à des remplacements anticipés, les appréciateurs furent alors des artisans et de simples ouvriers (11).

(11) En 1778, François Gallou et André Lejeune furent nommés appréciateurs des grains du marché de Bonneval (A.M. Bonneval HH2)

Emplacement et horaires du marché

La règlementation de 1543 (12) prescrit les lieux où doit se tenir le marché.

« Dorénavant les denrées et marchandises seront au jour du marché ordinaire mises en lieux et places de ladite ville selon et ainsi qu’il en suit :
C’est à savoir quant à l’égard des bleds, avoines et autres grains qui seront vendus aux lieux et places accoutumés qui est au bourg du dit Bonneval au devant de la maison et hostellerie où pend pour enseigne l’image de Notre-Dame.
Les marchandises de drapperie tout au long des halles sur le-dit bourg.
Le sel au bout et joignant les murs du cimetière de Notre-Dame à commencer au long et derrière le puits du bourg à l’endroit de la maison de Me Mashrin Garnier, à tirer vers l’autre long, à l’endroit où pend enseigne c à d depuis la maison de Michel Boucher jusqu’à celle de Melle Hadiesne.
La marchandise de sabots, pots de terre, balais, seilles et autres assemblages au-dehors et près des halles, tirant vers la maison de la veuve Michel Cartenay (c’est-à-dire sur le Pavé Neuf) et les fruitages joignant et suivant, tirant vers la porte St-Michel qu’on appelle présentement la porte St-Roch
L’étape des vins, cidres et autres breuvages encore et joignant et au-dessus à commencer par le coin d’une muraille étant à présent au-devant de la porte de la maison du four à ban et de Gilles Chaufor à tirer vers la porte St-Michel.
Les bêtes chevalines et tout autre bestial au carrefour de devant le presbytère de Bonneval Notre-Dame tirant vers la place du Fief Isaac sans entrer dedans la ville plus avant que le puits d’auprès de la maison de deffunt Louis Guesnault. »

(12) Marcel Couturier. La fixation des prix du grain et du pain à Châteauneuf-en-Thymerais 1692-1741 (Histoire locale Beauce et Perche, n°3, 1961)

Le presbytère de Bonneval, c’est-à-dire de Notre-Dame, était pour lors dans la maison qu’on appelle la grande école et c’est de là que la rue où elle est située est encore appelée la rue des Prestres.

« Tout bois à chauffer, mirain, charbon et autres semblables marchandises au bourg de la grève depuis l’endroit de la maison de la […] tirant vers la porte de ladite grève et l’abbaye dudit Bonneval sans entrer plus dedans de ladite ville n’y sur la rue d’Hérisson, suivans jusqu’au coin de la maison de Jean Drouët, cuisinier.
Et partant enjoignans et faisans commandement à toutes personnes aiant bois, fumiers et toutes autres choses et empêchement es lieux et places sus dites. »

Depuis la construction de la nouvelle enceinte, séparant le fort Saint-Michel du Fort Notre-Dame, ce dernier étouffe un peu. Le cimetière avoisinant l’église Notre-Dame prend beaucoup de place. En 1724, le curé Gilles Boeste voulut le déplacer, pour en faire un marché. Pour cela il envisageait de détruire la chapelle Saint-Jacques qui avait souffert à plusieurs reprises de la foudre, et, à son emplacement on aurait construit un nouveau cimetière. Mais ce projet de Gilles Boeste fut contrarié par les habitants de Saint-Jacques qui ne voulaient pas la suppression de leur paroisse.

A cette époque, le marché commençait de bonne heure le matin et finissait tard le soir. Ainsi en 1760, les marchands de blé se plaignent que le marché débute trop tard ce qui les faisait rentrer à la nuit tombante, cela occasionnait des risques, obligés qu’ils étaient d’emprunter des routes peu sûres. Les mendiants et les vagabonds se transforment souvent en brigands, ils attaquent les marchands sur les routes peu fréquentées. Une autre peur assaille aussi tous ces gens qui rentrent du marché à la nuit : le loup. Même si la mâle beste est plus présente dans la tête des paysans qu’au coin de chaque bois, il n’en est pas moins vrai que l’on retrouve de temps à autre, dans un champ, un enfant ou un pauvre homme déchiqueté par un loup. La bête du Gévaudan et la Beste d’Orléans hantent ce XVIIIe siècle. (13).

(13) Paulette Couturier. Bulletin de la Société Archéologique d’Eure-et-Loir, n°94, 1983. Un des derniers loups d’Eure-et-Loir fut abattu dans les bois de Thiville près de Châteaudun, le 15 août 1900.

Le prévôt royal, le sieur Belet, par une ordonnance du 20 octobre 1760, avança l’heure du marché aux blés à onze heures. L’heure d’ouverture du marché à la volaille et des denrées était fixée à huit heures.

Le bailli et le procureur fiscal de l’abbaye, offensés par cette ordonnance, disant que le prévôt outrepassait ses droits, défendirent d’acheter avant onze heures, mais ils n’eurent pas gain de cause. Le prévôt par une nouvelle ordonnance maintiendra l’heure d’ouverture du marché aux blés à onze heures.

