Daniel Jalmain. Propos sur la mort de Hugues Capet.
Les publications comme celles de la SAEL sont aussi le lieu de polémiques entre chercheurs. Ces affrontements cordiaux introduisent un doute salutaire et une distance critique indispensables.
La question du lieu où est mort Hugues Capet en fournit un bon exemple. Ces deux articles, celui de Daniel Jalmain et celui de François Carré (extraits), font écho à celui, diffusé précédemment, de Maurice Jusselin.
Bonne lecture.
Michel Ferronnière, Président
Michel Huetz, Secrétaire général
Juliette Clément, Directrice de Publication
Célia Sovieni, Secrétaire
Les circonstances et le lieu du décès du roi Hugues Capet sont relatés par deux textes très laconiques, l’un écrit par le moine Richer de l’abbaye de Saint-Remi de Reims, au moment de la mort du souverain, l’autre, postérieurement, par le moine Hugues de Fleury (St.-Benoit-surLoire). Le premier, fervent admirateur de Gerbert, se piquait d’être un lettré et il rédigeait sa Chronique en s’inspirant de Salluste. Par miracle, son texte original a été retrouvé en 1833 à la Bibliothèque de Bamberg. La ligne concernant la mort du roi fait partie de quelques notes rajoutées par l’auteur sur le 57ᵉ folio de sa Chronique qu’il n’a jamais publiée. On pense qu’il dut quitter Reims au moment de la disgrâce de Gerbert. Celui-ci se réfugia auprès de l’empereur germanique Othon.
Nous n’avons pas de preuves que Richer se serait, lui, réfugié à Chartres.
La note en question est brève : HUGO REX PAPULIS TOTO CORPORE CONFECTUS IN OPPIDO HUGONIS JUDEIS EXTINCTUS EST.
En 1839, Pertz, l’éditeur du manuscrit de Bamberg traduisit : Le roi Hugues, le corps tout couvert de pustules, mourut dans son château (par la faute) des Juifs. Il s’agissait, selon lui, de médecins juifs. Sa traduction un peu libre (il manque le « ab » Judeis, ce qui étonne sous la plume scrupuleuse de Richer) fut acceptée pendant plus d’un siècle. Elle ne contredisait pas la Chronique de Hugues de Fleury qui faisait mourir le roi à Melun dans la onzième année de son règne. Il ne faut pas trop « chipoter » cette onzième année. Avec le recul du temps, le chroniqueur a pu se tromper d’un an et il ne faut pas, pour autant, mettre la localisation à Melun en doute.
Ce fut cependant le cas lorsque Maurice Jusselin, archiviste à Chartres, découvrit un lieu-dit « Le Juif » sur la commune de Prasville, à l’emplacement d’une villa antique. Une villa « Judeis » était mentionnée sur des Chartes carolingiennes, en pays chartrain. Merlet dans son dictionnaire topographique d’Eure-et-Loir avait noté « Le Juif » hameau détruit de la commune de Prasville. C’était aller un peu vite en besogne que de relier le tout aux « Judeis » du manuscrit de Bamberg. C’est pourtant ce que fit allègrement l’historien Blumenkranz, il y a une trentaine d’années. Le toponyme « Le Juif » ou « Les Juifs » est assez peu commun mais je pense que Blumenkranz se serait montré plus circonspect s’il avait eu connaissance d’une autre villa romaine au lieu-dit « Le Juif » sur la commune de Ruan (Loiret) et surtout s’il avait relevé, comme moi, en étudiant la carte d’État-Major, un hameau « Les Juifs » près d’un « Château de la Motte » sur le territoire de Vitry-aux-Loges, ancien domaine capétien.
