Les canaux pour la construction de l’aqueduc de Maintenon
Le document ci-dessous est la retranscription d’une conférence organisée par la SAEL le 17 novembre 2023
LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE D’EURE-ET-LOIR
LA MÉDIATHÈQUE DE CHARTRES
“Les canaux pour la construction de l’aqueduc de Maintenon”
Par Jacques Bresson
Genèse du canal de la rivière d’Eure et de l’aqueduc de Maintenon
L’alimentation en eau du château de Versailles
Le château de Versailles de Louis XIII était bien alimenté en eau par des sources issues des collines voisines et par quelques étangs notamment celui de Clagny.
Avec les agrandissements des jardins demandés par Louis XIV, l’alimentation de l’eau devint un problème. Les volumes et débits nécessaires à l’alimentation des nombreuses fontaines et bassins nouvellement créés augmentèrent considérablement. Dès 1664 plusieurs réservoirs avaient été construits et de pompes mues par des moulins à vent et des chevaux élevaient l’eau jusqu’aux réservoirs surélevés alimentant les fontaines par gravité. Mais les spectacles des grandes eaux donnés à partir du 17 avril 1666 nécessitaient de tels volumes qu’un fonctionnement intermittent des fontaines avait dû être adopté et que trois nouveaux grands réservoirs furent construits au nord du château en 1667. Avec les travaux de la première tranche du grand canal, un barrage sur la Bièvre permit de créer l’étang du Val dont les eaux, relevées par pompage sur la colline de Satory, alimentaient les réservoirs de Versailles. L’étang de Clagny risquant de s’assécher, on lui recycla l’eau du grand canal et l’on créa au nord un réseau de drainage des eaux venant du Chesnay et de Vaucresson.
Ces systèmes de pompage, complexes et aléatoires, furent progressivement remplacés en 1677-78 par des réseaux d’alimentation gravitaires constitués de rigoles et d’étangs situés à des niveaux supérieurs à ceux du château ou des jardins. C’est ainsi que furent créés les étangs de Trappes (Saint Quentin), Bois-d’Arcy et de Bois-Robert. Puis on réalisa le réseau des étangs gravitaires dits inférieurs (pour les fontaines situées dans les jardins en dessous du niveau de la terrasse du château). Constitué par les étangs du Trou-Salé, d’Orsigny, de Villiers, de Saclay, ce réseau alimentait, via un siphon de tuyaux en fonte, remplacé en 1686 par l’aqueduc de Buc, le grand réservoir de Gobert (45 000 m3) situé au sud-est du château (actuellement jardin public devant la gare de Versailles-chantiers).
En 1675 la recherche de solutions pour remonter les eaux de la Seine jusqu’à Versailles avait été confiée à Colbert. Après des expérimentations au château de Saint-Germain, l’imposant projet de la machine de Marly avait été défini et sa construction débuta en 1681. Dès les premiers essais en 1684 elle se révéla insuffisante (le tiers du débit prévu), avec une utilisation coûteuse (surveillance et maintenance) et bruyante. Aussi Les eaux de la Seine remontées sur 162m furent utilisées quasi exclusivement pour le château de Marly.
Donc dés 1684 à la demande de Louvois (surintendant successeur de Colbert décédé en 1683), le réseau gravitaire supérieur (alimentant les fontaines des jardins supérieurs) fut créé en alimentant l’étang de Trappes avec les étangs du Mesnil-Saint-Denis (actuel étang des Noës) et ceux de Hollande. Ce réseau avait été complété en 1685 avec les étangs du Perray et de La Tour situés près de Rambouillet. De l’étang de La Tour à celui de Trappes, on construisit 34 km de rivières et d’aqueducs souterrains reliant 15 étangs d’une capacité de 8 millions de m3 alimentés par 200 km de rigoles.