Taxes et règlements sanitaires

Dans le document du 15 novembre 1542 il n’est point fait mention du marché à la volaille, du beurre, du gibier et des œufs. Il semble que la perception de droits sur ces produits ne remonte qu’au XVIIIe siècle. Après 1739 on faisait payer trois deniers pour chaque personne qui y vendait ces denrées. Les moines eurent beaucoup de mal à établir ce droit nouveau. La première fois que leur commis se présenta dans le marché pour le percevoir, il ne put rien obtenir de ce qui que ce soit. Les moines durent lui prêter main forte. Ils allaient de panier en panier, la craie à la main, marquant ceux qui payaient et essayant d’arracher les paniers aux récalcitrants.

Un procès de 1768, entre l’abbaye et la ville de Bonneval, en présence du nommé Boucher aussi appelant, nous donne quelques informations sur les droits des moines

« de tirer loyers et rétributions des places, boutiques et étalages étant sous la halle et boucherie de Bonneval dont l’abbaye a le domaine et la propriété ».

A Bonneval, faute de pâturage, les viandes de boucherie sont rares. La chair de porc forme l’aliment du peuple. Cette viande doit être soumise à l’inspection du juge ordinaire des lieux, ainsi que les autres comestibles.

« La chair de porc, par la sujétion fréquente à être ladre et de mauvaise qualité, (le juge ordinaire de lieux) a même exigé, pour prémunir le public contre danger qu’il y aurait de s’en nourrir, une précaution qui lui est particulière, c’est dans chaque endroit tant soit peu considérable où il s’en débite, l’établissement d’un Officier de police nommé Languayeur, préposé pour visiter la chair de tous les porcs qui s’y achètent ou débitent, pour marquer ceux suspecter de lèpre ou ladrerie, afin de ne les détailler au public qu’après salaison, et pour mettre en pièces et faire jeter les viandes de ces animaux qui se trouveraient trop gâtées et corrompues ; et cet Officier a l’attribution d’un droit pécuniaire par chaque porc qu’il visite (14).
L’Abbaye de Bonneval se réclame de ces « droit et maîtrises de languayage et de charcuterie ». De cette nouveauté sont à Bonneval les inconveniens les plus préjudiciable au public. D’un côté, ces deux charcutiers ne demeurant assujettis qu’à leur propre contrôle n’ont acheté, dans les marchés voisins, pour en faire le débit à Bonneval que des porcs viciés et de mauvaise aloi, qu’ils avaient par cette raison au plus bas prix… D’un côté les deux mêmes fermiers de l’abbaye abusant de leur prétendu droit exclusif ont mis à cette viande de charcuterie, quoique d’inférieure qualité, un prix du quart en sus plus fort qu’elle ne se débite aux lieux circonvoisins ».

(14) Procès entre l’abbaye et la ville de Bonneval 1768 – A.M. Bonneval FF6 Cet officier existait au bailliage de Dunois à la même époque. (B 11944).

Le XVIIIe siècle

L’hiver 1709 fut particulièrement froid : le jour des Rois, il tomba un pied de neige, il gela fort jusqu’au 25 janvier (15). On dut couper les vignes au pied, toutes les récoltes furent perdues. Les animaux domestiques périrent, la misère s’installa. Le prix des denrées augmentèrent, le setier de blé doubla en deux mois. Pour éviter la famine on sema du blé de mars, mais il ne réussit pas ; on sema de l’orge, qui, sur les marchés valut le double du froment. Le gouvernement ordonna que l’on recense les quantités de grains. On tenta de réapprovisionner le marché avec des grains de 1708 ; des importations de blé du Perche et de Bretagne désamorcèrent la spéculation. On suspendit les exportations de grains vers l’étranger jusqu’en 1715.

(15) A. Lecocq. L’hiver de 1 709 dans le pays chartrain – Chartres, 1859, in-8°

La récolte de blé de 1751 fut très mauvaise ; l’année suivante on craignit une famine à Paris. Le setier de blé valait alors 22 livres. La pénurie s’installait, le prévôt reçu des ordres afin d’obliger tous les particuliers qui voulaient vendre du blé de le porter en sacs au marché. Il fut alors interdit de le vendre sur échantillon, on ordonna même à tous ceux qui en avaient en grenier, et aux laboureurs des environs, d’en exposer les lundis et aussi les jeudis au marché et ceci pendant quelque temps. Cette situation fut à l’origine d’un petit marché le jeudi pour les menues denrées, mais il ne prospéra jamais et disparut rapidement.

Toutes les rivalités entre prévôts et baillis, moines et marchands, ne font souvent qu’aggraver la misère du peuple. Si la guerre ne fait plus rage, la fureur du ciel vient accabler les pauvres gens. Ainsi en juillet 1788, un terrible orage ravage la Beauce et détruit toutes les récoltes. L’hiver 1788-1789 est particulièrement rude ; la pauvreté et la famine s’installent, les impôts sont lourds, la colère monte, les cahiers de doléances résumeront une partie de ces misères.

© Société Archéologique d’Eure-et-Loir (SAEL). NS 7, 1986-1.

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