A tout prendre ces « Juifs » de Vitry paraissaient meilleurs que les autres… Le hic, c’est qu’on n’est qu’à quelques lieues de St.-Benoit-sur-Loire et que Hugues de Fleury se serait montré vraiment ignorant en faisant mourir le roi Hugues à Melun alors qu’il se serait éteint à deux pas de son abbaye…
Le mérite de la découverte de Jusselin, reprise par Blumenkranz et d’autres historiens, c’est qu’en innocentant les médecins juifs inventés par Pertz elle mettait en évidence un lieu-dit « oppidum judeis », forteresse élevée par Hugues, semble-t-il. Certes, Prasville a bien un toponyme intéressant mais « Le Juif » et non « Les Juifs ». Monsieur de Vienne remarque que dans la contrée on dit « Juy », en « Juy », « le chemin de Juy » et non Juif. Peut-on l’assimiler à un Jouy ? En tout cas, il s’agit bien de l’emplacement d’une villa romaine qui fut l’objet d’un sondage à la fin du siècle dernier. La photographie aérienne à basse altitude permet d’en discerner les éléments, assez complexes du reste.
VILLA certes mais pas oppidum. On ne peut guère discuter de la valeur du terme « oppidum » sous la plume de Richer. On peut voir sur le manuscrit de Bamberg un souci d’exactitude dans les corrections de l’auteur, notamment dans l’emploi des termes d’oppidum et de castrum. On constate également qu’un même lieu, par exemple Chausot près d’Épernay, est qualifié à la fois d’oppidum, de castrum et de munitio. Il faut donc se contenter de prendre oppidum dans le sens de « retranchements » et ne pas partir à la recherche d’une Gergovie ou d’une Alésia. Ce qui en plaine de Beauce serait assez difficile.
Ce type de camp retranché n’existe pas à Prasville même, ni alentour. On ne voit pas non plus dans le secteur, ni dans le sol, ni dans la toponymie trace d’un quelconque point fortifié par Hugues, donc à la manière du temps : mottes et fossés. Rien de cela n’apparaît. Villas romaines au lieu-dit « Le Juif » de Prasville, au Petit Teillay : oui, traces de substructions à Moisville et près de la fosse Brigau, oui aussi. Mais n’allons pas au-delà.
La fosse Brigau1 doit vraisemblablement son nom à son propriétaire (c’est souvent le cas des fosses, des remises, des bois). La rue du Bourguignon ne conduit pas plus à un château que la rue de Verdun, à Voves, ne mène à un oppidum. En général le chemin des ânes est en relation avec un moulin. Les levées de terre défensives impliquent un fossé extérieur, on ne peut les confondre avec les « sommiers » ou « tournailles » séculaires des limites de champs. Enfin la Conie n’a rien à voir avec « Konig », pas plus que « Villereau » n’est une villa « royale ».
Je crois que la solution de in oppido Hugonis Judeis peut être cherchée dans Richer lui-même (en remontant quelques chapitres dans sa Chronique) et dans Hugues de Fleury, sous l’éclairage d’une des dernières chartes du premier Capétien et d’une réflexion de Raoul Glaber. On renoue, les médecins mis à part, avec la tradition de Ferdinand Lot, en n’utilisant strictement que les textes de l’époque.
Hugues de Fleury écrit que le roi est mort à Melun. Son fils Robert y décéda également. Richer note qu’il s’éteint, atteint vraisemblablement de la variole, le nom de cette maladie n’existait pas encore, dans un château qu’il avait lui même construit au lieu-dit « Judeis ». Richer n’est pas dans le vague, au contraire il précise, comme il le fait d’habitude, et si l’on se réfère à Du Cange, on constate que « Judeae », les juiveries désignent un quartier juif. Hugues et Bouchard de Vendôme aidés de contingents normands ont assiégés Melun en 991.
1 Le minitel donne plusieurs BRIGOT et BRIGAUD en Eure-et-Loir et dans le Loiret. Il y avait encore une famille BRIGOT à Prasville, il y a quelques années. Nous trouverions autour de Voves, parallèlement, la fosse POIRIER, la fosse MARTIN, la fosse BARILLET, les pièces FOURNIER, l’Acacia AMEDEE.