Partant des relèvements très précis effectués par La Hire et l’abbé Picard pour ce réseau ainsi que sur la rivière Eure, Vauban proposa d’alimenter l’étang de la Tour par un canal prélevant l’eau de la rivière Eure en amont de Pontgouin. Ce canal dit de la rivière d’Eure pourrait alors fournir une eau de qualité en quantité bien supérieure à celle récoltée par le réseau des rigoles et étangs. Il devenait alors possible de répondre à tous les besoins en eau du château de Versailles et de ses jardins même en cas de sécheresse comme celle de l’été 1683.
Le canal de la rivière d’Eure
De Pontgouin (niveau 180m) à l’étang de la Tour (niveau 167m) la distance était de 57 km en ligne droite. Mais, compte tenu de la nécessité de suivre les courbes de niveau pour limiter les ouvrages, c’était 75 km qu’il fallait parcourir. Pour le dénivelé de 13 m cela donnait une pente moyenne de 17 cm/km suffisante pour assurer un écoulement régulier. La première partie de ce canal située entre Pontgouin et Berchères-la-Maingot soit 35 km, pouvait être essentiellement creusée en déblai ou sur de faibles remblais pour le passage de petites vallées. Peu après le canal arrivait au « point à rien » (niveau 175 m) là où il devait commencer à s’élever sur des remblais car les terrains naturels étaient alors plus bas que le canal. A 1,5 km une vallée profonde, la vallée des Larris dont le fond était à 36 m sous le niveau du canal devait alors être franchie, puis après 8 km la vallée de l’Eure à Maintenon située 72 m en dessous du niveau du canal constituait la seconde difficulté majeure de ce projet.
Au delà du Hameau du Parc proche de Maintenon, la construction du canal pouvait se faire sans difficultés sur des remblais de hauteurs limitées (5 à 15 m)pour atteindre l’étang de la Tour.
Les projets d’aqueduc pour franchir les vallées profondes
Le projet initial pour franchir ces deux vallées consistait à réaliser un immense ouvrage maçonné de 17 km comportant trois niveaux d’arches pour supporter le canal aux endroits les plus profonds (projet n°1). Devant l’ampleur déraisonnable de ce projet, en raison de son coût et du manque de matériaux, l’ouvrage était remplacé par des remblais lorsque leur hauteur ne dépassait pas 60 pieds soit environ 20 m (projet n°2). Puis encore en raison du manque de matériaux l’aqueduc prévu pour la vallée des Larris fut remplacé par un immense remblai supporté par une grande voûte de 160 m de long et 7,5 m de hauteur totale. L’aqueduc pouvait alors être limité à un ouvrage maçonné de 4,5 km ayant trois niveaux d’arches dans le fond de la vallée à Maintenon (projet n°3) complété par des remblais ne dépassant pas 60 pieds.
En définitive toujours en raison des coûts et du manque de matériaux, les grand remblais des Larris et l’aqueduc de 4,5 km auraient été remplacés par un système de siphons. Réalisables avec des tuyaux en fonte (diamètre 18 pouces env.0,5m ; long. ½ toise env.1m) agencés en quatre lignes parallèles dans des puits et tunnels ou sur des remblais de hauteurs (max. 20m) adaptées aux cotes du terrain. Pour la traversée de la vallée de l’Eure, les 4 lignes de tuyaux auraient été posées sur le premier niveau d’arches de l’aqueduc déjà construites sur 977m de long à une hauteur de 28,5m au dessus de la rivière.
Compte tenu des matériaux de l’époque cette évolution vers des siphons était vouée à l’échec en raisons des problèmes engendrés par les variations thermiques (dilatations gel) et surtout par les pressions hydrauliques (dépassant 4,4 bars dans les tuyaux sur l’aqueduc). Pour des tuyaux de l’époque encore en service alimentant les fontaines de Versailles la pression est limitée à 1 bar ! leur disposition espacée dans des tunnels les protègent des intempéries et permet la surveillance et la maintenance en particulier pour les joints.
Les dimensions du projet de l’aqueduc de Maintenon
Le projet d’ouvrage permettant d’assurer la continuité du canal dans la traversée de la vallée de l’Eure à Maintenon (projet n°3) était un aqueduc monumental dont la partie centrale s’élevait sur trois niveaux. Pour assurer la continuité des écoulements il devait s’élever à plus de 72m au dessus du fond de la vallée.Les plans détaillés de ce projet, repris dans une étude de 1786 du Baron de Marivetz publiée en 1846 dans le Journal du Génie Civil, nous ont permis de calculer les volumes de matériaux de construction nécessaires à la réalisation de cet ouvrage. Les calculs détaillés présentés dans les schémas montrent qu’il aurait été nécessaire de disposer de plus de 1,2 million de m3 de matériaux (pierres briques chaux sable..) pour réaliser cet ouvrage (222 grandes arches et 388 petites) pour parcourir les 4,54 km de la vallée et de ses abords (en limitant à 20 m la hauteur des remblais à l’amont et l’aval).
Compte tenu des difficultés d’approvisionnement et de transport de tels volumes de matériaux, on comprend que le projet ait évolué vers la réalisation de siphons permettant de réduire les hauteurs des ouvrages. Ainsi à Maintenon l’aqueduc avait été construit sur une longueur de 977m avec 47 arches de 28,5 m de haut en n’utilisant que 250 000 m3 de matériaux.
Cela était déjà considérable sans compter les matériaux nécessaires à la réalisation d’ouvrages complémentaires (puits et galeries nécessaires aux entrées et sorties des deux siphons et aux nombreux ponceaux pour les écoulements d’eau de pluies). Cependant cela entrainait une nouvelle difficulté majeure résidant dans le nombre de tuyaux en fonte évalué à 20 000 tuyaux (4 lignes de ½ toise sur 1200 m à la vallée des Larris et 3800 m à Maintenon) qui devaient être fabriqués, acheminés (depuis la Normandie ou le Nivernais) et assemblés.
Les matériaux pour construire l’aqueduc de Maintenon
L’observation de vestiges de l’aqueduc peu détériorés par les intempéries ou les destructions humaines nous révèlent les matériaux utilisés pour sa construction. Elle est complétée par le contenu des nombreuses recommandations édictées par Vauban pour le choix de ces matériaux.
L’ossature des piliers et des arches ainsi que les revêtements soumis aux intempéries ont été réalisées en blocs massifs (couleur grise) de grés non gélifs taillés dans les carrières essentiellement situées autour d’Épernon. La majorité de ces blocs pesaient entre 200 et 300 kg. Pour les parois extérieures entre ces ossatures on faisait appel à des blocs de calcaire ou de silex grossièrement taillés (couleur beige sur la photo) provenant de Gallardon ou de nombreuses exploitations locales. Tous ces blocs devaient être hourdés avec des mortiers résistant au gel constitués d’une chaux hydraulique additionnée de tuiles broyées (pouzzolane artificielle) et de sables propres ayant une granularité étendue (comme pour les bétons romains).