Un livre récent des Clayettes « Melun pas à pas » trace l’historique des principales rues de Melun, notamment de la rue de la Juiverie, actuellement rue René-Pouteau. Baptisée rue des Droits de l’Homme sous la Révolution, puis rue de France sous Vichy, la rue de la Juiverie fut créée entre la Pointe et la porte Saint-Jean sur des terrains vendus par les Hospitaliers de Saint-Jean. Mais les Juifs sont mentionnés dans ce quartier bien antérieurement, notamment dans un acte de 1186. Leurs biens furent saisis par Philippe-le-Bel.
Hugues avait établi un camp retranché2 sur la rive droite de la Seine tandis que les normands campaient sur l’autre rive. Le siège n’a pas été une partie de plaisir et on peut sans danger mettre ses conséquences en relation avec la charte numéro 10 signée par le roi à Compiègne, dans laquelle il s’engageait vis-à-vis de l’archevêque de Sens (qui était loin d’être son ami…) à remettre en état l’église St.-Étienne et sur la rive droite, St.-Pierre au Mont. La juiverie de Melun n’est citée dans les textes que quelques siècles plus tard mais elle devait y être fixée depuis longtemps déjà. Ce que je crois c’est que lorsque Richer rédige sa note, il sait comme tout le monde que le roi Hugues est mort à Melun.
Ce qu’il note, c’est que le roi n’est pas mort dans le castrum de la ville royale mais dans l’oppidum extra muros qu’il avait édifié quelques années auparavant.
Et je reprends alors la remarque faite par Raoul Glaber au roi Robert vieillissant quand celui-ci voit son fils entrer en rebellion contre lui. Le vieux conseiller lui remet en mémoire sa propre attitude vis à vis de son père, Hugues, qui n’admettait pas la liaison de Robert avec sa cousine, la jolie veuve de Blois…
Serait-ce faire preuve de trop d’imagination que de penser que le roi Robert refusa à son père, le roi Hugues, l’accès au château royal quand, atteint du terrible mal, celui-ci se présenta aux portes de la ville ? Et qu’il le laissa s’éteindre dans l’oppidum des Juiveries ? L’ensemble se tient…
2 Du Cange et Niermeyer donnent aussi à oppidum le sens de suburbium fortifié. On pourrait donc traduire ainsi Richer : « dans l’enceinte du faubourg, à la Juiverie de Hugues », Hugues étant plus vraisemblablement Hugues le Grand. Le camp de 991 serait alors extra muros, sur la colline de l’abbaye de Saint-Pierre (?).
François Carré
Nouveaux propos sur…
un des lieux où n’est pas mort Hugues Capet
(extraits)
Toujours Hugues Capet
En septembre 1996, au cours d’une manifestation populaire organisée à l’occasion du millénaire de la mort du roi, fut installée une stèle dans le voisinage du lieu supposé du décès.
Cette manifestation avait été précédée par une polémique entre érudits, les uns soutenant la localisation dans la région de Prasville, d’autres n’y croyant pas. Une étude complète m’a semblé indispensable et j’ai demandé à François Carré s’il acceptait de la mener à bien.
Une année après voici l’exposé qui en résulte. C’est un texte rigoureux établi par un érudit bien préparé à ce travail. F. Carré y reprend la lecture des sources, établit le sens des mots par une large enquête dans les documents de l’époque, recherche, et trouve, dans les archives locales ce qui pouvait avoir échappé à ses prédécesseurs. Au fil du travail il enchaîne avec une rigueur exemplaire les faits certains et ceux qui sont seulement possibles.
Pour aboutir à la conclusion qu’il est infiniment peu probable que Hugues Capet soit mort à Prasville. À moins de découverte nouvelle dans les archives, ce travail devrait clore la polémique. Au cas où certains voudraient la reprendre souhaitons qu’ils se situent au moins à ce niveau de qualité méthodologique et de maîtrise linguistique.
Marcel Couturier
[…]
Le dossier
Pertz découvre en 1833 dans la Bibliothèque publique de Bamberg (Allemagne) le manuscrit d’une Histoire de France de 888 à 995 (998) en quatre livres, due à Richer, moine de Saint-Remi de Reims, disciple de Gerbert d’Aurillac qui, en une note in fine, prise « sur le vif » si l’on ose dire, mentionne la mort d’Hugues Capet (dont les principaux épisodes du règne sont largement évoqués, ce qui fait désormais de Richer la principale source historique pour cette période) in oppido Hugonis judeis.