Pour le remplissage intérieur des piles on utilisait des pierres brutes et des graviers principalement des silex très présents dans les marnières ou crayères proches. Ils étaient assemblés avec des mortiers de chaux aérienne plus facilement produite avec la craie blanche du Sénonien extraite de ces crayères exploitées à proximité du chantier dans les collines entourant la vallée de l’Eure ou de la Voise, au Parc ou à la Garenne. Pour les voûtes des arches on créait des arcades en gros blocs et les vides entre celles-ci étaient remplis par des empilages de 3 à 4 briques disposées sur la tranche et assemblées à la chaux. Ces voûtes étaient recouvertes par un remplissage en pierres brutes et gravillons hourdés à la chaux, permettant de recevoir le revêtement supérieur réalisé en dalles de grés. L’approvisionnement du chantier avec tous ces matériaux présentait de réelles difficultés compte tenu des volumes imposants et des grandes distances à parcourir. Cela concernait les matériaux essentiels comme les grès venant d’Épernon, les calcaires et la chaux hydraulique venant de Gallardon et les briques venant de briqueteries lointaines (abondant près de Dreux ou même Lille en complément de celles produites à proximité à Changé). Les fournitures de grands volumes de sables devaient aussi faire appel à des carrières éloignées comme par exemple celles situées sur la rive droite de la Voise à Gas ou Armenonville. En complément à ces matériaux de construction il fallait aussi approvisionner le chantier avec de grandes quantités de bois pour les échafaudages, les cintres (coffrages des voûtes), les pieux de fondations. Elles venaient d’exploitations locales, mais aussi de forêts lointaines à Dreux, Senonches, Gazeran. Pour les fours à chaux le bois employé comme combustible était complété par du charbon venant d’Angleterre ou d’Auvergne. Se basant sur ses expériences de construction des forts de l’est et du nord Vauban fit réaliser un réseau de canaux pour faciliter le transport de ces matériaux pondéreux en permettant leur débarquement au pied du chantier.
Les canaux pour le transport des matériaux
Trois canaux avaient été aménagés à partir des trois rivières l’Eure, la Drouette et la Voise pour assurer le transport des matériaux depuis leur sources jusqu’au pied du chantier. Vauban les désignaient comme ci après dans ses recommandations de construction précisant les détournements des lits et les dispositions concernant les écluses indispensables pour assurer la navigabilité : le canal de l’Eure, du chantier jusqu’à Villiers-le-Morhier pour la liaison avec le canal d’Epernon et son prolongement jusqu’à Nogent-le-Roi pour rejoindre la Seine (Rouen et l’Angleterre), le canal d’Épernon (Drouette) de Villiers à Droue pour le transport des gros blocs de grés taillés dans les carrières de Droue, d’Épernon et de Cady, le canal de Gallardon (Voise) pour le transport des blocs de calcaire dur extraits et taillés à Germonval (près de Gallardon) et de la chaux hydraulique produite dans les fours locaux à partir de ce même calcaire.
Ces canaux permettaient aussi le transport d’autres matériaux provenant des carrières (pierres sables…), des briqueteries et fours à chaux établis à proximité de leur parcours. Dans ses recommandations Vauban précisait:- les aménagements à effectuer sur les lits des rivières pour éviter les cheminements tortueux et surtout les moulins existants qui devaient être mis en chômage. -La position et la conception des écluses dont les hauteurs de retenue et les dimensions étaient adaptées au trafic prévu, conditions indispensables pour la navigation. En période d’étiage (été) les débits d’eau devaient être suffisants pour assurer un bon remplissage des sas (bassins d’écluses) lors du passage des bateaux. Le canal d’Épernon était bien alimenté par trois rivières de la forêt de Rambouillet mais celui de Gallardon manquait d’eau en été. Aussi Vauban imagina de capter une partie de l’eau de l’Eure en amont de Jouy pour la faire écouler, par un petit canal creusé à flanc de coteaux, dans le canal de Gallardon C’était la rivière de Jouy
Conception et dimensions des canaux et écluses
Elles sont précisées dans les schémas ci après élaborés à partir des directives de Vauban, il faut noter qu’à l’époque l’écluse désignait la porte et son massif de maçonnerie permettant de barrer l’eau du canal (exclusa aqua) et que le bassin était appelé sas . Aussi les schémas reprennent ces désignations alors que le terme écluse désigne maintenant l’ensemble du sas et de ses deux écluses (haute et basse). A noter aussi que lorsque plus loin on cite l’écluse double de Bailleau ou celle de Saint-Martin, ces termes concernent l’ensemble de trois écluses (3 portes) et deux sas tels que définis par Vauban.
Quelques précisions sur ces écluses et les barques préconisées par Vauban : La longueur des sas était de 36 toises (70 m) pour les écluses du canal de l’Eure, 30 toises (59 m) pour les écluses du canal d’Épernon et 20 toises (39 m) pour les écluses du canal de Gallardon. La largeur de passage aux portes de toutes les écluses était de 10 pieds (3,25m) et la hauteur de chute aux écluses hautes était proche de 6 pieds ( 1,95m). Les canaux devaient avoir une largeur de 4,5 toises au fil d’eau et 3 toises (5,86m) au fond, permettant le croisement des barques. Leur profondeur minimale de 4 pieds (1,3m) conduisait à une hauteur d’eau de 10 pieds (3,25m) dans les sas remplis (porte amont ouverte). Lorsque la porte aval était ouverte les sas devaient avoir une largeur minimale de 6 toises (11,7m) au fil d’eau et 4 toises (7,7m) au fond. Cela permettait à chaque éclusée le transfert de deux rangées de 2 ou 4 barques selon la longueur du sas. Ainsi pour le canal d’Épernon avec ses sas longs de 30 toises, on pouvait au mieux transférer six barques à chaque éclusée. Selon Vauban, les barques appelées aussi cabotiéres avaient les dimensions suivantes : largeur 9 pieds (~ 3m), Long.hors tout 7,5 toises (~15m), capacité de charge maximale de 25 tonnes. Elles permettaient donc de transporter 100 blocs de grès de 250 kg ou 16m3 de sable. Certaines sources citent l’emploi de barques plus courtes afin d’être plus maniables.
Examen des canaux, leur parcours, leurs écluses, les vestiges
Le canal de l’Eure
Le canal de l’Eure pouvait desservir le chantier par deux canaux parallèles longs de 450 m creusés à 80 m de part et d’autre des faces de l’aqueduc. Ces canaux d’approvisionnement étaient donc reliés au nord au canal de l’Eure puis à celui d’Épernon et à l’est à celui de Gallardon. Actuellement seul subsiste celui situé au nord de l’aqueduc. Le canal de l’Eure comporte deux tronçons, le premier relie le chantier au confluent avec le canal d’Épernon. Sur sa longueur de 5,3 km, il comportait 3 écluses dont la dénivelée totale était de 5m. Ces écluses étaient celles: de La Ruë à Maintenon (dans le parc du château), de Rocfoin à Pierres (au pont de Rocfoin) et de Bourray à Villiers-le-Morhier (à côté de l’ex moulin de Bourray).
Le second tronçon va du confluent jusqu’à Nogent-le-Roi, sur une longueur de 5 km, il comportait 2 écluses. et permettait d’atteindre la partie navigable de l’Eure en aval de Nogent-le-Roi pour rejoindre la Seine et atteindre Rouen et la mer. C’est par cette voie qu’étaient convoyés de nombreux matériaux briques, bois, charbon, tuyaux… Les vestiges encore bien visibles de ce canal se situent à Maintenon avec le canal sortant du parc du château sous le pont rouge, après le pont Cipière il est encadré par des promenades aménagées jusqu’à l’écluse de Rocfoin.
Les vestiges du sas de cette écluse sont encore bien visibles, le sas est maintenu en eau par un vannage moderne implanté sur le massif de la porte aval. Des briques d’époque garnissant le logement de cette porte sont visibles entre la vanne et le pont.
Le canal d’Épernon
Sa longueur totale, depuis son confluent avec le canal de l’Eure jusqu’au Petit-Droue en amont d’Épernon, était de 12 km (mesuré avec les plans de l’époque). Il empruntait le lit aménagé et partiellement détourné de la rivière Drouette pour éviter les 7 ou 8 moulins existants et les méandres. Sept écluses avaient été implantées sur des dérivations du lit de la rivière à proximité des moulins mis au chômage. Elles permettaient de franchir les 17m de dénivelée sur les 12 km à parcourir. Il y avait 2 écluses à Villiers-le-Morhier, 2 à Saint-Martin-de-Nigelles (dont une à deux sas), 2 écluses à Hanches et une écluse à Épernon. Le canal se terminait au Petit-Droue au pied des carrières de la butte St. Denis à l’est d’Épernon. Les plans très précis suivants élaborés à l’issue de la construction de ce canal vers 1685 donnent le parcours exact du canal et la position des portes des écluses pour chaque commune concernée.