Ferdinand Lot propose en 1903 d’identifier le lieu de décès d’Hugues Capet à Melun (Études sur le règne d’H. C., p. 184 n. 2) grâce à une indication d’Hugues de Fleury. En 1937, R. Latouche, dans son édition de Richer, n’est peut-être pas très convaincu : il écrit sans citer Melun « Quant au « château » de Hugues M. Lot s’est employé à l’identifier dans ses Études sur le règne d’H. C. ».
En 1958 B. Blumenkranz identifie Judeis comme un toponyme : « dans un lieu nommé « Aux Juifs », et non pas comme on le répétait après Pertz, un nom commun : « par (la faute) de(s) juifs ». Il relève en outre que Charles le Chauve avait donné à un certain Germond une villa quae vocatur Judeis in Pago Carnotensi, donation connue par sa confirmation, en 886, par Charles le Gros, et que Merlet mentionne un ancien lieu habité « Les juifs » à Prasville, canton de Voves en Eure-et-Loir.
P. Gasnault reprend et soutient l’hypothèse en 1961, montrant notamment qu’une partie de la villa était entrée dans le domaine de Saint-Martin de Tours dont Hugues fut abbé laïc, Maurice Jusselin lui donne en 1963 la caution de son érudition locale.
Cette identification devient alors la nouvelle vulgate. Edouard Pognon par exemple écrit sans réserve en 1966 : « En l’automne 996, il se trouvait dans un domaine dit « des Juifs », qui appartenait à son abbaye de Saint-Martin de Tours, quand il contracta une maladie éruptive, probablement la variole. Il mourut le 24 octobre », et Yves Sassier, en un excellent livre par ailleurs, publié l’année du « Millénaire capétien », traduit ainsi Richer : « Hugues (…) s’éteignit dans son château des Juifs » et précise « Les Juifs est un lieu-dit situé en Beauce non loin de Chartres ». Le Dictionnaire d’Histoire Universelle de Michel Mourre (2 vol., Paris, PUF 1968) donne « Hugues Capet (vers 941 Les Juifs près Chartres 24 X 996 » ; le détail est omis dans le Petit Mourre (P., Bordas 1995).
Dans la fièvre (« le bruit et la fureur » écrit B. Robreau) de la célébration du millénaire de la naissance d’Hugues Capet, Raymond Bouquery et Philippe Sassier entreprennent la défense et illustration de cette hypothèse d’une fin beauceronne du premier capétien, qu’ils présentent à la Société Dunoise d’Archéologie le 5 12 1987. Daniel Jalmain, dans une brève mise au point, que Bouquery et Sassier perçurent incompréhensiblement comme « incivile » « dans une revue réputée sérieuse » (il s’agit du Bulletin de la SAEL…), montrait combien l’hypothèse de F. Lot, à défaut d’être formellement prouvée, est satisfaisante, et combien l’identification en un site beauceron du lieu mentionné par Richer est, quant à elle…, aérienne.
Nos auteurs reçoivent le soutien d’un autre amateur d’histoire locale, Christian Matthieu de Vienne, actuel châtelain de Prasville, qui leur ouvre des archives privées de la seigneurie, mais note toutefois que l’étude « des toponymes voisins » (de Prasville et Viabon) » est le point faible de leur exposé » et que « pas plus que la découverte d’’une communauté juive, les toponymes ne peuvent aider à résoudre l’énigme du moine Richer ».
Dans un long article, publié à l’occasion du cinquantenaire de la Société Dunoise, Bouquery et Sassier (1989), accumulant les citations érudites et les arguments les plus variés, tirés tant d’archives modernes que de prospections archéologiques aériennes (Alain Lelong) ou de surface et de rapprochements toponymiques parfois hardis, dressent un bilan de leur quête et s’emploient à établir la localisation précise du décès d’Hugues Capet au lieu-dit le « Petit Teillay » en Viabon, au Sud de Prasville. Hypothèse que Raymond Bouquery reprend et développe seul en 1991 dans de nouvelles directions imprévues où se croisent les druides carnutes et les Alains.