Les canaux et les écluses à Villiers-le-Morhier
Le sas de l’écluse de Villiers est encore visible en amont du pont conduisant au lieu-dit les monts-rouges (ce pont est construit sur les restes du massif de la porte aval) de cette écluse. Pour l’écluse du château de Villiers il faut examiner des photos aériennes de 1957 pour identifier son emplacement. Elle est maintenant à sec dans un pré car après l’abandon des travaux, la Drouette avait été rapidement remise dans son ancien lit pour réalimenter le vieux moulin.
Le canal d’Épernon et ses écluses à Saint Martin-de-Nigelles
La pente accentuée de la Drouette à St Martin (dénivelé de 6m entre Églancourt et Ouencé) avec trois moulins (Nigelles, La Perruche et Fairvache, totalisant 5,3m de chute en 1924) avait conduit Vauban à prévoir une écluse double initialement située à l’écart du moulin de Nigelles complétée par une écluse simple à l’écart du moulin de Fairvache.
Mais pour éviter le rehaussement du pont de la Perruche, l’écluse double fut construite dans les prés du Saulx à 700m en amont de ce pont, à proximité du moulin de Fairvache. Très peu de vestiges subsistent de ces écluses, une dépression au pied de la côte du Paradis, quelques restes des massifs amont de l’écluse double et une dépression dans les près du Saulx à la place du canal car la rivière avait été remise dans son lit pour réalimenter le moulin de Fairvache
Le canal d’Épernon , les écluses à Hanches et Épernon, le port du petit Droue
Depuis le pont des Godets à Ponceaux jusqu’à l’écluse de Hanches le cours du canal n’a pas été modifié depuis 1685. L’écluse de Hanches est proche du pont supportant la route principale (D906 entre les deux feux routiers). A l’époque de la construction de l’aqueduc c’était le grand chemin de Versailles à Maintenon (couleur ocre sur le plan) et depuis ce pont, Louvois passant à cheval assista à la manœuvre pénible d’une cabotière chargée de pierres qu’il a fallu haler avec force ….Aussi ordonna-t-il de fournir des cordes plus grosses aux ouvriers…. Cet épisode se rapporte à la porte aval de l’écluse de Hanches dont les vestiges du massif sont bien visibles depuis le pont. Le massif amont de cette écluse supporte le vannage réglant le niveau d’eau dans le bief du moulin de Hanches et dans le canal jusqu’à Vinerville. De l’écluse de Vinerville aucun vestige ne subsiste car son massif amont est enfoui sous la chaussée de l’avenue du Loreau reliant le Paty à Vinerville et le canal en amont avait été comblé pour rendre l’eau au moulin. Le canal se poursuivait en ligne droite jusqu’à l’écluse de Savonniére à Épernon. En parallèle sur la rive droite le lit de la Guesle avait été canalisé jusqu’au prieuré Saint Thomas et aménagé pour établir un quai de chargement pour les pierres de grès taillées venant des carrières de Cady .
L’écluse de Savonnière implantée à Épernon à côté du moulin de Savonnière au bout de la ligne droite venant de Vinerville réalisait la retenue d’eau finale permettant aux barques d’accéder au port du Petit-Droue situé à environ 1km. Long de 200 toises (390m) ce port était relié aux carrières de la butte Saint-Denis par une série de chemins perpendiculaires au canal. Les vestiges de cette écluse sont bien visibles, pour la porte aval, depuis le jardin public juste en face de la salle de l’Espace culturel « Les Prairiales d’Épernon », pour la porte amont, depuis une passerelle accessible du parking. Cette dernière est intégrée dans la vanne à L’Haye édifiée plus tard pour alimenter le bief du moulin de Savonnière.
Le canal de Gallardon et ses écluses
D’une longueur totale de 12 km, le canal de Gallardon allait jusqu’à Germonval site des carrières de calcaire et des fours à chaux. Il comportait 5 écluses pour une dénivelée de 11m.
De l’aval à l’amont les écluses étaient les suivantes: 1er à Guignonville remplacée par le moulin neuf de Maintenon, 2e à Houx prés du moulin du chemin blanc, 3e à Moineaux prés de l’amont du pont routier actuel 4e double écluse à Bailleau dans le pré en face du moulin, 5e à Richenou à environ 100m à l’amont du moulin qui avait été mis en chômage. Cette dernière est supposée car aucun vestige n’est visible mais les mesures de niveau actuelles (écart de 4m entre le niveau haut de Bailleau et Germonval) montrent qu’elle était nécessaire. En effet, dans son projet, Vauban avait estimé que le niveau du canal à l’amont de l’écluse double de Bailleau était suffisant pour atteindre Germonval en creusant les fossés de Gallardon. Mais creuser aussi profondément (plus de 4m) les fossés autour des murailles de Gallardon aurait posé des risques d’effondrement de celles-ci, aussi l’option d’une écluse en amont de Richenou semble plus réaliste.
Des plans anciens très précis révèlent la position exacte de ces écluses .
Celle de Guignonville remplacée par le moulin neuf vers 1705, avait des dimensions particulières avec un sas long de 20 toises(39m) et une plus grande hauteur de chute de 6pieds 8pouces (2,16m).
Les écluses de houx et Moineau étaient identiques leurs sas avaient une longueur de 20 toises et leur chute était de 6 pieds. Des vestiges peu visibles subsistent dans la propriété du Moulin Blanc à Houx et entre deux ponts (routier et piéton) d’accès à Moineau.
L’écluse de Bailleau était double avec deux sas de 20 toises et trois portes avec deux chutes de 6 pieds. Les vestiges des massifs sont visibles dans une prairie en face du moulin de Bailleau et leur position exacte repérée sur un plan d’assemblage des cadastres des trois communes concernées (Bailleau, Armenonville, Gallardon). Ce plan précise la position de l’arrivée de la rivière de Jouy à 150m en amont de l’écluse. Sur la rive droite à l’amont de l’écluse un quai pour charger les matériaux (sable, gravillons, cailloux) de carrières voisines (des Gâtinaux, d’Armenonville…) avait été créé.
Le plan ancien de Gallardon avec ses murailles et fossés précise la position des carrières de Germonval et des fours à chaux qui sont restés en activité bien après l’abandon des travaux de l’aqueduc en 1694. Peu de murailles subsistent et les fossés sont comblés et construits en grande partie. Les carrières de Germonval sont maintenant boisées
La rivière de Jouy
C’était un petit canal en terre creusé vers 1686 à flan de coteau sur la rive droite de l’Eure, puis sur la rive gauche de la vallée de la Voise jusqu’à Bailleau. Elle permettait de suralimenter le canal de Gallardon en été pour permettre le bon fonctionnement de ses écluses. En effet la Voise et ses ruisseaux issus des plaines de la Beauce manquaient d’eau en été pour bien alimenter le canal de Gallardon lors de cette période d’intense activité sur les chantiers. De son départ en amont du moulin de la Roche à son arrivée à l’amont des écluses de Bailleau, la rivière de Jouy suivait les courbes de niveaux avec une faible pente (33 cm/km) pour son écoulement naturel. Elle parcourait ainsi une longueur de 15,3 km avec une dénivelée de 5m. Du moulin de la Roche ( cote 115 m) jusqu’à la butte-aux-canons (cote 112 m) ) elle avait été établie sur la rive droite de l’Eure remontant vers le nord selon un tracé proche de celui de la ligne de chemin de fer de Maintenon à Chartres construite en 1847.