Ce persévérant effort aboutit, à l’occasion cette fois du millénaire de la mort d’Hugues Capet, à la pose, le 29 09 1996, d’une plaque commémorative, non au Petit Teillay, mais à Genonville en Voves. Cette pittoresque officialisation d’une déjà vieille hypothèse condamne à examiner avec quelque attention les arguments de ceux qui, dans un bel enthousiasme, lui donnèrent localement une seconde jeunesse… […]
La mort d’Hugues Capet
Le seul texte contemporain est la note de Richer (IV, 108) Hugo rex papulis toto corpore confectus in oppido Hugonis Judeis extinctus est, traduit par J. Guadet (1845, Soc. Hist. Fr.) : « Le roi Hugues le corps tout couvert de pustules succombe par la faute des juifs dans un de ses châteaux », et par R. Latouche (1930, 2, 331) : « Hugues, qui avait le corps tout rempli de pustules, fut tué par des juifs au château de Hugues ». Nous proposons, pour suivre au plus près le texte, de traduire : « Hugues, le roi, le corps tout couvert de pustules, s’est éteint dans l’enceinte des Juifs d’Hugues », c’est-à-dire dans une « juiverie », un quartier juif qui n’est pas encore réservé, pas encore un ghetto, constituant un bourg suburbain fortifié, peut-être par un Hugues, sans doute celle de Melun (Seine-et-Marne). […]
Le terroir de « Juifs » sis « en pays chartrain »
Nous possédons quelques jalons de l’histoire de ce terroir depuis le IXᵉ siècle.
Il existait à l’époque carolingienne sur l’actuel terroir de Prasville une villa dont le nom pouvait se transcrire en latin par « Judeis », possession en 886 d’un nommé Germond qui l’avait reçue de Charles le Chauve, avant 877, dont un quart devint la propriété d’une nommée Giberge, qui en fit don dans le cours du Xᵉ siècle (avant 972) à Sainte-Croix d’Orléans, qui n’appartenait donc pas (tout au mieux plus) au domaine royal en 996. Il est bien entendu exclu qu’il s agisse de la reine épouse de Louis IV, mère de Lothaire, ce qui n’eût pas manqué d’être mentionné, tout comme il est exclu que Germond ait été quelque chef normand devenu comte de Chartres.
Cette dame Giberge ou Girberge ne nous est connue que par le document de Sainte-Croix, elle est dite quedam venerabilis matrona nomine Girberga ; elle a donné à la cathédrale, outre le quart de la villa quae vocatur Judeis, in Pago Carnotensi, son aleu (pleine propriété) d’une villa qua vocatur Gavasia (peut-être la Gervaise en 45 Chilleurs-au-bois, domus/ terra de Gervasia 1176, 1197 (cf cartulaire Sainte-Croix pp. 167, 170, 174, 200) et une terre, avec des prés et de la forêt à glandaie, dans une autre villa quae vocatur Suriacus (sans doute 45 Sury-au-bois) in Pago Aurelienensi. Une notable beauceronne, dame Girberga, venerabilis certes, ne fût-ce que pour sa générosité envers Sainte-Croix, mais sous la signature de Lothaire quaedam matrona pour désigner la reine sa mère À la même époque l’abbaye chartraine de Saint-Père-en-Vallée recevait de Ledgarde veuve du Thibaud Comte de Chartres d’importants biens en Vexin (978), et de deux vénérables dames, sans doute ses parentes, tout ce qu’elles tenaient d’un nommé Othbert in villa quae communi vocabulo Probata villa dicitur, à Prasville (979) (cf. Cartulaire de Saint-Père 1, 66). Le cadastre du siècle dernier indique encore un champtier du « clos Saint-Père » au sud de Prasville, aboutant au Nord sur le « Bas de Monaille » (rien à voir avec « monnaie » ; à la rigueur avec des « moines », mais plutôt sans doute Molinalia « terre du/es moulin(s) »).
Girberge était sans doute de la famille de Germond. Germond lui-même ou un de ses successeurs avait sans doute fait don d »une partie de la villa, peut-être les trois quarts restants à Saint-Martin de Tours (cf Gasnault).
Nous ignorons tout du destin de ces terres durant au moins trois siècles. Le quart de Girberge comme les trois-quarts restant furent certainement démembrés, comme l’ensemble des villas carolingiennes, sans doute assez tôt (voir par exemple les domaines de Saint-Germain-desPrés qui ne possède pratiquement plus rien au XIIᵉ siècle de la plupart des villas inventoriées par le Polyptyque d’Irminon).
Un chanoine mâtinier de N.-D. de Chartres y possède quelques biens qu’il lègue au chapitre. Celui-ci y possède en 1300. Divers propriétaires y détiennent des parcelles à l’époque moderne. Sainte-Croix semble n’y plus avoir que 4 setiers à la fin du XVIIIe siècle. […]
Le terroir de « Juif(s) » en Prasville-Viabon-Voves
Le texte du Polyptyque de N.-D. que R. Bouquery et ses amis ont négligé et les précieux documents postérieurs qu’ils ont collationnés permettent de cerner le petit terroir qui porta seul ou en complément le nom de (le/les) Juif (s). Nullement une « région » (sic) « beaucoup plus importante qu’un champtier, un temps Seigneurie » mais un espace de l’ordre de deux kilomètres carrés entre « Moisville » (Mouaville), « le Parc » et « le Fond du Juif ».
Il est nécessairement limité par les terroirs, avec habitat, de Moisville, Prasville, Teillay, Genonville et Soignolles.
Le texte de 1525 cité par R. Bouquery ne permet absolument pas d’étendre le terroir de « Juif(s) » jusqu’au Petit Teillay. Mathurin de Villereau tient du Seigneur de Meslay-le-Vidame d’une part « 5 mines de terre au terroir de la Haie abutant le chemin de Mérouvilliers à Voves », ancien chemin qui passait effectivement au « Petit Teillay », et d’autre part (« item ») « 5 minots de terre abutant sur les terres des Juifz », qui ne sont donc pas « aux Juifs ». De même en 1300 le chapitre dispose aux Juifs, outre ses biens propres, de la moitié de la dime (pour une valeur de deux muids environ) due par les domaines de « Teillay » et « Petit Teillay », de Tellayo le Bavout et de Tellayo Parvo, pour des terres qu’eux aussi exploitent « aux Juifs », c’est-à-dire hors de leurs terroirs propres. La limite des terroirs de Teillay et de « Juif (s) » est indiquée par l’ancien cadastre de Voves (cf. Bouquery 1989).
Bien entendu le fait de tenir en second, sinon tiers, ordre d’hommage 5 mines et 5 minots de terre, de l’ordre de 180 ares, ne saurait se traduire par une « suzeraineté des Villereau sur la « région » qui nous intéresse ».
De même le texte de 1774 concernant la Seigneurie de Prasville n »indique pas le moins du monde que « Juifs » ait jamais constitué une seigneurie, mais seulement que les seigneurs de Genonville y exerçaient des droit féodaux… comme dépendant d’une terre de 22 mines attachée au moulin à eau (?) de Viabon. Les autres extraits (1795) précisent l’ampleur de cette part du terroir de Juif(s) : « 1 mine au terroir lieu-dit le bois de Juif », « 3 boisseaux à Juif au lieu-dit la Pierre à Jeannet tenant aux masures de Juif », « 8 setiers de terre en hache au-dessous du Parc au lieu-dit « La Barrière de Juif » et « le Grand Bois de Juif » qui va de l’angle du Parc aux alentours des « masures de Mouaville », dont subsistait une part dite « le grand-Bois » vers Mouaville au cadastre de 1843, et dont le « Buisson de Juy » constitua peut-être l’ultime vestige une mine, trois boisseaux et huit setiers de terre, à peu près 4 hectares, plus un « grand » bois de quelques hectares (50 au grand maximum)… pas le duché de Bourgogne, ni même l’panage des Rohan !