Sa trace est encore visible peu avant la butte-aux-canons (dans la colline au dessus du chemin de fer après le moulin de l’Orme-Hallé) lorsqu’elle oblique à l’est pour remonter sur la rive gauche de la vallée de la Voise. Après 10 km elle était à la cote 111,6 m dans les coteaux de Yermenonville (de nos jours dans le cimetière près de la tombe d’Hélène Boucher). Son parcours suit ensuite la ligne des niveaux entre les cotes 111 et 110 m selon le tracé de la carte d’arpentage de 1685 qui s’avère très précise.
A Bailleau son parcours correspond à celui de la ligne de chemin de fer de Maintenon à Auneau construite en 1887 et démontée en 1944. Il ne reste donc aucune trace de vestiges, cependant l’examen des parcelles du cadastre de 1833 à Bailleau révèle, en l’absence de plans anciens, son parcours final. En effet à l’emplacement d’une parcelle oblique de ce cadastre, on observe sur le terrain actuel une levée de terre boisée. Celle-ci correspond à la zone d’arrivée de la rivière dans le canal après son passage au dessus du lit naturel de la Voise partiellement asséchée.
Tous les ouvrages de franchissement de ruisseaux ou de fossés avaient été réalisés en bois car la rivière devenait inutile après la fin des travaux de l’aqueduc. La réalité de l’existence et du fonctionnement de la rivière de Jouy est confirmée par les lettres de Louvois de 1686 : Après les orages qui le 26 juin 1686 avaient causé de grands désordres, Louvois pressa dans une lettre du 28 juin de faire rétablir au plus vite le fonctionnement de la Rivière et s’assura d’être obéi dans un courrier au Marquis d’Huxelles : Comme les eaux redeviendront promptement basses dans le canal de Gallardon, je vous conjure de faire mettre tant de monde à la rivière de Jouy que l’eau puisse y estre remise incessamment. Le 3 juillet 1686, les nouvelles données par Isaac Robelin, ingénieur du roi et directeur de l’aqueduc de Maintenon, étaient rassurantes : J’ay receu vostre lettre du deuxième de ce mois, par laquelle j’ay veu avec plaisir l’aparence qu’il ya que la rivière de Jouy sera dans le ruisseau de Gallardon avant que le roy arrive à Maintenon.
En conclusion
Les canaux de l’Eure, d’Épernon et de Gallardon étaient des ouvrages indispensables pour l’acheminement des matériaux de construction de l’aqueduc. La rivière de Jouy petit canal ou rigole de suralimentation du canal de Gallardon avait été nécessaire pour permettre le bon fonctionnement de ses écluses car il manquait d’eau en été.
Quel travail… d’historien ! Bravo Jacques.
Mais aussi quels travaux dignes d’Hercules, pour le bon plaisir d’un roi.
Merci, Article très intéressant et encore plus en faisant sa généalogie, on peut imaginer la vie de nos aïeuls 🤩👍
Bravo, un historien maintenonnais parlant de la réalité de Maintenon et de son terroir en raison de l’histoire et des travaux titanesques réalisés à la pelle et la pioche et la brouette !
Merci pour cette description précise qui met à mal certain panneau portant le titre de Canal Louis XIV
Comment pourrais je avoir ce document ; par tiré à part ou un fascicule de la SAEL?
Depuis une dizaine d’année , à vélo parfois à pied j’ai parcouru ce les ressources hydrauliques destinées à Versailles(l’étang de Rambouillet, le réseaux des rigoles, les réservoirs autour de Versailles, el aussi la machine de Marly et les restes de cette ouvrages
Félicitations pour ce beau travail d’historien
Merci pour ce commentaire.
L’actualité 2024 de la SAEL et de la société de protection du canal Louis XIV sera
– la mise en ligne d’une vidéo conférence reprenant les éléments de cet article avec M. J. Bresson
– en fin d’année une étude technique du canal avec les contraintes et les solutions trouvées pour les dépasser. Un ouvrage de 120 pages avec de nombreux dessins techniques et de nombreuses photos.