Ces textes fixent un certain nombre de limites du terroir qui nous occupe, dont l’une devait même être matérialisée ‘la barrière de Juif’, sans doute une issue vers « le Juif » de la limite du Parc.
Le Polyptyque de N.-D. permet de préciser le réseau de voirie vers l’an 1300 et de localiser un certain nombre des terres du chapitre aux « Juifs » grâce à des toponymes qui ont survécu, ou du moins figurent au cadastre du XIXᵉ siècle. Il y avait un chemin de Teillay à Prasville, un des « Juifs » à Prasville et un des « Juifs » à Moinville, plus un « chemin de Moinville », qui n’est sans doute pas le même, probablement de Moinville à Prasville.
On peut ainsi préciser l’emplacement du « village des Juifs » : selon toute probabilité à l’embranchement des chemins « des Juifs » à Moinville et des Juifs à Prasville […]. Le terroir était encadré par ceux de Prasville, Moinville, Soignolles, Genonville, Petit-Teillay.
Ce précieux texte fournit sans doute également une solution au problème toponymique de la rue du Bourguignon à Genonville (en Voves) qui se dirige vers les champs à l’ouest du village, vers « les Juifs ». Le chapitre possède une terre prope Judeos (et donc pas « aux Juifs »…) « dans le champtier dit Chambefray en deux pièces : une jouxtant la terre de Tenot relieur, l’autre celle de demoiselle Bourguine (damicelle Burgine). Il y avait donc vers 1300 une famille du nom de Bourguin, au cas régime Bourguinon qui possédait de la terre prope Judeos. Cet anthroponyme est évidemment apparenté au germanique burg ; un nommé Burgon est cité par le Cartulaire de SaintPère (476).
Il y avait à « Juifs » en 1525 des « masures », de même à « Mouaville », c’est-à-dire de petites constructions de peu de valeur habitées, ou l’ayant été, ou non, peut-être alors de simples bâtiments agricoles : une grange, un abri à moutons… éventuellement ruinés.
En 1270, « Juifs » devait être un village, héritier de la villa carolingienne, où vivaient les deux « écuyers » Gohier et Guillot, sans doute gens du seigneur du Puiset, et les « hommes et hôtes de l’église de Chartres sur lesquels « ils avaient à prendre menues ventes et deniers, poules, pain et autres choses ». Bouquery indique malheureusement sans date ni référence, qu’il y aurait eu à « Juifs » une prêtrière. […]
L’archéologie
Il y a à Prasville vers le « Fond du Juif » les traces d’une villa gallo-romaine, et rien d’autre, spécifiquement pas la moindre trace d’une fortification ou d’un établissement quelconque du Haut Moyen Age.
Il y a à Viabon, lieu-dit « le Petit Teillay », les traces d’une villa gallo-romaine superposée à des structures plus anciennes, fossés et fosses, et rien d’autre, spécifiquement pas la moindre trace d’une fortification ou d’un établissement quelconque du Haut-Moyen Age. R. Bouquery y voit, parmi nombre d’« habituels moutonnements de sommiers de champtiers », dont « (s)a longue pratique (…) des terrains de la région (lui) permet d’affirmer » qu’elles sont distinctes, des « traces » de « levées de terre » constituant un « enclos paraissa(n)t composite » » qui « suggèrent un système assez cohérent, probablement d’origine très ancienne », à propos desquelles Alain Lelong observe pertinemment « aucune des levées de terre mentionnées par M. Bouquery n’a provoqué de réactions phytologiques des céréales ce qui laisse à penser qu’elles ne sont pas accompagnées de fossé comme le sont la plupart des levées défensives » ; pas trace d’un oppidum, bien sûr, ni même de la plus modeste munitio.
R. Bouquery avait d’abord correctement reconnu le caractère protohistorique (second Age du Fer ?) de la petite enceinte circulaire interrompue qui apparaît sur les photographies aériennes au Nord des substructions de la villa gallo-romaine. Il revient malencontreusement ensuite sur cette datation évidente, y voyant contre toute vraisemblance une (petite) motte arasée… qui aurait certes l’avantage d’être, enfin…, le seul vestige du haut Moyen Age sur le site. Au fil de ses publications la vision que se fait R. Bouquery de ces vestiges évolue, se précise et s’allège des précautions initiales : en 1993 y serait démontré(e) (sic) l’existence de plusieurs anciens châteaux-forts superposés (!) par dessus des ruines gallo-romaines et des tracés celtiques ». Notons qu’une grande motte, style le Puiset, constituerait un castrum, une motte de cette dimension n’aurait pu représenter, comme celle qui subsiste au nord de la vallée de Monaille, destinée à porter une simple tour de guet, que quelque castellum ou turris voire munitio.
Il y a entre les deux et alentours divers petits bâtiments isolés, sans doute de fonction agricole et d’époque gallo-romaine, dépendances probables de l’une ou de l’autre.
Il y a, on l’a vu, sur Prasville une petite motte castrale, qui n’est ni au « Fond du Juif » ni au « Petit Teillay », et il y eut un château médiéval à Prasville, près de l’église.
Le secteur de Prasville-Voves-Viabon a été occupé antérieurement à l’époque romaine et n’a pas cessé de l’être depuis, comme l’ensemble de la Beauce, voire l’essentiel du territoire français : précieuse confirmation d’une réalité qu’on pouvait soupçonner ! […]
Voirie
Le village médiéval de « Juifs » était desservi et relié au reste de l’univers (Prasville, Genonville…) par quelques chemins, il en était de même de l’exploitation, peut-être hameau, de Petit Teillay – cité en 1300 par le Polyptyque de N. D. ; comme tout lieu habité en plaine ils étaient le centre d’une étoile de chemins, dont plusieurs sont cités par le Polyptyque, souvent encore visibles au cadastre du XIXᵉ siècle : vraiment pas de quoi s’ébaubir. Le secteur de Voves-Viabon-Prasville est évidemment situé entre plusieurs voies antiques : comme tout point de Beauce, de toute plaine de France, voire de l’ancien Empire romain, pris au hasard.
Au terme de cette enquête, déblayés les approximations et les élucubrations, les incertitudes, les rêveries et les délires, nous disposons d’une certitude, de quelques fortes présomptions et d’une évidence
Une certitude : Hugues Capet est mort…
Quelques présomptions. Il mourut sans doute à l’automne 996, en tout cas entre 995 et 998 ; sans doute de la variole ; à peu près quinquagénaire ; il était peut-être déjà un peu fatigué. Il mourut probablement dans un lieu dont le nom pouvait se transcrire en latin comme Milidunum, et qu’on pouvait peut-être dire, à la rigueur, « en Parisis », le plus vraisemblablement à Melun, peut-être ailleurs, dans un lieu où résidaient (ou avaient résidé) des Juifs et où un « Hugo » avait fait réaliser une fortification ou du moins dans un site, urbain, ou suburbain, plus ou moins fortifié, qui dépendait ou avait dépendu de quelque Hugo, et dont le nom pouvait se transcrire en latin comme « Judei(s) » vraisemblablement comme « Hugonis ludeis » à peu près « Jueu(s) Huon ».
Une évidence : sûrement pas à Prasville ou Viabon, ou du moins à peu près aussi plausiblement qu’à Bérou-la-Mulotière, plutôt moins qu’à La Garenne-Bezons ou Bécon-lesBruyères, à peine plus qu’à Arcachon ou Loos-lès-Lille.
Le terroir du village, ancienne villa, des juifs, communes de Prasville et Voves.
Drainage naturel et voirie.
En « J » emplacement probable du village.
Les astérisques signalent les principaux vestiges gallo-romains.
Monogramme royal d’Hugues Capet
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